Dans Kigali, des images contre un massacre, le journaliste Jean-Christophe Klotz donne une réalité à l’inertie internationale qui a permis le génocide rwandais. Plus que les images de corps en décomposition qui ont fait le tour du monde, il filme le regard apeuré des enfants qui vont mourir. Le documentaire, indispensable, sort mercredi dans les salles.
« J’ai su au Rwanda pourquoi les juifs ont été tués durant la guerre et pourquoi les alliés n’ont pas bombardé les chemins de fer » qui les acheminaient vers les camps de la mort. Bernard Kouchner, qui s’est rendu à Kigali, en 1994, pour tenter de mettre fin à l’extermination des Tutsi et des Hutu modérés, s’exprime ainsi dans le documentaire de Jean-Christophe Klotz, Kigali, des images contre un massacre . Le journaliste de l’agence Capa a filmé durant le génocide des images qui ont été diffusées dans le monde entier, mais qui « n’ont rien changé », regrette-t-il. 10 ans après, il a décidé de retourner à Kigali pour retrouver d’éventuels survivants de la paroisse du Père Blanchard, où il a longuement tourné et où une centaine de personnes, dont de nombreux enfants, étaient alors réfugiés. Deux jours après qu’il ait lui-même été blessé par une balle à la hanche, en 1994, il apprend que les interhamwe (milices hutues) sont revenus exécuter tout le monde.
« Clinton n’a pas fait une seule réunion de cabinet »
Ce retour constitue le fil conducteur de son film, qui raconte bien plus que cela. A travers ses images d’archives, Jean-Christophe Klotz rend palpable la fameuse inertie de la communauté internationale, qui a permis la mort d’un million de personnes en moins de trois mois. Il la filme « en direct », lorsque Bernard Kouchner parle à l’assistant Afrique de François Mitterand, au téléphone, pour lui rapporter ce qu’il voit, mais qu’il n’obtient aucune réponse satisfaisante. Avec Roméo Dallaire (le commandant de la mission de l’ONU au Rwanda), « nous étions branchés avec la France, la Grande Bretagne, les USA, l’ONU… 19 pays tous les soirs, se souvient Bernard Kouchner. Je sais que Bill Clinton, que j’aimais pourtant, n’a pas fait une seule réunion de cabinet… Est-ce la montagne d’égoïsme qui nous saisit lorsqu’il s’agit des autres ? », s’interroge le co-fondateur de Médecins sans frontières et Médecins du monde.
Jean-Christophe Klotz donne également une réalité à l’incroyable cynisme des autorités rwandaises et à la diplomatie que Dallaire et Kouchner tentent encore d’alimenter en rencontrant le colonel Théoneste Bagosora. Tenu pour être le cerveau du génocide, ce dernier est en cours de jugement devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), à Arusha, en Tanzanie. « Soit je négocie avec lui, soit je sors mon pistolet et je le tire », explique Dalaire au journaliste reporter d’images, qui lui demande où il trouve la force pour s’asseoir à la table du colonel rwandais. Dans une scène surréaliste, ce dernier rencontre l’un des pères de la paroisse du Père Blanchard, en compagnie de trois responsables de l’ONU. « C’est déguelasse ce que vous faîtes. Vous donnez des armes à des voyous. Hier encore des gens ont été tués à la barrière (un barrage d’interhamwe)», dit le Père à Bagosora, sur le pas de la porte de la paroisse. Bagosora nie, sans même chercher à être convaincant.
Dans Kigali, des images contre un massacre, plus que les corps découpés et décomposés des victimes, Jean-Christophe Klotz filme le regard apeuré des enfants qui vont mourir. « Pour moi, explique le cinéaste, ce sont les images du génocide, l’histoire même du génocide. Nous y étions, nous avons filmé, nous avons raconté. Nous aurions pu faire quelque chose, et nous n’avons rien fait. »