Le pari est osé. Adapter l’affaire Ben Barka à la télévision. L’histoire de ce leader charismatique marocain, enlevé et assassiné le 29 octobre 1965 à Paris, à l’origine de l’éphémère tiers-mondisme qui visait à unir les mouvements de libération d’Afrique, d’Amérique du sud et d’Asie. Dans un entretien accordé à Afrik.com, le réalisateur de cette fiction, Jean-Pierre Sinapi, revient sur l’adaptation en images de cet événement historique.
25 octobre 1969. 12h30, devant la brasserie Lipp. Mehdi Ben Barka, le chef de file de l’opposition de gauche au roi du Maroc Hassan II, est arrêté par deux policiers français. Ce jour là, il avait rendez-vous avec un journaliste et un producteur pour la préparation d’un film documentaire dont il avait accepté d’être le conseiller politique. A l’origine de la Tricontinentale, qui visait à unir les mouvements de libération d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du sud, l’activiste Ben Barka entendait se faire connaître par ce documentaire. Entre intrigues politiques sur les deux rives de la Méditerranée et enquête controversée, l’affaire Ben Barka, diffusée sur France 2, réussit le pari de retracer habilement l’un des plus grands scandales de la Vème République. Dans une interview accordée à Afrik, le réalisateur de cette fiction, Jean-Pierre Sinapi, revient sur ce film événement.
Afrik.com : Selon vous, d’où vient ce regain d’intérêt pour cette affaire ?
Jean-Pierre Sinapi : Depuis quelques années les chaînes publiques et privées s’intéressent aux personnages historiques. Elles s’emparent des grands thèmes de l’histoire politique française. Mehdi Ben Barka a marqué son temps. Il était perçu comme un homme politique charismatique. Il avait l’aura et le talent. Il incarnait une troisième voie pour les pays émergents entre le capitalisme à l’américaine et le communisme à la soviétique. Evoquer Ben Barka, c’est parler directement de ce qui nous concerne aujourd’hui.
Afrik.com : Pourquoi avoir réalisé l’Affaire Ben Barka ?
Jean-Pierre Sinapi : D’abord parce que c’est un homme que j’admire. Il est, selon moi, à mettre dans le Panthéon des grands hommes politiques. Deuxièmement parce -que l’affaire Ben Barka fait parti intégrante de l’histoire de la France et qu’elle doit être connue de tous. Et enfin, parce-que pour un cinéaste, réaliser une fiction qui joue à là fois sur le polar noir, pour le premier épisode, et sur le thriller, pour le second, est une très belle opportunité.
Afrik.Com : Vous avez utilisé de vraies images d’archives ou des images reconstituées…Vous pouvez nous en parler ?
Jean-Pierre Sinapi : Mehdi Ben Barka a été piégé à cause d’un film documentaire sur la décolonisation. D’où mon envie de jouer avec les images et les supports. J’ai inventé la passion pour le cinéma de sa femme Rita qui tourne des petits films de famille. Il existe au sein de ce film plusieurs vérités, plusieurs points de vue qui s’affrontent, se complètent. Il faut que le téléspectateur se ballade et croise des images d’archives sans sortir pour autant de la fiction. Entre autre, Ben Barka croyait au pouvoir de l’image. Il était persuadé qu’un film pouvait changer le cours de l’histoire. J’en suis moi-aussi convaincu.
Afrik.com : Pourquoi avoir choisi le comique Atmen Kélif pour interpréter Mehdi Ben Barka ?
Jean-Pierre Sinapi : Je cherchais quelqu’un qui ressemblait physiquement à Ben Barka, petit, très nerveux et charismatique. Atmen était parfait. De plus, je l’avais vu dans le film Merci mon chien[[Merci mon chien de Philippe Galand, 1999]] où il jouait un Pakistanais, sa composition était incroyable. Pour moi, une fois qu’on sait faire rire les gens on sait tout jouer. C’est le cas pour Atmen Kélif qui s’est beaucoup investi pour interpréter ce personnage.
Afrik.com : Le fils de Mehdi Ben Barka a estimé que votre film était plein de contre-vérité et regrette sa diffusion alors que l’affaire est en cours. Que lui répondez-vous ?
Jean-Pierre Sinapi : Je pense que les deux scénaristes Jacques Labib et Philippe Madral ont fait de l’excellent travail. Ils se sont beaucoup documentés. Ils ont eu accès à des éléments nouveaux sur cette affaire. Pour moi, ce film est la version la plus proche de la réalité. Maintenant que cette fiction soit diffusée alors que la procédure est en cours ne me dérange aucunement. S’il fallait attendre que toutes les affaires soient réglées…
L’affaire Ben Barka, sur France 2, lundi 22 février et mardi 23 février à 20h50
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