Kristel est une petite localité algérienne, située à proximité d’Oran. Sa particularité : son séculaire système de distribution d’eau dont l’anguille Cerbah est le gardien de la pureté. Reportage.
Il était une fois un petit village, près d’Oran, en Algérie où les habitants se partageaient une source d’eau où régnait en maître absolu une anguille du nom de Cerbah. Située dans la partie est du golfe d’Oran et dépendante de la commune voisine de Gdyel, cette petite localité, presque hors du temps, s’appelait Kristel. En ce jour de février, comme tous les après-midi, le village s’anime autour du marché de légumes, et fruits selon la saison, tout près de la précieuse source d’eau du village. Celle qui trouve son origine au pied de la falaise a abreuvé des générations d’habitants de Kristel, qui signifie « le vendre de la montagne » (en berbère), grâce à un ingénieux système de redistribution. Il se résume en deux mots : famille et concertation. Sa gestion est en effet assurée par les 11 familles berbères fondatrices du village, leurs alliées et héritiers.
A ce titre, Mokhtar Miliani, descendant de l’une de ces familles, siège dans le conseil du village où se décide la répartition du précieux liquide dans Kristel. Le maraîcher, la cinquantaine bienheureuse, écoule également sa récolte sur la place de la bourgade. « Mon grand-père était maraîcher durant la colonisation », rappelle Mokhtar Miliani. « On travaille, on mange et on vend », résume-t-il, la récolte issue des fameux jardins de Kristel. Une localité, « qui avant d’être un village, était un ensemble de jardins », précise Abdelhak Abdeslem, guide touristique à Oran. Au travers des siècles, les maquis ont été mis en valeur par les habitants. Les produits des jardins servent à la consommation locale. Mais quand il y a du surplus, explique Abdelhak Abdeslem, « des camions arrivent d’Oran pour prendre les fruits et légumes afin de les vendre ».
L’eau des onze
Tout cela grâce à une eau qui rythme le temps des 3 à 4 000 âmes de Kristel. Chaque famille, les descendants des 11 donc, a tous les droits sur elle durant 24 heures. La bascule se fait tous les jours à 3 heures du matin. L’eau traverse Kristel comme le sang un corps humain, « est acheminée par une canalisation centrale et est divisée en deux branches ». Son parcours est entravé régulièrement par une petite taule dont l’ouverture et la fermeture lui permettront de changer de direction pour arroser telle ou telle parcelle du village. « Ce système est reproduit au fur et à mesure jusqu’au bord de mer », explique Abdelhak Abdeslem. « Si vous appartenez à la famille Mimoune et que vous êtes mariée, précise le guide, ce n’est pas pour autant qu’on vous oublie. Vous jouirez de votre quart d’heure d’eau durant le temps réservé à la famille Mimoune ». Le conseil du village veille au grain et se charge de régler les conflits éventuels.
L’autre gardien du temple, c’est Cerbah, nom générique que l’on donne à l’anguille, plutôt aux anguilles qui ont élu domicile dans la source. Le poisson est gage de pureté de l’eau. « Les anguilles sont présentes dans le bassin depuis des siècles, explique Abdelhak Abdeslem. Elles sont respectées par tous les habitants du village, même les bébés sont élevés dans son respect. Car les gens de Kristel disent que cette anguille, qui craint le soleil et se cache dans le trou pendant le jour, sort la nuit et entreprend de nettoyer le bassin ». Elle le débarrasse notamment des restes de fruits et légumes après le marché.
L’eau, c’est aussi la mer à Kristel. Le village vit également de pêche pratiquée « quand la mère est calme » dans de petites embarcations et selon un vieille technique, la madrague. Elle consiste à piéger les bancs de poissons au cours de leurs migrations le long des côtes. A Kristel, les poissons sont obligés de rester aux côtés d’hommes qui ont forgé un mode de vie où l’eau se respecte, s’utilise avec parcimonie et à bon escient.