Il y a quatre cents ans, les Afro-Colombiens vivant sur le long de la côte caribéenne de Colombie pleuraient à la naissance d’un enfant, car ce jeune était destiné à subir une vie d’esclavage sous la domination coloniale espagnole.
Et lorsqu’un Afro-colombien mourait, les gens s’engageaient dans une veillée longue de neuf jours et neuf nuits pour célébrer le retour du défunt en Afrique. A l’époque, la mort semblait être la seule issue pour la libération. Mais aujourd’hui, les parents du village reculé de San Basilio de Palenque ne pleurent plus quand leurs enfants naissent, grâce à la bravoure et à la résistance de leurs ancêtres, qui réussirent à se libérer de la couronne espagnole en 1603.
Les résidents contemporains de San Basilio de Palenque – que les locaux désignent simplement par le nom de Palenque – revendiquent le fait de vivre dans la première communauté noire libre des Amériques. Ils ont écrit une lettre invitant Barack Obama, le Premier président noir des États-Unis à visiter leur village. « Nous invitons Barack Obama et nous espérons qu’il nous rendra visite », explique le leader de la communauté, Enrique Márquez. « Nous n’allons rien lui demander. Nous voulons juste que lui, et tous les noirs et tous les peuples du monde, s’informent sur le Palenque. »
Et il y a beaucoup à apprendre sur Palenque. D’abord le nom, «Palenque», qui se traduit généralement par «ville emmurée», était appliqué à des centaines de communautés lointaines créées par les esclaves fugitifs pendant le 17e siècle à cause des murs circulaires construits avec de grands bâtons qui visaient à protéger les villageois des Espagnols.
Conséquemment, le nom lui-même symbolise à la fois la résistance et l’isolement qui ont aidé à préserver la culture unique de San Basilio de Palenque, en particulier sa langue afro-descendante, pendant les siècles de répression coloniale et de la violence contemporaine du pays.
Beaucoup des esclaves noirs qui arrivèrent dans la ville coloniale de Cartagena durant les années 1500 provenaient de la côte ouest de l’Afrique, en particulier de la région du Congo. Selon Marquez, « Parmi eux, il y avait des princes et des chefs, et ces Noirs n’acceptèrent jamais les conditions d’esclavage. Beaucoup se suicidèrent, ce qui revient à dire qu’ils furent tués, et d’autres s’organisèrent et s’échappèrent de Cartagena. »
Durant la fin des années 1500 et au début des années 1600, de nombreux esclaves en fuite étaient dirigés par un chef de la résistance africaine du nom de Benkos Bioho, qui lança des attaques répétées sur Cartagena, jusqu’à ce qu’il fut finalement tué par les Espagnols en 1619.
C’est durant cette période que les ancêtres de San Basilio établirent pour la première fois un Palenque à Mazuna, qui était relativement proche de Carthagena. Mais les Espagnols les poursuivirent et ils durent s’enfuir vers l’intérieur, jusqu’à San Basilio dans ce qui est aujourd’hui le département, ou la province de Bolívar. Les villageois de San Basilio réclament Benkos comme étant le fondateur de leur communauté et une statue en son honneur se trouve sur la place centrale.
Finalement, les Espagnols réussirent à détruire la plupart des palenques d’origine,
San Basilio étant l’un des seuls à survivre. Selon Marquez, San Basilio « est situé à un endroit stratégique car elle est entourée d’une petite chaîne de montagnes, par conséquent, il était facile de voir les gens qui venaient dans sa direction. Les gens communiquaient avec des tambours lorsque les Espagnols descendaient la montagne et lorsqu’ils arrivaient à Palenque, ils trouvaient des maisons, mais pas les noirs. »
Les gens disparaissaient tout simplement dans les collines tandis que les Espagnols brûlaient leurs maisons. Les villageois réapparaissaient alors, reconstruisaient leurs maisons et reprenaient le cours de leurs vies. Ce processus se reproduisit encore et encore jusqu’à ce que les Espagnols décidèrent finalement d’offrir la liberté aux esclaves de San Basilio en fuite.
Mais la liberté arriva sous conditions. Les Espagnols exigèrent que les habitants de San Basilio adoptent des noms catholique, pratiquent le catholicisme et renoncent à leurs propres religions. Les gens ont accepté, affirme Marquez, « C’est pourquoi je m’appelle Enrique. Ce n’est pas un nom africain, c’est un nom espagnol. Mais les pratiques culturelles et la religion des noirs sont éthérées, intangibles, il était donc facile de poursuivre leurs pratiques. Même aujourd’hui, les pratiques qui nous étaient imposées ne sont pas bien reçues. Si vous allez à l’Église catholique le dimanche, vous ne verrez personne là-bas. Le Palenqueros ont accepté certaines conditions pendant les négociations en échange de leur liberté, mais ils ne les ont jamais respecté. »
Pendant des siècles, Palenque a existé dans un isolement virtuel, les Noirs étant les seuls autorisés à pénétrer dans la communauté. Cet isolement a aidé à préserver de nombreuses pratiques culturelles liées à la religion, la musique, la danse et la cuisine qui existent encore de nos jours. La religion Palenquera, qui reflète les pratiques africaines, est davantage axée sur les esprits que sur les saints vénérés par les catholiques.
Dans le même temps, le tambour est l’instrument le plus important dans la musique palenquera, avec les danses et les vêtements traditionnels africains, qui sont couramment utilisés lors des cérémonies telles que les mariages.
Sexteto Tabala est le groupe de musique le plus célèbre de ce petit village, qui semble être disproportionnellement béni par le talent musical. Emelina Reyes en est un bon exemple, elle qui vit dans une case traditionnelle faite de bois et de terre battue, et d’un toit de chaume.
De sa maison, elle vend des copies d’un CD qui contient des performances d’elle et d’une autre chanteuse locale, Graciela Salgado.
Un après-midi chaud et humide de Juin, Reyes a réalisé une interprétation acapella émouvante d’une chanson palenquera dont la mélodie est indéniablement influencée par l’Afrique.
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“Le chant et la musique”, dit Reyes, « sont des moyens importants de préserver et de renforcer notre culture. »
L’isolement du village a également conduit au développement d’une langue unique. Le Palenquero, comme on l’appelle, est unique à Palenque et est couramment parlé par près de la moitié du village de 5.000 habitants, tandis que les autres peuvent le comprendre. La langue a émergé il y a des centaines d’années et est fortement influencée par la langue kikongo d’Afrique de l’Ouest ainsi que par le Portugais et l’Espagnol.
L’influence africaine est évidente dans des mots tels que Nguba (arachide), changama (femme) et Kumina (nourriture), ainsi que dans des expressions comme Kumo bo ata? (bonjour, comment allez-vous?). Pour assurer la survie de la langue, l’école locale a commencé à enseigner le palenquero dans les années 80.
Au cours des dernières décennies, le monde extérieur a de plus en plus gagné du terrain sur l’isolement de Palenque. Alors que de nombreux villageois continuent de survivre en cultivant le maïs, le riz, l’arachide, le manioc, les bananes et d’autres cultures traditionnelles sur les sept millions d’hectares de terres de la communauté, d’autres sont allés chercher un emploi ailleurs. On estime à environ 20.000 le nombre d’anciens résidents de Palenque vivant et travaillant à Cartagena, Barranquilla et les autres villes situées le long de la côte caribéenne de la Colombie. Beaucoup d’entre eux reviennent régulièrement à Palenque pour rendre visite à leurs familles, rapportant avec eux des idées et des influences extérieures.
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L’influence accrue de l’extérieur a été facilitée en partie par la construction d’une route asphaltée qui passe désormais à moins de cinq kilomètres du village, réduisant ainsi la durée du voyage à Cartagena de trois jours à dos de mule à deux heures en autobus. De plus, dans les années 70, le gouvernement a apporté l’électricité à Palenque, par gratitude pour les exploits d’Antonio Cervantes, aussi connu sous le nom de Kid Pembele, double champion du monde poids welter en boxe et héros national né dans le village. L’introduction de l’Internet à Palenque a constitué une avancée plus récente, permettant de connecter les étudiants de l’école locale au monde en général.
L’amélioration de l’accès et la visibilité ont conduit à une meilleure connaissance tant au niveau national qu’international de l’histoire et de la culture uniques de Palenque. En 2005, l’Organisation des Nations Unies a classé le village comme un « Chef-d’œuvre du Patrimoine Oral et Immatériel de l’Humanité. » Certains résidents veulent encore plus mettre à profit l’exposition accrue du village afin d’attirer les touristes pour à la fois améliorer l’économie locale et encourager la conservation de sa culture unique. Beaucoup de jeunes du village sont activement engagés dans la musique et des projets de danse, et ils se produisent même régulièrement pour des touristes sur les places publiques de Cartagena. Cependant, d’autres habitants n’aiment toujours pas l’intrusion de personnes extérieures et ne souhaitent pas devenir des expositions pour les visiteurs.
Le conflit armé qui secoue actuellement le pays est une autre intrusion que la communauté doit supporter. L’arrivée des groupes armés il y a près d’une décennie a provoqué le déplacement de nombreuses personnes vivant sur le territoire environnant de Palenque. “En tant que Palenqueros, nous avons été le seul groupe ethnique en Colombie à ne pas avoir subi un déplacement”, explique German Arturo Herazo qui est membre du Conseil autonome de la communauté. « Mais à partir de 2000, nous avons commencé à souffrir de la violence en Colombie et des déplacements. » Selon Herazo, lorsque les groupes armés illégaux sont arrivés dans la communauté ils ont essayé de réaliser “une transformation sociale au sein de la population, parmi les jeunes, chez les adolescents et chez certains des adultes, et cela a créé un problème pour nous. »
Les villageois ont non seulement souffert aux mains des groupes armés illégaux, mais aussi des actions de l’armée colombienne déployée par le gouvernement à Palenque. Dans les années qui ont suivi, dix villageois ont été tués et, selon Marquez, « Il y a beaucoup qui disent que c’est le gouvernement, l’armée, qui a tué le Palenqueros. ”
Palenque ne souffre plus désormais de la présence de groupes armés illégaux. Aucun poste de police, ni base militaire n’existe sur son territoire. « Nous avons protesté, en disant que nous n’avions pas fait le choix d’entrer dans cette guerre, que nous sommes une ville neutre”, explique Herazo. « Nous ne voulons pas d’une relation avec les forces gouvernementales ou avec les groupes illégaux. Ici, nous appliquons la loi de Palenque; pas la loi nationale « .
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Les populations de San Basilio de Palenque n’ont pas seulement survécu pendant plus de 400 ans, ayant subi l’esclavage, le colonialisme et les conflits armés contemporains de la Colombie. Ils ont également réussi à conserver un degré impressionnant d’intégrité culturelle. Au 21e siècle, les dirigeants communautaires ont l’intention de continuer à forger un chemin indépendant pour Palenque. “Nous continuons avec notre vision consistant à constituer une Afrique en Amérique. Par conséquent, nous créons des stratégies visant à maintenir la culture Palenquera ”, note Marquez. « Aujourd’hui, nous avons notre langue, nous avons notre hymne, notre drapeau, notre propre mode de vie privée. Dans notre vision, nous formons une municipalité à caractère spécial, que nous voulons transformer en un État indépendant. Ce n’est pas facile, nous savons que ce n’est pas facile, mais nous savons aussi que ce n’est pas impossible. «