Le festival Musiques métisses d’Angoulême (France) a 30 ans. Il ouvre ses portes ce mercredi pour quatre jours de concerts et de spectacles. Pour Christian Mousset, directeur et fondateur du festival, il n’y a pas une, mais des musiques africaines. Interview d’un précurseur passionné, qui ne se reconnaît définitivement pas dans le terme « galvaudé » de « Musique world ».
Le festival Musiques métisses d’Angoulême soufflera, mercredi, ses trente bougies. Trente ans de musiques, de partage et de découvertes (1er au 5 juin 2005). Si Christian Mousset, directeur et fondateur de l’événement (parmi les plus célèbres du genre), a cette fois-ci choisi une prestigieuse programmation, cela ne doit pas faire oublier que le Festival a toujours été aux avant-postes de la musique « world ». Un terme qui pour lui ne veut d’ailleurs absolument rien dire. Professionnel passionné et militant culturel, il revient sur l’histoire de son bébé. Il nous livre également sa vision de la, ou plutôt, des musiques africaines et afro-caribéennes, qu’il a activement contribué à faire entrer dans « la sono mondiale ».
Afrik.com : Comment est né le festival Musiques métisses ?
Christian Mousset : Nous étions un groupe d’amis passionnés de musique et nous trouvions qu’il ne se passait pas grand chose d’intéressant à Angoulême. A cette époque, je tenais un magasin de disques. Nous voulions faire partager nos envies, nos passions. Et le public a suivi. Nous avons eu la chance, à l’époque, de ne pas avoir de rivaux ni dans la région, ni même en France. Mis à part Africa fête qui existait déjà. Il n’y avait pas vraiment de festival consacré aux musiques africaines, ou plutôt aux musiques du Sud. On les retrouvait plutôt dans les ghettos communautaires.
Afrik.com : Qu’elle était, à la base, la programmation du festival ?
Christian Mousset : Au départ c’était plutôt jazz. Mais dès la première année, j’ai commencé à faire venir des jazzmen sud-africains. Le festival est devenu ce qu’il est aujourd’hui de façon tout à fait empirique, au gré de toutes les rencontres et des voyages que j’ai pu faire. J’étais très intéressé par les musiques noires en général et je ne voulais pas me retrouver avec un public du genre branché. Je voulais m’ouvrir à d’autres choses. En 1980, par exemple, j’avais fais un spécial Antilles françaises avec des artistes comme Pakatak, Dédé Saint-Prix, Sixième Continent, Malavoix… des groupes pas tellement connus en dehors du réseau. J’ai ensuite travaillé sur le continent africain. J’ai choisi le Mali pour démarrer, ensuite il y a eu la Guinée, le Sénégal. J’ai beaucoup travaillé sur l’Afrique de l’Ouest, mais aussi en Afrique du Sud et à Madagascar. Mon idée était de faire sortir ces musiques de leur environnement, de donner la possibilité à des artistes de se faire connaître en dehors de leurs frontières. J’ai eu la chance d’avoir des subventions qui m’ont permis de réaliser cela.
Afrik.com : Comment étaient perçues ces musiques métisses, il y a 30 ans ?
Christian Mousset : Au mieux, comme un fait exotique, au pire comme quelque chose de second ordre. Pour le public et les media, à de rares exceptions près, l’Afrique symbolisait le folklore. La musique africaine n’était pas prise au sérieux. Jusqu’à ce qu’on s’aperçoive de toute sa richesse. Côté artiste, ce sont les mêmes personnes qui s’en moquaient qui s’en inspiraient, voir même, la pillaient. J’ai eu la chance de montrer de grands orchestres « classiques » de la musique d’Afrique de l’Ouest, comme le Bembeya Jazz (Guinée, ndlr) ou le Super Biton de Ségou (Mali, ndlr)…. Les gens ont découvert qu’il se passait des choses originales et que c’était finalement l’origine d’une reconquête par les Africains de leur identité sans pour autant s’enfermer dans la tradition. Il y avait cet espèce de métissage entre l’Afrique et les différentes influences qu’elle avait reçues. Ces musiques étaient absolument phénoménales. Une de mes grandes fiertés est d’avoir pu présenter, et quelque fois produire, certains de ces groupes avant qu’ils ne disparaissent.
Afrik.com : Le public du Festival a-t-il adhéré tout de suite à ce type de musiques ou a-t-il mis du temps pour se familiariser avec ces nouveaux sons ?
Christian Mousset : Très curieusement, ça a suivi beaucoup plus vite qu’avec le jazz. Les gens ont tout de suite été conquis. Il y avait un autre rapport avec le public. Quand j’ai commencé à voir des personnes danser avec le Super Biton ou autres je me suis dit : « c’est gagné ».
Afrik.com : Quel bilan faites-vous après 30 ans de festival?
Christian Mousset : C’est considérable. Si on devait retenir une chose, c’est qu’on ne peut pas parler de musique africaine au singulier. Parler de la « musique africaine » ça ne veut rien dire, c’est comme si l’on parlait de « musique européenne ». L’Afrique est un continent musical dans lequel il y a une incroyable diversité artistique.
Afrik.com : Vous programmez souvent de vieux artistes. Est-ce un parti pris ?
Christian Mousset : J’ai été l’un des rares à produire des personnes âgées, comme Anne-Marie Nzié du Cameroun, Boubacar Traoré du Mali. Ils ont été un peu redécouverts par notre travail, alors qu’ils sont inséparables de l’histoire de la musique en général, et même de l’histoire de leur pays. Ils en ont été des artistes symboles. Comme Wendo Kolosoy (Zaïre, désormais République démocratique du Congo, ndrl) qui a aujourd’hui plus de 80 ans. Il a été le 1er chanteur de rumba congolaise avant Franco, avant le ndombolo. J’ai fait la même chose avec les Sud-africains, Malatini et les Mahotella Queens, des gens qui avait été des héros dans la lutte contre l’Apartheid. J’ai été heureux de programmer Eugène Mona (illustre artiste martiniquais, ndlr) dans mon festival avant qu’il disparaisse, c’est le seul festival en France où il a joué.
Afrik.com : Vous avez aussi été l’un des premiers festivals à programmer du raï?
Christian Mousset : Ça permettait aux jeunes issus de l’immigration algérienne ou d’Afrique du Nord, mais pas seulement, de se retrouver dans un festival qui présentait dans la même soirée des musiques différentes. Je voulais que le public se métisse aussi, qu’il y ait une ouverture.
Afrik.com : N’y a-t-il pas un paradoxe entre la part de marché de la musique World en France et l’engouement du public dans les festivals?
Christian Mousset : Ce n’est déjà pas si mal. Il y a des centaines d’artistes africains qui font des disques intéressants, mais il n’en passe que trois ou quatre sur les radios françaises de service public. Ne parlons pas des radios commerciales, où on ne les entend pas ou de la télévision, où là c’est carrément scandaleux. Je trouve donc que c’est déjà formidable qu’on arrive à vendre autant alors que nous ne bénéficions d’aucune couverture médiatique. Le plus important reste que la « World », comme vous dites, est complètement rentrée dans la sono mondiale. Et quand on met un public en face de ces musiques, ça fonctionne.
Afrik.com : Vous semblez ne pas cautionner le terme « World » ?
Christian Mousset : Le mot « world » m’agace. On met par exemple Johnny Clegg dans le même bac que les Pygmées de la Forêt, enregistrés pour la collection Ocora. Ça ne veut rien dire. L’un fait plutôt de la pop afro-anglosaxonne, alors que les autres font de l’ethnomusicologie. Le terme me paraît complètement galvaudé. C’est comme jazz, ou le zouk. Qu’est-ce qu’on pourrait employer comme terme à la place de World ? Musiques du monde ? Musiques métisses, comme nous avons décidé de le faire ? Je ne sais pas. Toujours est-il que le jour où on enlèvera ces étiquettes, quelque part un peu discriminatoires, on aura fait un grand pas.
Afrik.com : Beaucoup de promoteurs de spectacles soulignent qu’il est très difficile de faire sortir des artistes d’Afrique pour des prestations à l’étranger. Rencontrez-vous les mêmes difficultés ?
Christian Mousset : On leur demande tellement de papiers ou les humilient tellement que soit ils se découragent soit ils essaient de passer à travers. Et puis on fait peser une telle suspicion et une telle pression sur eux qu’une fois qu’ils sont en France, certains se disent qu’ils ne pourront plus revenir. Donc ils restent. Pour obtenir les documents administratifs, en tant que promoteur, afin de faire voyager les artistes, notamment les jeunes, c’est quasiment de l’apostolat. C’est du temps, de l’énergie, de l’argent. Il faut s’y prendre trois ou quatre mois à l’avance. Je pense qu’à partir du moment où les artistes sont clairement identifiés et qu’ils travaillent avec de vrais professionnels du Nord, ils devraient avoir une facilité d’obtention de visa. Si vous donnez un visa de trois ans, ou même d’un an, à un artiste, il ne sera pas obligé de pleurer à chaque fois à l’ambassade pour avoir ses papiers.
Afrik.com : Vous parliez d’argent. Combien coûte justement un Festival Musiques métisses ?
Christian Mousset : Cher. Parce que le festival n’a pas lieu en ville. Nous avons dû créer un village au bord de la Charente, donc il nous faut des chapiteaux, des scènes, de l’éclairage… Et puis les voyages, pour certains artistes coûtent également très chers… Nous avons, par ailleurs, fait le choix de faire un festival très bon marché au niveau de la billetterie. Finalement le festival nous coûte plus qu’il nous rapporte. Il coûte plus de 150 000 euros et nous récupérons seulement 30% en recettes. D’où un important travail de recherche de subventions.
Afrik.com : Le festival a 30 ans. Qu’avez-vous prévu pour cette édition anniversaire ?
Christian Mousset : C’est un peu un piège, car on nous demande de marquer le coup. J’ai été amené à faire une programmation un peu plus clinquante et un peu moins découverte que les années précédentes. Mais les grands noms que nous avons à l’affiche ont également été de grandes découvertes du Festival, comme Johnny Clegg, Tiken Jah, Kassav (que j’ai été le premier à programmer en 1985) ou Cesaria Evora, qui devait venir, mais on vient d’apprendre qu’elle est malade et qu’elle a annulé beaucoup de dates.
Afrik.com : Le Festival Musiques métisses ne se déroule pas uniquement sur les dates de l’événement, il génère d’autres activités…
Christian Mousset : Effectivement, nous avons créé des résidences de musiciens, d’écrivains, de conteurs, mis en place une partie cinéma. Tout un travail de proximité est fait dans les quartiers, les communes, les collèges et les lycées depuis plus de dix ans. Ce sont de choses qui se font soit à l’année, soit en amont du festival. Le festival est immergé dans la population. Par ailleurs pendant le Festival, il n’y aura pas que de la musique. Il y aura beaucoup de débats et de conférences sur le site. Comme sur le coton, sur la diversité culturelle etc…