Le premier sommet Afrique-Amérique du Sud démarre ce mercredi à Abuja, la capitale nigériane. Il marque, sous l’impulsion brésilienne, un nouveau virage dans les relations politiques et commerciales entre l’Afrique et l’Amérique du Sud.
Le volet officiel, avec la présence des chefs d’Etat, du premier sommet Afrique-Amérique du Sud s’ouvre ce mercredi, dans la capitale politique nigériane, Abuja. Il rassemble les douze pays de la South America Community of Nations (CASA) et 45 pays africains. Parmi les chefs d’Etats africains présents, le Sud-africain Thabo Mbeki, l’Algérien Abdelaziz Bouteflika ou encore le Marocain Mohammed VI. Du côté de l’Amérique du Sud, ce sont six chefs d’Etats qui feront le déplacement au Nigeria. A savoir, le Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, le Bolivien Evo Morales, la Chilienne Michelle Bachelet, l’Equatorien Alfredo Palacio, Bharrat Jagdeo du Guyana et le Surinamien Runaldo Venetian. Le Brésil, qui fait figure de tête de proue en Amérique du Sud dans le développement des relations entre les deux continents, est à l’origine avec le Nigeria de cette première dans les relations Sud-Sud.
Se soutenir mutuellement sur la scène internationale
« L’Afrique et l’Amérique du Sud ont de nombreux points communs, aussi bien sur le plan historique que sur le plan géographique. Tous deux disposent également d’importantes matières premières. Les relations Sud-Sud ont jusqu’ici très peu occupé le devant de la scène internationale. Pour les dirigeants de ces pays, le moment est venu de se pencher sérieusement sur la question et de réfléchir à ce qu’ils peuvent faire ensemble, aux moyens de développer la coopération Sud-Sud », affirme Olabanji Akeredolu, responsable de la communication du sommet. Le développement des échanges commerciaux et des investissements, la coopération dans la mise en place d’infrastructures ou sur le plan technologique seront quelques uns des nombreux sujets qui figurent à l’ordre du jour de ce sommet. Les pays africains pourront profiter, entre autres, de l’expertise de pays comme le Brésil, qui fabrique par exemple de l’éthanol à partir du manioc, dans la production d’énergies propres, au moment où le réchauffement climatique menace l’Afrique plus qu’aucun autre continent. Le savoir-faire sud-américain pourrait aussi être mis à disposition dans le développement des filières agricoles ou encore dans l’industrie touristique, qui connaît un boom en Afrique.
«Le potentiel de croissance de ces relations est considérable parce que l’on part de très bas », analyse François Polet, chercheur au Centre tricontinental (Cetri), un institut belge spécialisé sur les problématiques relatives aux continents du Sud. Historiquement et jusqu’à très récemment, ces deux parties du monde entretenaient des rapports assez ténus, notamment du fait qu’elles se tournaient toutes deux vers le Nord. Cependant, depuis quelques années, sous l’impulsion du président brésilien Lula da Silva, qui s’est rendu sur le continent africain, on assiste à une multiplication des rencontres entre ces pays. Il y a une volonté clairement affichée du Brésil de développer des relations commerciales avec des pays comme l’Afrique du Sud. Néanmoins, parce le Brésil est lui aussi exportateur de produits agricoles, à l’instar des pays africains, des complémentarités existent, mais elles ne sont pas illimitées ».
Le Brésil : allié efficace ?
A Abuja, on parlera donc beaucoup politique. Le Brésil profitera de l’occasion pour s’assurer les soutiens nécessaires pour l’obtention d’un siège permanent au conseil de sécurité des Nations Unies. Les pays africains qui réclament deux sièges dans ce même conseil de sécurité en attendent de même de leurs partenaires sud-américains. « Les deux camps cherchent des soutiens mutuels au sein des institutions internationales que sont l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou les Nations Unies ». A l’OMC, au grand dam des Etats-Unis, ils se sont déjà illustrés sur la question du coton. « Les pays du Nord se rendent compte qu’ils ne font plus la pluie et le beau temps ». Le pouvoir économique grandissant de la Chine, également aux portes de l’Afrique tout comme le Brésil, va de pair avec une affirmation politique dont l’une des conséquences directe est l’amplification de la coopération Sud-Sud.
« Sur le plan diplomatique, poursuit le chercheur du Cetri, le Brésil ne cache pas son ambition d’être le porte-voix du Tiers-monde. L’idée de souveraineté politique est très importante pour le parti travailliste brésilien dont est issu le président Lula ». Quant au Venezuela, dont la présence du président Hugo Chavez, en campagne, n’est pas certaine, il cherche lui à propager son message anti-impérialiste. Un domaine dans lequel il s’est déjà fait devancer par le mouvement altermondialiste qu’il soutient par ailleurs. Des revendications similaires sur les effets pervers du capitalisme, « même si l’altermondialiste africain est marqué d’une revendication démocratique », note François Polet, ont déjà créé des liens importants entre les deux continents. Cette coïncidence s’explique selon, le scientifique belge, par le fait que « ces mouvements naissent l’un et l’autre de l’usure de l’hégémonie du nord et du paradigme libéral ». Fini, semble-t-il, le « tiers-mondisme progressiste » des Non-alignés, place à une « coalition plus pragmatique », un « tiers-mondisme libéral » qui invite les pays du Nord à respecter les règles, établies par eux-mêmes, du libéralisme économique. Reste à savoir si les pays africains y trouveront véritablement intérêt.