Les différents acteurs de la crise congolaise (RDC) sont réunis cette semaine à Gaberone pour trouver une solution. A Kinshasa, on suit attentivement les négociations. La rue est partagée entre l’espoir et le fatalisme. Reportage.
De notre correspondant à Kinshasa JUAKALI Kambale
Après trois ans d’une guerre fratricide, les Congolais sont-ils capables de taire leurs divergences au profit du seul intérêt supérieur de la nation? Les premières déclarations et prises de positions qui parviennent à Kinshasa depuis la ville de Gaberone où se trouvent, pour la toute première fois, réunis les belligérants, laissent transparaître que rien n’est complètement perdu. D’abord, un signal fort à l’actif du gouvernement. Pour la première fois depuis le déclenchement de la guerre, la télévision nationale congolaise a montré, mardi dernier, les images de la séance d’ouverture des travaux avec interviews de représentants de la rébellion. Une première du genre qui donne une certaine idée de l’atmosphère qui prévaut au pré-dialogue intercongolais.
Les rebelles passent à la télé
Les Kinois(habitants de Kinshasa) ne s’attendaient sûrement pas à une telle ouverture politique de la télévision nationale si opposée à toute information sur la rébellion si ce n’est pour la condamner pour les méfaits qu’elle cause au développement du pays. On a pu ainsi suivre les déclarations de Jean-Pierre Bemba, le leader du FLC(Front de libération du Congo), soutenu par l’Ouganda, d’Adolphe Onusumba, le président du RCD (Rassemblement Congolais pour la démocratie), soutenu par le Rwanda et de Kin-Kiey Mulumba, le ministre RCD de l’Information.
Mieux, les Congolais ont appris avec beaucoup de surprise mêlée de soulagement que le chef de l’Etat, Joseph Kabila a reçu les deux autres chefs de la rébellion, notamment Jean-Pierre Bemba et Adolphe Onusumba. Un signal fort qui laisse entrevoir une détente possible sur le fond des divergences politiques.
La mémoire n’est pas sélective
Le reportage est différemment commenté dans la capitale congolaise. Nombreux sont ceux, surtout les jeunes, qui craignent que la délégation gouvernementale n’ait fait la part trop belle aux rebelles qui portent sur leurs mains le sang de milliers de leurs compatriotes. A Kinshasa, on se rappelle encore des débuts douloureux de la rébellion quand les rebelles ont porté la guerre jusque dans les rues de certains quartiers de la capitale.
» Nous avons trop souffert de la rébellion pour accepter de sourire à ces assassins « , s’insurge Therese Kwakwa, cadre d’entreprise à Kinshasa. » Que Bizima Karaha ne s’avise pas de mettre ses pieds a Kinshasa « , déclare sa voisine Jocelyne. » Nous allons le ‘bouffer’ cru « . Bizima Karaha a été ministre des Affaires Etrangères du président Laurent-Désiré Kabila jusqu’à la veille du déclenchement de la rébellion. Il s’occupe aujourd’hui du département de la sécurité au sein du RCD à Goma.
Le grand pardon
Ces premières réactions hostiles au dialogue franc avec la rébellion sont tout de même contrebalancées par d’autres, plus modérées, des milieux politiques. » Nous sommes fatigués de la guerre. Il faut espérer que le pré-dialogue intercongolais sonne le point de départ du processus devant mener tous les Congolais vers la paix « , estime Kasereka Kasai, ancien ministre sous Mobutu, actuellement membre de l’UDRC (Union pour la Démocratie et la Renaissance du Congo), une plate-forme réunissant quelques partis politiques se réclamant de l’opposition interne non armée.
L’UDRC n’a pas été invitée à Gaberone et ne décolère pas de constater que le facilitateur Masire n’ait pas tenu compte, dans son choix de la représentativité des provinces dites » de la ligne de front « , celles qui sont occupées par la rébellion. » Le risque est grand d’avoir un dialogue uniquement entre les opérateurs politiques ressortissants des provinces actuellement sous contrôle gouvernemental « .L’UDRC dénonce particulièrement une sur-représentativité des provinces des deux Kasai et de Bandundu, résultat d’un choix délibéré du gouvernement.
Denis Tabiana, ancien ministre de Mobutu, au nom de son parti, le Parti Démocrate Social Chrétien, estime que les Congolais devraient se sentir ridicules, face au modèle politique responsable du Botswana, un petit pays désertique mais qui s’est résolument lancé dans la pratique démocratique et la bonne gouvernance, selon lui. » Nous devrions montrer l’exemple, nous Congolais, avec toutes les richesses dont Dieu nous a dotés « , déclare-t-il non sans dégoût. Un journal de Kinshasa, » La Tempête des Tropiques » s’indigne, pour sa part, qu’à Gaberone, il y ait eu plus d’accolades que d’empoignades.
Le peuple vous regarde !
D’une manière générale, les milieux politiques et d’affaires congolais attendent beaucoup des présentes négociations de Gaberones. Les milieux d’affaires attendent particulièrement que les négociateurs s’entendent clairement sur le problème de la libre circulation des personnes et des biens à travers toute la république démocratique du Congo. Le sujet a effectivement été discuté et un accord de principe a été obtenu. Il reste bien entendu à le faire entrer dans les faits.
Depuis le déclenchement de la guerre, Kinshasa est coupé de ses greniers de l’Est du pays, au point de crier famine. Avec l’afflux massif des déplacés de guerre, sa population est brusquement passée de 5 millions à 7 millions d’habitants. La province du Nord-Kivu fournissait de la viande et des produits maraîchers, la province Orientale, spécialement du poisson et de la viande de boeuf, du riz et du maïs tandis que celle de l’Equateur fournissait du mais et du poisson.
Bateaux de l’espoir
La MONUC (Mission d’Observation des Nations Unies au Congo) a, par deux fois, organisé des convois humanitaires sur Kisangani (province orientale) et Mogalo (province de l’Equateur), baptisés » bateaux de l’espoir » avec, à l’aller, des produits pétroliers et pharmaceutiques en faveur des populations des territoires sous occupation rebelle et, au retour, des produits agricoles pour la consommation des populations de la capitale, Kinshasa. Les essais ont été très encourageants et la MONUC espère pouvoir continuer l’expérience jusqu’à ce que le commerce reprenne sur le fleuve Congo.
Le pré-dialogue intercongolais semble engagé sur une voie d’espoir dans la mesure où chacune des parties en présence proclame sa bonne foi de ne rien faire pour entraver le bon déroulement des travaux. A Kinshasa, on veut bien croire la délégation gouvernementale qui, visiblement, n’envisage plus de solution militaire à la crise. » Nous sommes venus ici, déterminés à nous ouvrir à toutes les propositions pourvu qu’elles aillent vers la consolidation du processus de la paix « , a déclaré M. Léonard She Okitundu, ministre des Affaires Etrangères du gouvernement congolais et chef de la délégation de Kinshasa.
Un voisin indésirable
Par contre, on se méfie totalement de la délégation du RCD/Goma dans la mesure où le Rwanda qui la soutient passe chez tous les Congolais comme non digne de confiance. La première preuve en a été donnée quand une information diffusée mercredi en mi-journée par la radio BBC/Afrique a annoncé la convocation, par les autorités de Kigali, d’Adolphe Onusumba, le leader du RCD/Goma, parce qu’il avait accepté de rencontrer Joseph Kabila, le chef de l’Etat congolais.
Adolphe Onusumba a lui-même réagi sur la même radio, en dénonçant le fait que quand les mêmes autorités rwandaises rencontrent le même président Kabila, il n’y a aucun commentaire de réprobation. Deuxième preuve, le refus, par la délégation du RCD/Goma de signer le document sur le retrait de toutes les troupes étrangères, préalable au dialogue intercongolais alors que les autres branches de la rébellion avaient accepté de le signer. Le même RCD/Goma s’insurge également contre ce qu’il appelle la tendance à vouloir faire passer le président Kabila pour le chef du prochain gouvernement qui sortira du dialogue intercongolais. » Nous ne nous en tenons qu’à l’accord de Lusaka qui stipule que tous les chefs de délégations participent aux négociations à position égale « , a déclaré M. Kin-Kiey Mulumba, le porte-parole du RCD/Goma.
Arriver à un accord
Mais quelles que soient la nature et la profondeur des divergences entre participants au pré-dialogue intercongolais, personne ne semble vouloir endosser la responsabilité d’un éventuel échec. Il se murmure à Kinshasa que le message du ministre français des Affaires Etrangères, M. Hubert Védrine, aux différents chefs d’Etat des pays engagés dans la crise congolaise tient plus d’une menace en cas d’échec du pré-dialogue qu’un conseil diplomatique normal.
Le ministère français des Affaires Etrangères n’a pas cessé de répéter qu’il soutient politiquement et financièrement la rencontre de Gaberone. Ce qui traduit toute la responsabilité que les pays membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies font peser sur les négociateurs.
A moins de prolonger les travaux, comme le souhaite la délégation de la société civile de Kinshasa, ils devraient se terminer ce vendredi. Il faut espérer que les participants se seront mis d’accord sur la date, l’ordre du jour et le lieu du vrai dialogue intercongolais, objet principal des travaux.