L’Afrique du Sud célèbre le « Jour de la liberté »


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L’Afrique du Sud fête, ce mardi, les dix ans du « Jour de la liberté ». Le 27 avril 1994 marque la date des premières élections multiraciales dans le pays. Cette date est l’un des symboles officiels de la fin de l’Apartheid, régime ségrégationniste qui a régi l’Etat pendant près de cinquante ans.

Dix années de liberté. L’Afrique du Sud célébre, ce mardi 27 avril 2004, les dix ans du « Jour de la liberté », le jour qui a entériné officiellement la fin de l’Apartheid. Ce régime, basé sur les lois racistes de la minorité blanche, aura duré près de cinquante ans. Un demi-siècle d’une discrimination raciale institutionnalisée, qui n’a notamment cessée qu’avec le sang versé des contestataires et la condamnation tardive de ce système par la communauté internationale.

Officiellement décrété en 1948, l’Apartheid a commencé bien avant. Dès le 19e siècle, au temps des conflits entre les pionniers hollandais (Boers) et les colons anglais. Les Boers estimaient que la politique des Britanniques bénéficiait trop aux Noirs. Un sentiment exacerbé par l’abolition de l’esclavage, en 1833, par les Britanniques. Les rivalités politico-économiques aboutissent en 1899 à la « Guerre des Boers », qui prendra fin officiellement avec la confirmation officielle, en 1902, de la souveraineté britannique sur l’Union sud-africaine. Battus sur le terrain militaire, les Afrikaners (descendants des Hollandais) investissent la scène politique et intégreront les premiers gouvernements.

1913 : première loi discriminatoire

C’est en 1913 que les autorités blanches décrètent les premières lois pénalisant la communauté noire, telle que la Loi de la terre. Une législation qui limitait à 13% du pays les régions où les Noirs pouvaient acquérir des terres, généralement de médiocre qualité. Le reste du territoire, riche et fertile était réservé aux Blancs, qui représentent moins de 10% de la population. Autre mesure de marginalisation : un passeport intérieur imposé aux Noirs dès 1923 et qui permettait de contrôler leurs déplacements. Déjà, certains lieux ne leurs sont plus autorisés. Une ségrégation qui concernera même les bancs publics.

Des mesures qui s’accéléreront en 1924 avec l’arrivée du leader du Parti Uni, au pouvoir. Barry Hertzog instaure un gouvernement boer nationaliste et parvient à faire reconnaître la souveraineté du pays par le Royaume-Uni en 1926. Proche des Afrikaners, Barry Hertzog s’emploiera à souligner le clivage Noir/Blanc. En 1927, il interdit toute relation sexuelle hors mariage entre Noirs et Blancs. Dans les années 1930, alors que la récession économique attise les tensions entre les deux communautés, il ghettoïse les Africains dans les « réserves » dessinées en 1913 pour faire de l’Union sud-africaine un Etat blanc et prohibe le droit de vote aux métis. Un droit dont n’ont jamais joui les Noirs.

« Développement séparé » des races

En 1948, le Parti nationaliste remporte les élections législatives, où seuls les Blancs ont voté, et met en place la politique du « développement séparé » des races, plus communément appelé Apartheid. Une légitimisation du système de discrimination en vigueur dans le pays, incarnée à ses débuts par le Dr Daniel Malan, chef du gouvernement en 1948, dont les propos sont sans équivoque. « La différence de couleur n’est que la manifestation physique du contraste qui existe entre deux modes de vie inconciliables, entre la barbarie et la civilisation, entre le paganisme et le christianisme… Il en était ainsi à l’origine et dans l’ensemble, il en est ainsi maintenant ».

Parmi ses principales mesures, poursuivies ou accentuées par ses successeurs, étendre l’Apartheid aux Indiens et métis et classifier de la population en trois catégories : blanche, noire ou colorée ( pour les métis ). La création de homelands, Etats dans l’Etat sensés représenter chacun un groupe ethnique. L’objectif était de faire perdre aux Noirs toute possibilité d’influer sur la vie politique sud-africaine, en limitant leur pouvoir d’action à ces circonscriptions, seuls lieux où ils pouvaient voter. Un pouvoir fantoche que beaucoup refusaient, d’autant plus qu’il n’était reconnu que par les autorités en place. Entre 1976 et 1981, neuf millions de Sud-Africains vivant dans quatre homelands ( Transkei, Bophutatswana, Venda et Ciskei) ont perdu leur nationalité et avaient besoin de passeports pour voyager dans le reste du pays. Le peu de Noirs qui vivaient en dehors des homelands, parce qu’ils avaient des permis de travail leur permettant de résider dans les zones urbaines, étaient régulièrement contrôlés et soumis à des couvre-feu très stricts. Ceux qui n’avaient pas de permis devaient faire chaque jour de longs trajets pour aller travailler.

Programme d’extermination biologique

Les Noirs ont aussi été déportés à l’intérieur du pays. Ils ont été expulsés des « terres blanches » comme « excédents » de la communauté noires (tenanciers et squatters) pour moderniser l’agriculture. Résultat : entre 1960 et 1983, près de 2,6 millions de Noirs auraient été chassés et renvoyés vers les réserves. Les Indiens et les métis ont également été chassés des zones blanches. Une tentative d’extermination aurait même été conçue. Le Project Coast, programme militaire secret d’armes chimiques, visait notamment à créer « une molécule mortelle, sensible à la mélanine qui pigmente la peau des Noirs. Autrement dit, une arme d’extermination éthniquement sélective », explique Tristan Mendès-France, journaliste et auteur de Dr la Mort : Enquête sur un bioterrorisme d’Etat en Afrique du Sud.

Sous l’Apartheid, toute opposition politique au système en place est interdite. Sous peine d’amende, d’emprisonnement, de torture ou de coups de fouet. Le Parti communiste, multiracial est interdit en 1950. Dix ans plus tard, ce sera au tour du Congrès national africain (ANC) et du Congrès panafricain d’être mis hors la loi. Des leaders politiques sont emprisonnés, à l’image de Nelson Mandela, membre de l’ANC, emprisonné à vie en 1964, et qui deviendra le symbole international de la lutte contre l’Apartheid. Toute manifestation contre le pouvoir est sévèrement réprimée. Comme à Sharpeville où, en 1960, de nombreux Noirs refusent de porter leurs passeports spéciaux. Le gouvernement déclare l’Etat d’urgence, l’affaire finira dans un bain de sang. Autre exemple, les émeutes sanglantes des townships (des banlieues ouvrières), Soweto entre autres, en 1976, où quelque quatre cents personnes trouvèrent la mort.

Pression internationale

Les violences isolent l’Etat de la scène internationale. Critiqué pour sa politique par le Commonwealth, il se retire de l’organisation juste avant la proclamation de la République d’Afrique du Sud en 1961. Un coup fatal est porté au pays lorsque l’Europe et les Etats-Unis décident le boycott économique. Autant de facteurs qui poussent, peu à peu, les dirigeants à assouplir leur politique. En 1979 les syndicats noirs sont légalisés et les partis multiraciaux sont autorisés en 1985.

Face à la pression internationale, le Président Pieter Willem Botha annonce, en 1986, la fin juridique de l’Apartheid. Les passeports réglementant les mouvements vers les villes disparaissent. Il démissionne trois ans plus tard et cède sa place à Frederik Willem De Klerk. Ce dernier fera sortir Nelson Mandela de prison et légalisera l’ANC en 1990. L’année suivante, il fait abolir l’Apartheid par le Parlement. Le 27 avril 1994 est proclamé « Jour de la liberté » pour tous les Sud-Africains, appelés à participer aux premières élections multiraciales, qui porteront l’ANC au pouvoir. Nelson Mandela devient le premier Président noir du pays.

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