L’affaire Ben Barka : retour sur un mystère


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Mehdi Ben Barka
Mehdi Ben Barka

L’affaire Ben Barka est sans aucun doute le plus grand scandale politique franco-marocain du XXe siècle. Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka, opposant socialiste du régime Hassan II, est enlevé dans la capitale française en pleine rue.

Nous connaissons le début de l’histoire, mais la fin est un flou total. De nombreuses années se sont écoulées depuis le kidnapping de Mehdi Ben Barka en plein cœur de Paris, devant la brasserie Lipp. Plusieurs versions se contredisent quant au dénouement de l’histoire. Qu’est-il arrivé au plus célèbre opposant marocain de notre époque ?

Né en janvier 1920 à Rabat, Maroc, Mehdi Ben Barka était un homme politique et un farouche opposant du roi Hassan II. Pourtant, ce même souverain a été l’élève de Ben Barka au Collège royal de Rabat. C’était l’époque où l’opposant socialiste était fréquentable. Il a fait partie de ceux qui ont lutté contre le protectorat français au Maroc. En 1943, il confirme son engagement politique en participant à la création du Parti de l’Istiqlal, (ndlr : Parti de l’indépendance). Il jouera un rôle actif dans les négociations ayant mis un terme, en 1955, à l’exil du roi Mohammed V. Il occupera la place de président de l’Assemblée consultative à la fin du protectorat, de 1956 à 1959. Mais Ben Barka ne supporte plus le conservatisme du parti et décide de fonder en 1959 l’Union nationale des Forces populaires (UNFP). Le voilà qui défie la monarchie.

Le roi est mort, vive le roi !

L’annonce de la mort de Mohammed V n’est pas une bonne nouvelle pour Ben Barka. L’arrivée d’Hassan II au pouvoir l’oblige à s’exiler en France. Toutefois, le nouveau souverain déclare vouloir la paix avec son principal opposant. En mai 1962, Ben Barka décide alors de revenir au Maroc. Était-ce un piège pour mieux se débarrasser du leader tiers-mondiste ? Quelques mois plus tard, il échappe à un curieux accident de voiture. Il se murmure que le général Oufkir, alors ministre marocain de l’intérieur, et le colonel Dlimi, à l’époque directeur de la sûreté marocaine, sont à l’origine de cette tentative de meurtre. Juin 1963, Ben Barka est accusé de complot contre la monarchie et s’exile de nouveau à Paris. Alors que feu Hassan II tente de démanteler l’UNFP, Ben Barka est jugé par contumace pour complot et tentative d’assassinat contre le roi.

Les faits

Acte 1 : L’enlèvement. Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka est abordé par deux policiers français devant la brasserie Lipp, situé sur le boulevard Saint-Germain. Ils l’emmènent avec eux à bord d’une 403. Le chef d’escale d’Orly Antoine Lopez est également à bord du véhicule prêt à escorter Ben Barka dans la villa de Georges Boucheseiche, à Fontenay-le-Vicomte. Bien que discret, Boucheseiche est l’homme de toutes les embrouilles. De la Gestapo, il atterri dans le gang des « Tractions Avant » dans les années 1960. Une bande de malfaiteurs de Pigalle formée à la fin de la 2nd guerre mondiale.

Acte 2 : l’arrivée chez Boucheseiche. Cet épisode reste énigmatique. Selon certains, le leader de la gauche marocaine aurait été torturé par Boucheseiche et sa bande. Ahmed Boukhari, ancien agent secret marocain, prétend que le général Oufkir et le colonel Dlimi auraient brutalisé et tué l’opposant marocain. De son côté, Lopez a confié, en 2000, dans les tribunes du Parisien, que c’est Boucheseiche l’assassin « accidentel » de Ben Barka. Il aurait asséné un coup fatal au révolutionnaire qui commençait à se débattre en voyant arriver le général Oufkir, son ennemi juré. Une chose est sûre, que ce soit les uns ou les autres, les protagonistes ont réussi à ne laisser aucune trace du corps. Les malfaiteurs, Lopez en tête, ont longtemps prétendu que Mehdi Ben Barka avait été enterré près de la ville de Fontenay, alors que d’anciens prisonniers politiques marocains ont affirmé que celui-ci a été enterré au PF3 (ndlr : Point Fixe n°3), une prison secrète à Rabat.

Les révélations de Boukhari : info ou intox ?

Coup de théâtre ! En 2001, Ahmed Boukhari, ex agent secret du « Cab 1 » (ndlr : cabinet 1 des services secrets marocains), a affirmé avoir assisté à l’exécution de Ben Barka. Selon lui, Oufkir et Dlimi sont à l’origine de la mort du tiers-mondiste. Ben Barka aurait ensuite été transporté au Maroc où son corps aurait été dissous dans une cuve d’acide. Le journaliste de France 3 Joseph Tual, qui a longuement enquêté sur cette affaire, a vivement critiqué Ahmed Boukhari indiquant que ses déclarations étaient infondées et imaginaires.

« C’est l’effet de mon inexpérience »

A l’époque, le général de Gaulle affirmait n’être au courant de rien. Pourtant, à en croire les déclarations de Lopez, un représentant du ministère français de l’Intérieur était présent ce fameux 29 octobre 1965. Le général Oufkir aurait même demandé l’aide de son homologue français, Roger Frey, pour effacer les traces d’un enlèvement qui a viré au drame. Et si c’était vrai, comment de Gaulle pouvait ne pas être au courant ? Lors d’une conférence de presse à l’Elysée, le 21 février 1966, un journaliste le questionne au sujet de l’affaire Ben Barka. Il lui demande pourquoi n’a-t-il pas « donner au peuple français des informations » qui lui aurait permis de « juger les actions de son gouvernement dans cette affaire ». En réponse, le général de Gaulle gratifie l’assemblée enthousiaste d’une de ses fameuses réparties : « C’est l’effet de mon inexpérience ». « Du côté français que s’est-il passé ? Rien que de vulgaire et de subalterne. Rien, absolument rien, n’indique que le contre-espionnage et la police, en tant que tels et dans leur ensemble, aient connu l’opération, a fortiori qu’ils l’aient couverte », a-t-il ajouté.

Aujourd’hui encore, la vérité sur le plus gros crime d’Etat perpétré par le Maroc avec la complicité de la France n’a toujours pas éclaté. Une troisième version sur la mort de Mehdi Ben Barka a été révélée en 2009 par l’écrivain Georges Fleury. D’après lui, le corps pourrait être incinéré dans l’Essonne. Il affirme être en possession d’un rapport de gendarmerie inconnu jusqu’à présent, consacré à la disparition de l’opposant marocain. A quand la version officielle, celle du royaume chérifien et de la France?

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