La scène musicale togolaise a trouvé une nouvelle vitalité grâce à lui au milieu des années 90. Sa voix et ses rythmiques, qui mettent en valeur les richesses de son pays, font de lui un artiste admiré chez lui et au delà des frontières togolaises. Portrait d’un tendre roi lion.
A capella, le grain pur de sa voix est un enchantement. Et c’est une (re)découverte qui justifie qu’il soit devenu une figure incontournable de la scène musicale togolaise. La chanson, dernier épisode d’une vie d’artiste commencée dès l’âge de neuf ans. Sa jeune carrière débute dans un corps de ballet traditionnel, qu’il doit à une grande souplesse, déplaisait d’ailleurs à ses parents. « Ce n’est pas comme aujourd’hui où les parents laissent jouer leurs enfants, par exemple au foot, parce qu’ils voient des stars comme Adebayor réussir. Mes parents pensaient qu’on ne pouvait pas vivre de l’art ». Mais il le reconnaît volontiers. Mensah Ayaovi Papavi, un lion né le 12 aôut 1971, est bien sûr « têtu ». Après le ballet, il se lance dans le théâtre populaire où l’improvisation est reine. Il fait notamment ses classes avec une référence en la matière, Azekokovivina. Il passe ensuite deux ans dans la troupe du Village Ki-yi de Were Liking à Abidjan qu’il rejoint en 1991. Les tournées de la formation théâtrale l’emmèneront au Japon, au Danemark où encore à Paris. La ville lumière l’accueillera une dizaine d’années jusqu’à la production de son premier album, Madjo en 1996.
Mon père, ce héros
Chanter. King Mensah doit cette vocation à son père, Koffi Mensah, chanteur traditionnel reconnu en son pays. L’artiste lui voue une admiration sans bornes. Pas une phrase sans une référence à lui. « J’avais 13 ans quand mon père est mort mais il a réussi à vivre en nous ». « Il n’y avait pas de radio, de télévision à la maison, poursuit-il, mon père en chantant assurait l’animation ». Ce même père qui lui dira : « Tu ne sais pas chanter ! « parce que l’enfant l’imitait. Ce qui distingue un homme lui expliquera-t-il, « c’est sa démarche, sa voix et son visage ». King Mensah est resté fidèle à ce précepte. Il ne veut rien faire comme les autres. Sans prétention aucune, l’artiste n’a pas de modèle autre que lui-même et peut-être son père. « Je n’ai pas envie de ressembler à quelqu’un d’autre. Je n’aimerais pas qu’on me dise que quand je chante, je fais penser à untel ou à untel. »
La patte du roi Mensah a la singularité d’une musique de terroir. Elle est une plongée dans le patrimoine musical du Togo. Si ce rythme funéraire du Sud du pays, Agbadja (le titre Fetou est une référence en la matière) – bien commun que se partage le Togo et le Bénin dont est originaire la mère de l’artiste – lui colle inexorablement à la peau, il n’en demeure pas moins qu’il chante aussi bien en kabye (langue du nord du pays) et qu’il fraie avec l’Apkesse. « Je continue mon voyage dans la musique togolaise. Il y a 42 ethnies au Togo. On m’appelle de certains villages pour me reprocher de ne pas m’être encore intéressé à leurs rythmes. J’essaie de tout faire et de le déposer sur la table afin que les jeunes musiciens puissent éventuellement faire le choix.»
Après Madjo, une sorte d’expérience où King Mensah explore tous les sons, il y aura Edidodo (1998), Mensah, Mensah(2000), le nom que porte le 3e garçon d’une fratrie, Elom (2002) et Yetoman (2008), du nom de sa fille née dans des conditions difficiles. Ce dernier album marque aussi une rupture dans la production de ses disques. Il s’était imposé un rythme : une production tous les deux ans. « Je ne cours plus derrière le temps. Quand je me réveille, je me réveille ! Avec Yeloman, j’ai décidé de prendre mon temps. Comme on le fait pour mijoter un bon plat en cuisine ». Son inspiration : « quand je fais un album, la seule personne que j’ai envie de toucher avant tout c’est moi, pour ensuite atteindre les autres ». Chaque œuvre est ainsi l’histoire d’un conteur – c’est aussi l’une des cordes à l’arc de King Mensah – mis en musique.
L’appel des racines
A l’instar tous les artistes, King Mensah est également un globe-trotter qui est pourtant bien incapable de rester très longtemps loin de son pays. « L’Afrique m’appelle avoue-t-il. Quand je suis en dehors du Togo, je ne tiens pas une semaine. » Faire carrière d’abord dans son pays a toujours été une évidence. « Mon rêve n’a jamais été par exemple de remplir le Zénith en France, mon rêve est de remplir les salles de concerts au Togo. Si j’ai quelque chose à faire, c’est de faire la musique chez moi. J’ai besoin de cette connexion ». Un lien maintenu à travers l’ewe ou le mina, ces langues togolaises, dont il est devenu un peu l’ambassadeur dans le monde. « On apprécie le chant des oiseaux, pourtant on ne comprend pas ce qu’ils disent », objecte-t-il à ceux qui pourraient lui lancer que son répertoire n’est pas assez international.
« Je fais de la musique pour plaire d’abord aux gens de chez moi. Il serait dommage que l’on doive traduire mes chansons à ma mère qui n’est pas allée à l’école et qui ne comprend donc pas le français ».
« Si le voyage reste la plus grande université du monde » pour King Mensah, qui se rend régulièrement aux Etats-Unis qui l’apprécient et où il a failli s’installer, «la connexion» à la terre et à autrui est tout aussi fondamentale. Deux dimensions qui en disent long sur le personnage. Il demeure au Togo en dépit de l’absence de studios performants et du fléau du piratage. Contre ce mal, il a trouvé sa solution : la création de sa propre structure de distribution. L’autre mal qui interpelle aussi King Mensah, c’est le manque de ressources de certains. Et l’artiste aime prendre soin des autres. Il a créé en 2005 la « Foundation King Mensah » qui s’occupe aussi bien d’orphelins que des prisonniers en finançant des concerts.
A l’écoute
Pour les premiers, l’orphelinat Alodo, situé à 25 km à l’est de la capitale togolaise, Lomé. Il accueille 25 enfants dont les parents sont parfois en vie mais qui n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins. King Mensah, pour l’avoir vécu, ne supporte pas l’idée qu’un enfant puisse se faire renvoyer de l’école parce qu’il n’a pas « 1 000 F CFA pour payer les frais d’écolage ». « J’habite à 30 km de Lomé et quand je fais le trajet, j’ai l’habitude de croiser des enfants des rues. Un jour, j’ai pensé qu’au lieu de faire des dons aux pasteurs pour les plus démunis, il serait plus judicieux de prendre directement ces enfants en charge. Au début, je ne pensais accueillir qu’une dizaine et puis nous sommes arrivés à 25 ». Vingt-cinq garçons qui sont aujourd’hui membres de la « famille » Mensah. « Je ne me jette pas des fleurs, dit-il le sourire au lèvres, mais je suis fier d’eux ». Le plus âgé passera son bac cette année.
L’autre cause qui ne laisse pas indifférent King Mensah est la situation des prisonniers. A ce titre, il ferait une excellente recrue comme ambassadeur de bonne volonté pour le bien-être des prisonniers. Sa première expérience avec eux remonte à un séjour de trois mois où il s’est produit dans les prisons guyanaises à l’orée des années 90. Depuis 2006, il organise des concerts gratuits dans les pénitenciers togolais. Mais pas seulement, l’année dernière, il s’est produit à la prison civile de Cotonou. « Il n’y pas que des malfaiteurs en prison. Je me dis qu’il y a parmi eux des gens qui avaient l’habitude de venir à mes concerts et qui ne le peuvent plus aujourd’hui ». Une réflexion similaire l’a emmené, bien avant, à organiser chaque année des concerts gratuits à Lomé. « Quand on est un enfant pauvre de Bepkota (quartier défavorisé de la capitale togolaise, Lomé, où il est né, ndlr), que l’on marche des kilomètres pour aller au palais des Congrès et que l’on a pas les moyens d’assister à un concert, ça fait mal. Le prix de mes concerts varient. Mais même à 500 F CFA, certains ne pourraient s’offrir leur place. »
Très chère « Dada »
Artiste et citoyen. King Mensah n’a peur de reconnaître que son pays « va très mal ». « Les gens marchent parce qu’ils souffrent. Ils veulent que le combat contre la pauvreté soit mené. Comment peut-on avoir un bac+10 et se retrouver au chômage ? J’ai un ami, qui était brillant quand nous étions sur les bancs. Je lui dois mes bonnes réponses pendant les devoirs. Pourtant, c’est moi qui lui ait offert sa moto. Il est aujourd’hui chauffeur de moto-taxi. Ce n’est pas normal !». Dans la mesure du possible, sa contribution à moins de souffrance est dans l’espoir qu’il a d’ouvrir d’autres orphelinats.
Mais son défi le plus immédiat est le dernier album qu’il prépare, le sixième. Un opus pour chacun des membres de sa fratrie de six. King Mensah prévoit de baptiser l’œuvre Dada (mère en mina. Elle sera dédiée aux femmes. Mais c’est surtout un hommage à sa mère à lui. « Sans elle, je ne sais pas ce que je serai devenu. Je me surprends à penser : « Heureusement que ma mère est restée » ». « Aujourd’hui plus que jamais, ajoute-t-il, nous devrions donner la préséance aux femmes. Tous nos dirigeants sont des hommes. Je ne cesse de le reprocher aux responsables togolais ». Que fait alors King Mensah pour la promotion de la femme en tant qu’homme africain dont le machisme n’est plus à démontrer ? « Mes enfants portent le nom de leur mère et le mien ». Et toc ! Cependant, conclue-t-il, « les femmes doivent arracher leur place. On voit sa mère présidente, mais pas sa femme ». Parole d’homme à méditer.
Ce samedi, il « présentera » son dernier album à ses mélomanes français qui attendent avec impatience le roi. Une petite halte avant les studios et le Togo. Et pour très bientôt, outre son prochain album, une comédie musicale qui tentera de visiter « le patrimoine musical de l’Afrique et fera quelques piques aux politiques ». Le lion rugit, mais King chantera.