Les Congolais n’en ont cru ni leurs yeux ni leurs oreilles lorsqu’ils ont appris la faillite de la compagnie aérienne belge, la Sabena, qui passait en RDC pour l’une des compagnies aériennes les mieux tenues au monde.
Mais ils ont dû vite se rendre à l’évidence, non sans amertume, car tout le symbole de la compagnie à Kinshasa s’est écroulé comme un château de cartes. Les bureaux ont été fermés, les enseignes ont été descendues devant une foule médusée de Kinois, incrédules. Les logos ont disparu du charroi automobile et, plus grave, l’hôtel Memling, propriété de la compagnie et longtemps fleuron de l’industrie hôtelière en Afrique centrale a été mis en vente. Une véritable catastrophe sociale à Kinshasa où les emplois sont devenus très rares… Quand il y en a. Le groupe Sabena employait près de 400 personnes dont le sort devient plus qu’incertain. Monga Madu était chef cuisinier au service catering de la Sabena : « Je travaille à la Sabena depuis 35 ans et c’était mon premier et unique emploi. Ce n’est pas à 55 ans que je vais en chercher un autre… La Sabena était pour nous devenue une famille ».
La famille endeuillée
Willy Charniaux, le représentant de la compagnie pour la RDC et la République centrafricaine, avec résidence à Kinshasa, se veut rassurant envers les travailleurs qui, dit-il, seront indemnisés régulièrement. La Sabena faisait partie du paysage national en RDC depuis l’époque coloniale, autant que l’étaient l’Union Minière du Haut Katanga (UMHK) dont est sorti le minerai d’uranium qui a permis aux Américains de mettre fin à la deuxième guerre mondiale, ou encore la Minière de Bakwanga (MIBA) qui exploite le diamant dans la province du Kasai. Les avions de la Sabena ont été les premiers à sillonner le ciel congolais sous la colonisation. C’est elle qui, en 1961, pendant les premiers balbutiements de l’indépendance du Congo, a fourni les premiers avions avec lesquels s’est lancée la jeune flotte congolaise.
Justin-Marie Bomboko, ministre des Affaires Etrangères du tout premier gouvernement congolais, se rappelle avoir signé les documents de passation du patrimoine aérien, lors de la création de la jeune compagnie aérienne congolaise, « Air Congo ». C’est la mort dans l’âme qu’il évoque le souvenir de la Sabena : « C’est un grand choc pour moi qui ai plus utilisé les avions de la Sabena que ceux d’aucune autre compagnie au monde. Tout jeune étudiant en Belgique, je me rappelle avoir voyagé à bord d’un DC 3 de la Sabena pour me rendre à Bruxelles. Le voyage durait près d’une semaine.
Sabena, reviens !
« La Sabena a formé nos pilotes et nos techniciens. Mais comme tout homme ou toute oeuvre humaine, une entreprise a un début et une fin. La Sabena me manquera toujours ». La compagnie aérienne belge a beaucoup souffert des soubresauts, des relations tumultueuses et des conflits cycliques entre la Belgique et le Congo. Chaque fois qu’il y a eu conflit diplomatique entre Bruxelles et Kinshasa, la Sabena était la première à en subir le contre-coup. Les fréquences étaient drastiquement réduites quand elles n’étaient pas tout simplement supprimées. Mais chaque fois, Belges et Congolais savaient que la brouille ne durerait pas longtemps. Et tout revenait à la normale. A Kinshasa, on imagine mal l’aéroport international de Ndjili sans la présence de la Sabena.
Selon Willy Charniaux, l’axe Bruxelles-Kinshasa était la ligne la plus rentable pour la Sabena. Avec trois rotations par semaine, la compagnie belge faisait le plein des sièges et transportait beaucoup de fret pour les entreprises congolaises, surtout que la compagnie nationale « Air Zaïre », devenue « Lignes Aériennes Congolaises » n’existe pratiquement plus que de nom. Bien plus, l’hôtel Memling pouvait s’assurer d’une clientèle sûre et régulière avec les équipages Sabena. Ilunga Kalombo, depuis 10 ans, chef du desk réception, s’inquiète beaucoup plus pour l’avenir de l’hôtel.
« L’hôtel Memling vient de subir une profonde métamorphose physique et s’attendait, avec l’espoir de la fin de la guerre, à soutenir la compétition avec les autres hôtels de sa catégorie dans le monde. Je crains beaucoup pour le maintien de son standing sans la Sabena. »
Enfin, la faillite de la Sabena crée un manque à gagner important pour la régie des voies aériennes congolaises, qui tirait de substantielles rentrées de ses droits d’atterrissage. Là aussi, une conséquence douloureuse de ce drame industriel… Et un nouveau secteur d’activités frappé ! En un mot, l’absence de la Sabena en République Démocratique du Congo est ressentie comme la perte d’un proche parent.