Victor Dupont, chercheur français de 27 ans, a été arrêté le 19 octobre à Tunis pour « atteinte à la sûreté de l’État ». Cette arrestation, menée par la justice militaire tunisienne, met en lumière les tensions croissantes entre liberté académique et sécurité nationale, dans un contexte de relations franco-tunisiennes déjà fragilisées. Le jeune doctorant, rattaché au Conseil européen de la recherche (ERC), menait des travaux sur les trajectoires socio-professionnelles des jeunes engagés durant la Révolution de 2011 lorsqu’il a été appréhendé, pour des motifs qui restent à ce jour insuffisamment précisés par les autorités. Pour autant, la pression des autorités françaises est ressentie à Tunis comme une ingérence qui ne devrait pas être toléré entre égaux.
Victor Dupont se trouve sous mandat de dépôt pour « atteinte à la sûreté de l’État », un chef d’accusation généralement réservé aux menaces sécuritaires graves. Bien qu’il soit présenté par son directeur de recherche comme un chercheur menant une étude sur les trajectoires socio-professionnelles des jeunes engagés durant la Révolution de 2011, les autorités tunisiennes n’ont pas précisé les raisons exactes de son arrestation. Cette absence de transparence alimente les spéculations et accroît la pression sur les relations franco-tunisiennes.
Soutien diplomatique et mobilisation familiale
La France s’est rapidement mobilisée en faveur de Dupont. Le ministère des Affaires étrangères a confirmé son suivi étroit du dossier et a annoncé que le chercheur bénéficiait de la protection consulaire. Sa famille, arrivée en Tunisie, appelle également à sa libération, plaidant pour un traitement juste et équitable.
Vincent Geisser, directeur de l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (Iremam), a exprimé son incompréhension et sa colère, estimant qu’il est exceptionnel et injustifié qu’un chercheur français soit déféré devant la justice militaire tunisienne. Ce soutien soulève toutefois des réactions mitigées dans la sphère publique tunisienne, où certains voient une tentative d’ingérence française dans les affaires judiciaires internes.
Divergences d’interprétation entre la France et la Tunisie
Les médias tunisiens ont réagi avec virulence, critiquant ce qu’ils perçoivent comme une tentative de minimisation des faits par les autorités françaises. Plusieurs articles ont dénoncé le manque de rigueur scientifique et les possibles infractions aux normes éthiques qu’aurait commises Dupont dans le cadre de sa recherche. Selon certains commentateurs, les autorités tunisiennes estiment que le chercheur n’aurait pas respecté les précautions nécessaires, notamment en matière de devis de recherche et de consentement des participants. Ces critiques s’inscrivent dans un débat plus large sur les relations académiques internationales et leur encadrement.
La Tunisie connaît actuellement une période de tensions politiques importantes. Des figures de l’opposition, des journalistes, des avocats et des syndicalistes ont été arrêtés ces derniers mois, suscitant des inquiétudes au sein de la communauté internationale. Le président Kaïs Saïed justifie ces actions comme des mesures nécessaires pour préserver la stabilité de la nation face aux menaces internes. Dans ce climat tendu, l’affaire Dupont s’inscrit comme un nouveau point de friction dans les relations franco-tunisiennes.
Un dossier complexe entre éthique de la recherche et souveraineté nationale
Pour les autorités tunisiennes, la recherche de Dupont aurait dû suivre des protocoles éthiques plus stricts, comme la présence d’un co-encadrement local, un devis de recherche détaillé et des autorisations éthiques. À leurs yeux, les travaux de Dupont manqueraient de rigueur scientifique. Cette approche, jugée nécessaire en Tunisie, entre cependant en contradiction avec la liberté académique défendue en France, où les chercheurs sont encouragés à explorer des sujets sensibles dans le respect des normes éthiques internationales.
Cette affaire illustre une nouvelle fois les les relations ambivalentes entre la France et ses anciennes colonies. Alors que la Tunisie est traversées par des tensions sur la migration, la sécurité régionale et la souveraineté nationale, l’Europe en général et la France en particulier n’ont pas pris en compte l’évolution du pays depuis 10 ans. Le dialogue entre les deux pays se poursuit dans un contexte où le président Saïed exprime régulièrement des positions critiques vis-à-vis des influences occidentales dans les affaires tunisiennes alors que la France se croit encore trop souvent dans une relation déséquilibrée.
La résolution de ce cas constituera sans doute un précédent important pour l’avenir de la coopération académique entre l’Europe et le monde arabe.