La violence qui a suivi les élections au Kenya a provoqué de graves inquiétudes ; ainsi les pays voisins constatent qu’ils comptent parmi les victimes de cette crise. Avant les troubles, les cinq pays de la Communauté d’Afrique de l’Est – Kenya, Tanzanie, Rwanda, Burundi et Ouganda – s’attendaient à voir leur produit intérieur brut cumulé croître de 6 % en 2008. On prévoit maintenant que le taux de croissance de la région sera inférieur d’au moins 1,5 point de pourcentage. Et réduire la vulnérabilité de la région à de futurs troubles au Kenya pourrait être difficile et coûteux.
Le Secrétaire général adjoint de l’ONU aux affaires humanitaires, John Holmes, a déclaré que la crise du Kenya avait eu des répercussions particulièrement graves dans la région, car ce pays constitue depuis longtemps le cœur du réseau de transport de l’Afrique de l’Est. Plus de 80 % des importations ougandaises passent par le port de Mombasa, ainsi que toutes les exportations du Rwanda. Les échanges commerciaux et l’aide humanitaire apportée au Burundi, à l’Est de la RDC, à certaines régions du nord de la Tanzanie et au Sud-Soudan transitent également par ce port.
Nœud de transport
Le commerce et l’activité économique ont été gravement perturbés dans cette région qui s’efforce de parvenir à l’intégration économique. La plupart des marchandises qui passent par le port sont également acheminées par le Corridor du Nord, un réseau de routes qui traversent le Kenya. Chaque jour, quelque 4 000 véhicules légers, 1 250 camions et 400 bus empruntent ce réseau pour transporter plus de 10 millions de tonnes de marchandises vers le Soudan, l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi. Janvier et début février, une quarantaine de barrages routiers illégaux les en ont empêchés.
Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU estime que le prix de l’essence a augmenté de 50 % dans certains cas en Ouganda, dans l’Est de la RDC et au Burundi. Le prix des produits pétroliers a plus que doublé à Kigali (Rwanda) et de graves pénuries ont incité le gouvernement à rationner l’essence.
D’après l’Association des producteurs manufacturiers ougandais, le prix des denrées alimentaires a augmenté d’environ 15 % et le taux d’inflation a atteint 6,5 % en janvier. À la mi-février, les producteurs manufacturiers avaient perdu 43 millions de dollars du fait des retards occasionnels, de la destruction de produits et du ralentissement de la production. Le fisc ougandais a annoncé un manque à gagner qui pourrait atteindre 600 000 dollars par jour.
Le trafic aérien entre le Rwanda, le Burundi et le Kenya a diminué en raison du coût élevé du kérosène. Kenya Airways, la plus grande compagnie aérienne de la région, a suspendu ses vols directs avec Paris, ce qui a nui aux passagers du Burundi, du Rwanda, de la RDC, des Seychelles et des Comores. Les compagnies d’autocar effectuant les liaisons Nairobi-Kampala et Nairobi-Kigali ont également réduit leur nombre de trajets, du fait de l’insécurité et de la lenteur des convois sécurisés.
Les secours menacés
La perturbation du transport de l’aide alimentaire et d’autres formes d’assistance humanitaire à environ 7 millions de réfugiés et de personnes déplacées dans la région est également préoccupante. Beaucoup dépendent pour leur survie du soutien direct du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies et d’autres groupes humanitaires. Le PAM fait transiter chaque jour un millier de tonnes de denrées alimentaires par le port de Mombasa. D’après Alistair Cook, chargé de la logistique au PAM, les barrages routiers de longue durée menacent de famine les réfugiés.
L’autre trajet possible, qui passe par la Tanzanie, entraîne des coûts supérieurs de 20 % et dure deux semaines de plus. Il faudrait d’abord acheminer l’aide par la route de Mombasa à Dar es-Salaam sur 1000 km, et ensuite par voie ferrée sur 980 km jusqu’aux entrepôts et centres de meunerie du PAM situés dans l’ouest de la Tanzanie. De là, il faudrait ensuite traverser en bateau le lac Victoria pour atteindre l’Ouganda et arriver en camion au Sud-Soudan et en RDC.
Dépendance excessive
Cette crise a mis en lumière la “dépendance excessive” de la région à l’égard de l’infrastructure de transport du Kenya, et notamment du port de Mombasa. Il est prévu depuis un certain nombre d’années de réduire cette dépendance, sans que les mesures nécessaires aient été prises. Le pétrole et les autres importations destinés à l’Ouganda peuvent être acheminés par la Tanzanie, mais la route s’arrête au lac Victoria et il faut ensuite transporter les produits par bateau. L’Ouganda ne dispose d’aucun bateau en bon état.
En janvier, le Rwanda a signé un accord qui lui permettra d’obtenir des produits pétroliers par voie ferrée depuis le port principal de Dar es-Salaam. Mais la distance et le mauvais état des routes et voies ferrées tanzaniennes rendent cette opération coûteuse. Les experts estiment qu’en améliorant son infrastructure, la Tanzanie pourrait jouer un rôle plus important dans l’économie de la région, mais il s’agit là d’une possibilité à long terme, pas d’une solution à court terme
Lors d’une réunion de banquiers de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), son Secrétaire général, Juma Mwapachu, a déclaré que les perturbations économiques à ce jour ¬- et le risque qu’elles se poursuivent si la situation ne revient pas bientôt à la normale – inquiètent particulièrement les cinq Etats membres de la Communauté. Les débats ont essentiellement porté sur les différents moyens de renforcer les autres itinéraires de transport.
Face à la reprise de la violence au Kenya et à ses risques de répercussions dans l’ensemble de la région, les donateurs ont fait pression pour que le problème soit rapidement et véritablement réglé. Avec la signature de l’accord de partage du pouvoir, le pays semble s’être engagé dans la bonne voie. Mais les experts reconnaissent qu’il reste beaucoup à faire pour garantir la paix. “Nous ne pouvons pas nous permettre d’échouer, a déclaré M. Annan. Il ne s’agit pas du sort de partis politiques ou d’individus. Il s’agit du Kenya et de sa région.”
Par Mary Kimani, pour Afrique Renouveau, un magazine de l’Organisation des Nations Unies
Photo : Zohra Bensemra/Reuters