7% des prostituées en France étaient africaines en 2000, 40% en 2005* ! L’Afrique est le nouvel or noir du sexe business dans l’Hexagone et dans toute l’Europe. Mirage plus ou moins instrumentalisé de l’Occident, Eldorado présumé d’une autre vie. Croyant les extirper du purgatoire africain, certaines familles jettent même leurs enfants directement dans la gueule du loup…
Par Amely-James Koh Bela, secrétaire générale de l’association Label’VIE
7% des prostituées en France étaient africaines en 2000, 40% en 2005* ! L’Afrique est le nouvel or noir du sexe business dans l’Hexagone et dans toute l’Europe. Mirage plus ou moins instrumentalisé de l’Occident, Eldorado présumé d’une autre vie. Croyant les extirper du purgatoire africain, certaines familles jettent même leurs enfants directement dans la gueule du loup en les confiant à des proches, en Europe pour leur offrir la chance d’un avenir meilleur. Mais la réalité est souvent tout autre… Il y aurait beaucoup à dire sur une situation des plus dramatiques. Et j’en ai vu plus moi-même qu’on peut en voir à l’issue d’une enquête de 12 ans que j’ai menée pas à pas sur le terrain.
Mais le terrain pour moi est aujourd’hui l’Afrique. Plus que jamais. Invitée par le Centre international de la promotion et la création (Cipcré) à Bafoussam en juillet dernier pour une caravane de sensibilisation au Cameroun, qui avec le Nigeria fourni plus de 75 des prostituées africaines en Europe**, j’ai pu me rendre compte de l’ampleur de la tâche. Bafoussam, Ebolowa, Bamenda, Bertoua, Garoua, Douala et Yaoundé, j’ai pour ma part fait le déplacement dans cinq des dix villes d’un parcours de 21 jours (13 juillet-3 août). Cinq villes à raison de 2 conférences ou causeries éducatives par jour, regroupant à chaque fois entre 200 et 1 200 personnes. En français, en anglais et même en langues dialectales, j’ai révélé mes vérités. Celles que j’ai découvertes au cours de mon travail, celles des chiffres officiels, celles des pièges et des faux semblants.
« L’apparition des razzias d’enfants »
Selon le rapport 2006 du Cipcré, 40% des enfants camerounais âgés entre 5 et 18 ans sont ou ont été de façon certaine sexuellement exploités en milieux scolaires ou familiaux. Des chiffres qui ouvrent une brèche béante dans un tabou jusque-là intouchable : celui de l’inceste. Pratiquement un enfant sur deux a ainsi été bafoué dans l’intégrité de son corps. Une innocence volée qui forcément laisse des traces, et prépare, chez certains, un terreau fertile pour accepter que leur corps n’est qu’une marchandise, et bien souvent leur unique richesse. Après une enfance où ils sont violés en permanence et à volonté par certains membres de la famille, des années de violences en silence, la prostitution se présente alors pour certains comme une délivrance pour échapper à cet univers cauchemardesque où les bourreaux sont les êtres les plus chers que possède un enfant.
Retrouver de vraies valeurs. Telles étaient, au-delà du besoin d’information, les attentes des milliers de personnes rencontrées durant mon périple. Sans distinction d’ethnies, de classes sociales ou de religion. Catholique, protestants, musulmans, animistes, nous avons rencontré toutes les instances religieuses du pays, incontournables organes de mobilisation de masse. Et partout le même vibrant accueil. Le cardinal Tumi nous a même reçu en personne pour s’entretenir avec nous de nos projets quant aux actions de sensibilisation à venir. Prêts à nous épauler et à lever l’ensemble des fidèles pour soutenir nos messages.
« Retrouver de vraies valeurs »
Il s’agit de demander aux parents de ne pas démissionner de leur rôle de gardiens, de transmetteurs et de garants des valeurs. Ces valeurs qui constituent un socle identitaire solide pour les Africains afin qu’aucune tempête discriminatoire ou raciste ne les jette par terre. Pour que, par tous les temps, ils restent debout et fiers et qu’ils n’oublient jamais d’où ils viennent et qui ils sont.
Les jeunes doivent se réconcilier avec le travail et apprendre que tout s’obtient par la persévérance, l’endurance. Quant aux dirigeants, le message qui leur est destinéest plus clair : un pays où les jeunes ne rêvent plus, et n’ont plus d’ambitions est un pays foutu.
Que faire alors pour lutter efficacement contre la prostitution ? Au sein de l’association Label’VIE, nous pensons qu’il vaut mieux s’attaquer aux causes plutôt qu’aux conséquences. Conséquences dont la prostitution fait partie. Raison pour laquelle, à la faveur d’une nouvelle prise de conscience des réalités de la problématique, l’association, initialement appelée Africa Prostitution, a changé de nom pour s’inscrire dans une dynamique plus large. Et travailler véritablement en amont et directement en Afrique pour montrer une Afrique prospère. Une Afrique qui n’a pas à aller chercher ailleurs ce qu’elle a pourtant à foison. Une Afrique fière et debout, consciente de ses forces et de ses potentiels. L’autosuffisance, objectif affiché par de nombreuses associations, ne nous suffit pas. Nous lui préférons la prospérité et l’excellence. L’excellence d’alternatives de poids à la prostitution. Des Alternatives personnelles tout aussi capables de faire vivre une ou plusieurs familles.
« Prendre le problème à la racine »
Prendre le problème à la racine, c’est montrer aux Africains qu’ils peuvent faire chez eux ce qu’ils entendent faire ailleurs. Prendre le problème à la racine, c’est par exemple s’intéresser au drame des immigrés clandestins qui bravent la mer sur des pirogues pour rejoindre le Vieux continent et dont plus de 20 000 ont déjà rejoint les côtes espagnoles depuis le début de l’année pour échouer dans des champs de rétentions sur les îles Canaries. Aussi, avons nous développé un programme spécifique d’actions sur cette question. « Les fils prodigues », décliné en quatre volets, de la sensibilisation directement sur place en Espagne à la préparation d’un retour et un accompagnement dans le cycle de vie de projet professionnel en Afrique, s’appuie sur une équipe de spécialistes en ethno culturel et en conduite de projet. Un travail de professionnels pour un résultat professionnel. Pour ériger des modèles de réussite, pour nous les meilleurs ambassadeurs de la dignité et de l’espoir pour l’Afrique et les Africaines.
Au-delà de la prostitution et de toutes autres formes de trafics, ce combat est un combat identitaire. C’est de l’avenir de l’Afrique et de son image en occident qu’il s’agit. C’est aussi et surtout ma lutte pour valoriser l’image de la femme africaine et de la femme noire que je suis moi-même dans le monde. Même si aujourd’hui une poignée de femmes noires ternissent notre image en vendant des enfants, ça ne reste qu’une minorité et nous devons nous insurger contre ce fait et montrer que l’Afrique c’est autre chose et que les Africains ne cautionnent pas ce trafic.
Egales aux autres femmes, la femme africaine est aussi belle et intelligente. Artisanes et détentrices du pouvoir économique en Afrique, elles sont les plus grandes ambassadrices du continent noir et exposent à travers le monde le savoir faire africain dans plusieurs domaines. Et ce sont ces compétences et ces qualités que nous allons nous évertuer à faire connaître à travers le monde en éduquant différemment nos enfants et en leurs apprenant le sens des valeurs qui feront d’eux des hommes fiers, ambitieux, qui relèveront la maman Africa agonisante et changeront le cours de l’histoire en faisant de ce continent une des grandes plaques tournantes économiques mondiale.
* Selon les chiffres de l’Office centrale pour la répression du trafic des êtres humains
** Selon l’Office International des Migrations