Kofi Yamgnane : « Pour le Togo, c’est 2010 ou jamais ! »


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Quelques années après avoir mis fin à sa carrière politique en France, le Franco-togolais Kofi Yamgnane se présente pour la deuxième fois à l’élection présidentielle de son pays d’origine, le Togo, prévue le 28 février prochain. Afrik l’a rencontré le 18 novembre dernier, à Paris, quelques jours avant son départ pour Lomé. De passage en France pour sa campagne électorale, le candidat s’était alors retrouvé, comme ces derniers jours, au centre de l’attention médiatique française et togolaise.

Kofi Yamgnane ferait-il de l’ombre au président Faure Gnassingbé? C’est en tout cas ce que laissent entendre les presses française et togolaise depuis deux jours, après que le candidat à l’élection présidentielle togolaise de 2010 est devenu l’enjeu d’une bisbille diplomatique entre ses deux pays, la France et le Togo. Une querelle autour d’un candidat binational de nouveau sous le feu des projecteurs français, après son passage dans l’hexagone, il y a trois semaines. Venu en France pour chercher des soutiens politiques et financiers, Kofi Yamgnane avait alors dressé le bilan de son séjour français, abordé sa bataille pour des élections présidentielles transparentes le 28 février 2010 [date avancée mais pas encore confirmée par la Commission électorale nationale indépendante], et présenté ses projets pour les Togolais. Il se montrait prêt à entamer une campagne difficile, faisant du « brousse à brousse » sa stratégie de campagne, à défaut d’avoir accès aux médias nationaux. Un outsider « made in France » entré de plain-pied dans la course à la présidentielle togolaise.

Afrik.com : Vous êtes venu en France pour chercher le soutien de la communauté internationale afin de mettre en place un scrutin togolais transparent en 2010. Avez-vous obtenu ce que vous vouliez ?

Kofi Yamgnane :
Je suis allé où je voulais, oui. J’ai rencontré les membres PS de la Commission des Affaires internationales de l’Assemblée nationale française. J’ai aussi rencontré François Bayrou mais surtout, je suis allé à l’Élysée et au Quai d’Orsay. A tous, j’ai fait part de mes craintes concernant le déroulement du processus électoral togolais à venir. Documents en mains, je leur ai montré une liste de fraudes que le pouvoir en place entendait utiliser pour rester à la tête du pays, parce que je suis persuadé que la communauté internationale peut éviter cela.

Afrik.com : Concrètement, comment comptez-vous vous y prendre pour que les élections soient transparentes le jour du scrutin ?

Kofi Yamgnane :
Déjà, il faut savoir qu’il y aura à peu près 6000 bureaux de vote dans le pays. Je compte mettre deux personnes qui me soutiennent dans chacun d’eux. En plus de celles de l’opposition. D’ailleurs avec celle-ci, j’entends bien me mettre d’accord sur une méthode pour empêcher les fraudes. Car empêcher les fraudes, c’est bousculer le RPT [Rassemblement du Peuple Togolais, parti de la majorité présidentielle].

Afrik.com : Malgré cela, ne pensez-vous pas qu’un scénario à la gabonaise soit possible ?

Kofi Yamgnane :
Non, je ne pense pas. Il faut savoir qu’au Gabon, quand l’ Élysée a demandé des preuves de fraudes, l’opposition n’avait rien à présenter. Elle n’avait pas les chiffres du scrutin! Nous, nous les aurons. Nous aurons les vrais chiffres. Et non pas ceux que Faure [Gnassingbé, Chef de l’ État togolais] veut que nous ayons. Car, si vous les voulez, ces chiffres-là existent déjà… Il annoncera le soir de l’élection qu’il a obtenu 38% des suffrages, et moi, il me créditera de 1 à 3% des voix.

Afrik.com : Votre séjour en France avait également pour but de récolter des fonds pour votre campagne. Qu’en est-il ?

Kofi Yamgnane :
J’ai presque obtenu la somme que je voulais, soit un million d’euros. Et de la part de particuliers en plus. Ne voulant pas être redevable à un groupe précis, j’ai souhaité que les militants, les citoyens togolais de la diaspora donnent ce qu’ils veulent. Ca a marché, oui. Récemment, un Togolais vivant aux États-Unis, en Caroline du Nord, m’a appelé. Il m’a dit qu’il comptait envoyer 200 euros dans son village, à Atitogo, pour ma campagne. C’est une bonne chose. Cela suffit amplement.

Afrik.com : Les Français de Saint-Coulitz, le village français où vous avez été maire, vous soutiennent-ils dans votre aventure togolaise ?

Kofi Yamgnane :
(Il sourit). Pas seulement les habitants de Saint-Coulitz, mais les Bretons en général ! A mon meeting de Quimper (en Bretagne), il y avait plus de 300 personnes, j’en étais très surpris et ému. Ils contribuent également de façon importante à ma campagne. Concernant Saint-Coulitz, je reste très proche de ses habitants. L’un d’eux m’a dit qu’il était très fier qu’un habitant du village parte installer la démocratie ailleurs. A contrario, une habitante m’a confié les larmes aux yeux qu’elle avait peur pour moi. « Ils vont te tuer, n’y vas pas ! », m’a-t-elle presque supplié… Certes, j’ai peur, moi aussi, je ne suis pas un héros. Mais je ne veux pas non plus reculer. Si le Togo doit passer par ma mort, j’y suis prêt.

Afrik.com : Pourquoi cette ténacité?

Kofi Yamgnane :
Vous savez, j’ai rencontré une dame à Aneho (dans le Sud du Togo, sur la côte). Elle était dans sa case et tenait une photo de son fils dans les mains. Le jeune homme avait une balle au milieu du front. « C’est mon fils unique », m’a-t-elle dit. « Je ne te demande pas de le ressusciter, mais est-ce que tu peux lui rendre justice ? ». C’est tout ce qu’elle m’a demandé. Pour elle, et pour tous ceux qui sont dans le besoin, je ne peux pas faire marche arrière.

Afrik.com : Vous retournez au Togo dans quelques jours pour battre campagne. Comment va-t-elle se dérouler?

Kofi Yamgnane :
Je bats campagne depuis quelques mois déjà, même si la campagne officielle ne débute que le 13 février. Malheureusement je n’ai pas accès aux médias, mais je me déplace beaucoup, pour rencontrer la population lors de réunions de quartiers, de meetings spontanés. Je fais, non pas du « porte à porte », mais du « brousse à brousse » ! (Il Rit.)

Afrik.com : Qui participe à vos réunions ?

Kofi Yamgnane :
Les femmes et les jeunes généralement. Ils sont très nombreux. Je pense que ce sont les franges de la population qui ont vraiment choisi leur camp. A Lomé, j’ai un comité de soutien, ce sont les femmes d’Assigmé qui s’en chargent. Elles sont à peu près 450. Concernant les jeunes, ils sont fougueux, ils en ont assez du pouvoir en place. Certains m’ont même demandé des armes. Voyez par exemple les Zemidjan[[Le terme signifie « Emmène moi vite » en langue fon, au Bénin. C’est le nom donné aux taxi-motos, et par extension à leurs conducteurs, à Cotonou et à Lomé.]]. Ils font un travail très difficile. Au bout de trois mois, ils ont des hémorroïdes et la colonne vertébrale fichue. C’est un mal social dont personne ne parle!

Afrik.com : Si vous êtes élu, quelles seront vos priorités ?

Kofi Yamgnane :
(Il soupire.) Tout est une priorité au Togo. Il faut que les gens mangent à leur faim, aient accès aux soins, puissent s’instruire… Tout d’abord, je pense que l’agriculture est primordiale. Les gens continuent à se servir du coupe-coupe et de la daba [[Outil traditionnel de l’agriculteur en Afrique de l’Ouest.]], par conséquent seulement 25% des terres sont cultivables. Je souhaite qu’on atteigne le double. Il faut également mettre en place des plans d’eau pour irriguer les cultures en saison sèche. Ensuite, l’énergie et la santé sont les deux axes majeurs qui méritent d’être suivis. Quarante médicaments et cinq vaccins sont essentiels aux populations. Il nous les faut. Cela coûtera 4000 milliards de FCFA tous les cinq ans, et nous emprunterons pour financer cet achat.

Afrik.com : Vous avez fait part de vos idées aux différents partis politiques togolais?

Kofi Yamgnane :
J’ai rencontrés les membres du RPT deux fois, mais sans suite. Je n’attends rien d’eux. Par contre, j’ai parlé à plusieurs reprises aux représentants de l’opposition. Je pense qu’il faut qu’on discute et qu’on travaille ensemble. Ce qui se fera dès mon retour à Lomé, puisque je dois les rencontrer. Dans l’idéal, je souhaiterais qu’on mette au point une plate-forme. Mais il est hors de question d’imposer une personnalité ou un nom, comme a tenté de le faire Olympio (Gilchrist Olympio, leader de l’Union des Forces du Changement, parti d’opposition). Comme on dit, un éléphant ne suit pas un chien !

Afrik.com : Concernant la politique régionale, et internationale. Quels sont vos projets ?

Kofi Yamgnane :
L’Afrique, c’est un milliard d’habitants, mais on compte pour du beurre : nous ne participons qu’à hauteur de 1% au commerce international, ce n’est rien. L’idée de Khadafi des Etats-Unis d’Afrique, c’est la seule perspective. Au niveau régional, je souhaite bien sûr m’entendre avec les présidents Compaoré, Amadou Toumani Touré, Atta Mills. Mon aventure n’est pas seulement togolaise, elle est africaine. Seulement, au niveau des élites, il faut que ça change. Ce que j’appelle le « syndicat des chefs d’Etat » existe bel et bien. Il faut une rupture.

Afrik.com : La rupture générale, c’est votre credo ?

Kofi Yamgnane :
Plus ou moins oui. C’est en tout cas ce que signifie mon slogan : « Essou nene » [Ca suffit, en mina.]… (Il sourit.) Ce sont les gens qui ont trouvé ce slogan, les femmes surtout. Un jour, l’une d’entre elles m’a fait part d’une métaphore. Imaginez un peu… Nous sommes à un match de foot. Notre équipe gagne un penalty. On place un de nos joueurs, il tire. Il rate. Deuxième action et faute, notre équipe a de nouveau un penalty. Le même tireur est choisi. Il rate de nouveau. Et comme cela, cinq fois d’affilée durant le match. A une minute avant la fin du match, un dernier penalty nous est offert. Va-t-on y envoyer le seul et même joueur qui a raté toutes ses tentatives ? Cette femme m’a alors dit : « Kofi, tu es notre nouveau tireur »… J’ai raconté cette métaphore lors de mon passage télévisé il y a quelques mois. Elle m’a valu une interdiction de passage télévisé depuis. Mais les Togolais ont apprécié.

Afrik.com : En gros, le dernier penalty, c’est le scrutin présidentiel de 2010 ?

Kofi Yamgnane :
Oui, c’est cela. Pour le Togo, c’est 2010 ou jamais. Sinon, Faure est là pour quarante ans.

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