Quelques jours avant les élections du 30 juillet qui doivent mettre un point final à la période de transition, la tension est palpable à Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo.
Par Lola Jessé
Entre ce qui se passe dans les rues et ce que l’on voit sur les petits écrans des maisons kinoises, il y a une marge. Quand on se balade dans les rues de Kinshasa, il y a des images qui ne s’effacent pas. Cette camionnette, et ces corps à l’arrière sur la plateforme ouverte, ce sang, un fin filet discret mais trop visible, coulant à l’arrière du véhicule. C’est aujourd’hui que je vois pour la première fois des cadavres. A trop les fixer pour pouvoir les photographier sans être vue, j’en ai la nausée. Je panique. Assis sur le toit de la voiture, le policier, mitraillette bien en main, jette des coups d’œil non rassurés un peu partout, tandis que le véhicule tente de se faufiler dans la circulation. C’est idiot, mais cet homme en uniforme, caché derrière ses lunettes noires comme pour se donner une prestance, je suis persuadée que c’est lui qui a tiré. Accrochée à sa jambe, une jeune femme. Elle a l’air plongée dans un malaise profond, elle n’a même plus de regard. Le deuxième policier se prend brusquement le bras gauche, son chef vient de le cogner légèrement. Il doit être blessé aussi. Nul ne sait ce qui s’est passé. Les gens dans la rue se retournent sur leur passage. On ne sait pas, on sent.
Mardi, le parti d’opposition Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) a organisé une marche de protestation. Le parti d’Etienne Tshisekedi ne participe pas aux élections. Les raisons avancées sont diverses, selon leur source. On raconte que les manifestants ont habillé des chiens avec les t-shirt du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), parti du Président-candidat Joseph Kabila. Ils leur ont même fait porter la fameuse casquette jaune. L’humiliation. On a tiré sur les chiens, « On a tué Joseph ! » Les affiches à son effigie ont été déchirées. Dans les rues de Kinshasa, on peut entendre qu’il y aurait eu quatre morts lors de cette marche. Aucune trace dans les media.
Les media, c’est un peu comme des tableaux d’affichage, en couleur et en mouvement, et servis directement devant votre canapé. La Radio Télévision Nationale Congolaise et Digital Congo chantent les louanges de Jospeh Kabila. A longueur de journée, des « communiqués politiques » passent en boucle. Comme garde-fou, on a ressorti des placards un débat télévisé opposant Jacques Chirac à Lionel Jospin, animé par Alain Duhamel. Objectif : montrer que le débat est sain.
Ici, les Kinois disent que les Occidentaux sont vendus à la cause de Joseph Kabila. Un jeune homme m’a soutenu qu’ils connaissent déjà les résultats des urnes, qu’ils ont truqué le système, pour permettre le maintien du Président-candidat. Ce même homme poursuit : « Tous ces jeunes que tu vois dans les rues, défiler avec des t-shirt du PPRD, sur les camions du PPRD, au son de l’hymne du parti, ce sont des shege (enfants des rues, ndlr). Ils font cela contre quelques francs congolais ». Soudain, des cris éclatent. Tout le monde se retourne. La main qui tient la mienne à ce moment-là se crispe. Ce sont des fillettes qui jouent.
Au moment où j’écris, des klaxons retentissent dans la rue, on entend des cris de foule. Je retourne m’y plonger. Le candidat Jean-Pierre Bemba est de retour à Kinshasa aujourd’hui. A l’instant, un bus plein à craquer vient de passer. Des gens partout, des têtes dépassent des fenêtres, des bras tendant des posters du leader. « Aza mwana Congo », chantent-ils, pour dire que leur candidat, lui, est bien un fils du pays. On tente de jouer sur le critère nationalité pour disqualifier Kabila fils, dont les origines sont douteuses pour les Kinois. A Victoire, le rond-point le plus mouvementé de la capitale, les gens et les véhicules ont pris possession du bitume, comme chaque jour. Noyée dans cette masse au moment où la nuit tombe, je ne peux
m’empêcher de penser : « C’est ici que tout a commencé le 4 janvier 1959 ».