La Journée africaine de la statistique est célébrée ce 18 novembre. L’occasion pour la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) de rappeler aux décideurs politiques africains la nécessité de concevoir des stratégies nationales de développement de la statistique.
La communauté statistique internationale célèbre ce 18 novembre la Journée africaine de la statistique (Jas). Elle est placée, cette année, sous le thème « Les stratégies nationales de développement de la statistique (SNDS) : la planification statistique au service du développement dynamique ». Cette célébration est l’occasion pour les Nations Unies, notamment pour la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), qui est l’instigatrice de l’événement, de rappeler aux pays africains la nécessité de stimuler la production de statistiques. La conception et la mise en œuvre d’une stratégie nationale étant une étape majeure dans ce processus.
« Ce thème est très approprié dans la mesure où les Etats doivent être sensibilisés au fait qu’ils ont besoin d’un plan d’action au niveau national. Et que les décideurs politiques et les statisticiens doivent y travailler ensemble, explique Paul Cheung, directeur de la division statistique au Département des affaires économiques et sociales du Secrétariat des Nations Unies. « Une grande attention est accordée au développement des statistiques en Afrique, poursuit-il. Car il est important, surtout sur ce continent, de mesurer l’impact des politiques de développement. Les statistiques sont un outil important pour y parvenir ». Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) donnent toute son acuité à cette problématique car leur réalisation exige d’être suivie et mesurée.
Les statistiques : un instrument au service du développement
« La stratégie nationale de développement de la statistique, selon Paul Cheung, est un moyen d’aider les Etats africains à mettre en place un système fiable et performant. C’est aussi l’occasion de sensibiliser les politiques à la nécessité de la développer ». L’une des missions du « Partenariat statistique au service du développement au XXIe siècle » (PARIS21) est justement d’apporter son soutien aux pays africains dans cette démarche. Le consortium a été créé en 1999 par l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE), la Banque Mondiale, la Commission européenne, le Fonds monétaire international et les Nations Unies. Là où beaucoup de pays africains avaient un programme pour l’organisation centrale en charge de l’activité statistique, précise Gérard Chenais, consultant senior en statistiques à l’OCDE, « le SNDS permet désormais de prendre en compte l’ensemble de la statistique dans le pays ». C’est aussi un premier pas pour surmonter les diverses difficultés auxquelles les pays africains doivent faire face…
« La première, affirme Paul Cheug, tient à la volonté politique qui va de pair avec la mise à disposition des ressources financières. Ce volet renvoie également à l’instabilité politique qui ne permet pas de penser au développement d’un système statistique. La seconde est relative aux ressources financières. Dans certains pays, il arrive que les structures statistiques mises en place soient de grande qualité, mais qu’elles ne disposent pas des ressources suffisantes pour fonctionner. Enfin la troisième, indique Paul Cheung, et non la moindre, tient aux ressources humaines ». Birimpo Lompo, directeur général adjoint d’Afristat, l’Observatoire économique et statistique d’Afrique Subsaharienne, illustre cette situation. Il évoque le cas où des enseignants sont en charge de l’activité statistique dans le secteur de l’éducation alors qu’il faudrait faire appel à des statisticiens spécialisés.
Une équation à plusieurs variables
Trouver les compétences, notamment pour gérer, est un problème auquel est confronté l’Afrique du Sud. « Deux aspects sont à prendre en compte quand on parle de l’activité statistique, affirme Pali Lehohla, le directeur de Statistics South Africa, l’agence nationale sud-africaine. Il faut, d’une part collecter, traiter, analyser et disséminer les données et, d’autre part, gérer leur perception. Cela requiert des personnes d’un certain niveau de formation intellectuelle et tous ces paramètres sont d’égale importance. Le véritable enjeu réside dans la façon dont on réussit à gérer cet ensemble tout en tenant compte des contraintes politiques, technologiques et logistiques. Disposer d’un système statistique performant suppose par conséquent un bon leadership. »
En Tunisie, le problème se pose en d’autres termes, selon Ferchiou Ridha, Président du Conseil national de la statistique (CNS) qui coordonne l’activité statistique et suscite le dialogue et la concertation entre « les producteurs et les utilisateurs de données statistiques ». Il s’agit plutôt, pour lui, de réussir à faire collaborer entre elles toutes les ressources disponibles. « Le vrai défi n’est ni le savoir-faire ni le coût parce qu’avec un petit ordinateur, on peut faire beaucoup de choses. Le vrai défi est culturel. Il faut changer la mentalité des gens pour qu’ils apprennent à travailler ensemble. C’est à cela que nous nous employons.» L’Ethiopienne Samia Zakaria Gutu, la directrice générale de la Central statistical agency, l’Agence nationale de statistique, n’est pas loin de partager cet avis. « Quand on mène des enquêtes au niveau des ménages, nous ne rencontrons aucune difficulté. Les personnes rencontrées se soumettent volontiers à nos requêtes. Mais les entreprises, par contre, sont très peu coopératives », note-t-elle.
Des obstacles franchissables
Ce constat fait état de quelques uns des obstacles que les statisticiens africains rencontrent sur le terrain pour mener à bien leurs enquêtes. «La collecte de données est toujours un challenge : c’est une démarche intrusive qui touche à la liberté des gens. Cependant, se posent également des problèmes logistiques. Car il faut aller dans les régions les plus reculées du pays pour accéder à la bonne information, afin de disposer de données qui seront représentatives. » Autre handicap : la structure économique des pays africains où domine l’informel, un paramètre dont tient compte la SNDS. L’argent aussi peut faire défaut. Néanmoins des pays comme l’Afrique du Sud et la Tunisie échappent à ce dernier cas de figure. Dans ces pays, tout comme en Ethiopie, la volonté politique fait toute la différence. Bien que l’activité statistique soit onéreuse, pour le Sud-Africain Pali Lehohla, la question doit relever plutôt « d’un arbitrage entre le prix de la connaissance, et le coût de l’ignorance, pour l’avenir d’une nation ».
« Aujourd’hui, avance Ferchiou Ridha, la compétitivité des économies nationales et des entreprises passe par une bonne information statistique. Le commerce international représente plus de 60% du PIB de la Tunisie. Nous sommes donc tenus de développer notre système statistique ». Depuis 1999, le gouvernement tunisien a ainsi entamé une réforme profonde de son secteur statistique qui a conduit notamment à la création du CNS. Si la plupart des pays africains n’ont pas produit de SNDS, il n’en demeure pas moins que nombre d’entre eux disposent déjà de cadres de référence nationaux qu’il faut maintenant faire évoluer vers une stratégie globale. Pour Gérard Chenais, de l’OCDE, qui sillonne le continent africain depuis une vingtaine d’années, « la situation s’est nettement améliorée » en matière de système statistique. Dans leur propre intérêt et celui de leurs pays, il appartient maintenant aux dirigeants africains de confirmer cette tendance.
Voir aussi :
« Mettre l’Afrique en Equations »