Mi-novembre 2024, l’influenceur ivoirien Stéphane Agbré – connu sur les réseaux sociaux sous le pseudo d’Apoutchou National – a été arrêté pour des soupçons de blanchiment d’argent à la suite de la publication d’une vidéo où il exhibait un sac débordant de liasses de billets.
Si l’enquête est toujours en cours, cette affaire, qui a eu un large retentissement dans le pays, est un signal fort envoyé par Abidjan qui multiplie les mesures contre le blanchiment de capitaux.
Le cas d’Apoutchou National, un symbole fort
La vidéo avait fait le buzz sur Facebook mi-novembre. On y voit Apoutchou National vider un sac Louis Vuitton comportant de nombreuses liasses de billets en coupures de millions de francs CFA. À première vue, rien d’original dans un univers, celui du coupé-décalé, où l’ostentation fait figure de norme. Pourtant, les internautes ont immédiatement témoigné leur indignation devant cette scène extravagante et la polémique n’a pas tardé à devenir virale. D’où venait cet argent ? Comment ce jeune influenceur l’avait-il obtenu ? C’est cette même question que la police financière du parquet d’Abidjan a posée à l’influenceur quelques jours plus tard.
L’inculpé a soutenu devant les enquêteurs que l’argent exhibé lui aurait été prêté pour acheter une voiture. Il appartiendrait à un bookmaker, Leonel Akobé, alias Leonel PCS, célèbre en ligne pour ses conseils en paris sportifs. À la suite de ces déclarations, Stéphane Agbré, Leonel Akobé et trois autres suspects ont été placés sous mandat de dépôt, tandis qu’une information judiciaire a été ouverte à leur encontre pour blanchiment d’argent, prises de paris illicites et transferts financiers non autorisés via les réseaux électroniques. En attendant les résultats de l’enquête qui cherche à déterminer l’origine des fonds, les accusés risquent jusqu’à cinq ans de prison et une amende de 246 millions de FCFA (375 000 euros). Une sanction qui pourrait servir d’avertissement dans un contexte où la justice ivoirienne accélère la lutte contre l’argent sale.
La guerre contre l’argent sale
L’affaire Apoutchou n’est pas qu’un simple fait divers. Elle est le dernier rebondissement d’une guerre que le gouvernement ivoirien a déclarée contre l’argent sale il y a plus de dix ans et qu’il est décidé à intensifier. En témoignent les sanctions sévères qui ont été appliquées dans plusieurs affaires retentissantes d’escroquerie, que ce soient dans l’agrobusiness en 2017, où les avoirs de plusieurs entreprises ont été gelés pour rembourser les capitaux investis aux souscripteurs lésés, ou dans le secteur des transports en 2024, avec la condamnation à un an de prison ferme de Koffo Doga Séverin, ex-PDG de KDS Holding, une entreprise de VTC. Le secteur bancaire est lui aussi surveillé de près. Plusieurs instructions judiciaires ont notamment été lancées contre le groupe Orabank, la dernière en date concernant un produit de cash management proposé par la banque qui aurait provoqué un préjudice d’environ 1,2 milliard de francs CFA.
Pour lutter au mieux contre les fléaux du blanchiment d’argent, la Côte d’Ivoire s’est dotée de plusieurs autorités de poursuites et d’observatoires compétents, ainsi que d’un cadre juridique et réglementaire rigoureux. Ce dernier s’appuie particulièrement sur une loi de 2016 – révisée en novembre 2023 – avec l’ordonnance n° 2023-875 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. À noter par ailleurs la création d’une juridiction spécialisée avec le Pôle pénal économique et financier, d’une Autorité de la régulation des jeux de hasard (ARJH) et d’une agence responsable de la gestion des avoirs saisis (AGRAC), spécialisée dans la lutte contre la corruption des cols blancs.
Un climat des affaires régénéré
Si les enjeux de corruption, de sécurité et de trafics criminels transnationaux en Afrique de l’Ouest restent un défi majeur à relever pour l’ensemble des acteurs régionaux, la Côte d’Ivoire, investie depuis des années contre ces fléaux, apparaît déjà comme un point d’ancrage attractif dans le golfe de Guinée. Depuis 2011, elle est ainsi passée du 154ème rang sur 180 pays dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International au 87ème rang en 2023. Abidjan a également gagné en crédibilité sur la scène internationale en s’illustrant dans la lutte contre les réseaux criminels et terroristes. Citons à titre d’exemple le démantèlement, qui avait marqué les esprits en 2022, d’une vaste organisation de trafiquants de cocaïne qui se servait du golfe de Guinée comme plateforme de transit entre l’Amérique latine et l’Europe.
L’amélioration de la situation sécuritaire et du climat des affaires est d’ailleurs saluée par les investisseurs étrangers dont les contrats d’investissement se succèdent à un rythme croissant dans l’extraction minière, les hydrocarbures et la transformation des matières premières. Le récent salon SIREXE, consacré au secteur extractif, a ainsi levé pas moins de 6,4 milliards de dollars de signatures de contrats dans l’économie. Autant de succès que ne reflète pas le récent placement de la Côte d’Ivoire sur la liste grise du GAFI, alors que les progrès en matière de transparence financière sont une priorité du gouvernement dans la marche du pays vers l’émergence.