On les appelle les orphelins du sida. Ces enfants de moins de 15 ans qui ont perdu leur mère ou leurs deux parents à cause de cette maladie sont aujourd’hui 13,2 millions dans le monde, selon l’ONUsida. Mais 90% d’entre eux environ vivent en Afrique sub-saharienne. Un drame humain d’une ampleur encore jamais vue. Un défi redoutable pour les communautés et les gouvernements.
» La pandémie de VIH produit des orphelins à une échelle sans pareil dans l’Histoire » avertit Susan Hunter, auteur d’un rapport sur ce sujet pour l’Agence américaine pour le développement international (USAID). Les chiffres, qui ne cessent d’augmenter d’année en année, sont, de fait, accablants. Ainsi, fin 1999, selon l’ONUsida, l’Ouganda, pays qui a la plus grande proportion d’orphelins dans le monde, en comptait 1 700 000, l’Ethiopie 1 200 000, la Tanzanie 1 100 000, le Zimbabwe 900 000.
Or, la progression fulgurante de l’épidémie, particulièrement dans les pays d’Afrique australe, laisse penser que le pire est malheureusement encore à venir. D’après l’USAID, d’ici 2010, près de 28 millions d’enfants en Afrique se verront privés d’au moins un de leurs parents par le sida ; ce sera le cas d’environ un enfant sur trois en Namibie, au Swaziland, au Zimbabwe et en Afrique du Sud, pays qui présentent aujourd’hui les taux de prévalence les plus élevés du monde. Car l’une des caractéristiques du sida est d’affecter majoritairement de jeunes adultes, qui, par conséquent, sont dans un grand nombre de cas également parents.
Le pire est à venir
D’ores et déjà, dans les pays les plus affectés, les systèmes traditionnels de protection des enfants s’effondrent, les structures familiales ne peuvent plus faire face. Il est de plus en plus fréquent de rencontrer des familles africaines composées de grands-parents, souvent une grand-mère, et de petits-enfants, ou encore des adolescents, parfois âgés de moins de quinze ans, chefs de famille, prenant en charge leurs jeunes frères et soeurs. Dans le pire des cas, les orphelins, entièrement laissés à eux-mêmes, vont gonfler le nombre des enfants des rues. A Lusaka, la capitale de la Zambie, il a ainsi plus que doublé entre 1991 et 1999, passant de 35 000 à 75 000.
Mais quelle que soit leur situation, les orphelins se retrouvent tous dans une situation de très grande vulnérabilité. Car leurs familles, privées des ressources de leurs membres les plus productifs, sont considérablement appauvries par la maladie. Des études, réalisées dans des foyers urbains de Côte d’Ivoire, montrent, par exemple, que lorsqu’un membre de la famille est atteint du sida, les revenus moyens diminuent de 52 à 67%, tandis que les dépenses de santé quadruplent. En outre, les enfants sont souvent recueillis par des femmes, qui, d’une façon générale en Afrique, ont un accès plus difficile à la propriété et à l’emploi.
Privés des soins les plus élémentaires
Les orphelins sont par conséquent davantage exposés que les autres enfants à la malnutrition, l’analphabétisme et la maladie. Selon la Banque mondiale, la moitié de ces enfants souffriraient d’un retard de croissance. Contraints de travailler pour nourrir leur famille, beaucoup sont privés d’instruction. Une enquête réalisée dans les zones rurales de Zambie indique que 68% des orphelins ne sont pas scolarisés, contre 48% pour les autres enfants. Parfois, c’est la peur qu’engendre le sida qui leur ferme la porte des écoles, ou leur interdit même l’accès aux soins de santé. Ils sont ainsi moins vaccinés que les autres enfants et leurs problèmes médicaux sont souvent négligés.
Face à ce drame, » la meilleure solution n’est pas de placer les enfants dans des orphelinats onéreux et souvent inférieurs aux standards requis, estime John Williamson, co-auteur du rapport pour l’USAID, mais d’aider les membres de leur famille qui les recueillent et leur communauté « . Même si la mobilisation est loin d’être à la hauteur du problème, des initiatives sont malgré tout prises dans ce sens depuis quelques années. Au Malawi, par exemple, des crèches sont mises en place par des organisations communautaires pour améliorer la prise en charge tant éducative que médicale des orphelins. Le gouvernement travaille par ailleurs à une modification des lois afin de leur assurer une meilleure protection. Dans de nombreux pays africains en effet, les droits d’héritage des veuves et des orphelins notamment ne sont pas reconnus, ce qui a pour effet de priver les enfants de tout bien et de rendre leurs conditions de survie encore plus précaires.
Catherine Le Palud