Au Mali, la déroute des narcotrafiquants assassins, camouflés sous le masque de l’islamisme politique, comporte une autre déroute qui vient d’être scellée à Kidal. La déroute des envahisseurs fascisants de l’islamisme politique signe celle des anticolonialistes de salon. Ceux qui s’étaient arrogé le monopole de la défense intellectuelle et idéologique de la souveraineté des peuples africains contre les agressions et les dominations étrangères n’y ont vu que du feu.
Les rezzous bruyants des mercenaires narcotrafiquants, financés par certains émirats pétroliers orientaux qui avaient jeté leur dévolu sur l’Etat malien afin d’y asseoir la base (al qaïda) d’un nouvel impérialisme confessionnel dans la sous-région, ont échappé aux soldats autoproclamés de l’anticolonialisme, occupés à tirer à l’aveuglette sur le néo-colonialisme français et sur l’impérialisme néolibéral. Prisonniers de leurs automatismes d’extraversion, ils ne se sont pas non plus aperçus que la rébellion Touareg, qui avait ouvert les portes de la cité aux envahisseurs étrangers de quelque bord qu’ils soient, provenait en grande partie de la déficience du système politique malien qui marginalisant une minorité importante et abandonnant une partie du pays à la déréliction sociale et économique, n’avait pas su répondre aux attentes des acteurs sociaux maliens.
Au Mali, et notamment à Kidal, cet anticolonialisme de slogan, cette logorrhée simplificatrice et réductrice qui déresponsabilise les élites politiques africaines en pérennisant et en entretenant les logiques d’extraversion, a été terrassée par une réalité qui en dénonce l’aveuglement et en dévoile l’imposture. A Kidal est en train de se rejouer une nième fois la partition séculaire de l’arbitrage étranger des anciennes puissances coloniales occidentales qui résulte de la démission des élites politiques africaines ; démission qui aménage aux Etats étrangers occidentaux et orientaux des opportunités d’intervention en or pour le service de leurs intérêts particuliers et transfrontaliers souverains. Au Mali, l’Etat français par son armée qui vient d’entrer à Kidal, fief des Touaregs, en tenant l’armée malienne à l’écart est devenu le médiateur étranger incontournable réclamé par les autonomistes du MNLA aussi bien que par les populations et l’Etat malien lui-même. Kidal légitime totalement l’intervention de l’Etat français auquel revient la tâche de mettre en chantier le devoir politique d’intégration des divers groupes sociaux du Mali en contraignant les élites à s’asseoir à la table de négociation pour opérer les compromis indispensables à l’unité politique !
En Côte d’Ivoire, la même logique de la division intérieure provoquée par la démission des élites et par la déficience du système politique que camouflait la diversion bruyante de la propagande anticolonialiste, avait entraîné le retour en force de l’ancienne puissance coloniale. Elle exerce, jusqu’à nos jours, avec les diverses instances afférentes de l’ONU, la tutelle d’une politique de réconciliation nationale qui peine à trouver une conclusion, en raison la mauvaise foi d’une des parties uniquement préoccupée de l’impunité de ses membres qui furent pourtant les architectes de la catastrophe. Kidal inflige un démenti cinglant à la propagande et au discours d’extraversion des anticolonialistes de salon. Le MNLA consent à la médiation et à la présence de la France tout en interdisant à l’armée malienne et aux forces de la Cédéao de pénétrer sur le territoire de l’Adrar des Ifoghas son fief. Il décide de pourchasser les narcotrafiquants djihadistes étrangers pour les rejeter hors du Mali. Les causes du problème malien sont donc strictement internes. L’intervention française ne peut donc pas être interprétée comme étant intrusion néo-colonialiste. C’est une intervention opportuniste favorisée par une scission intérieure malienne qui permet à la France d’intercéder militairement pour sauvegarder ses intérêts régionaux en prenant prétexte du danger terroriste attesté par l’agression effective de l’Etat laïque malien par des narcotrafiquants criminels venus de l’étranger et camouflés sous le masque de l’Islam !
Au Mali, les anticolonialistes de salon furent inaudibles lorsque, au-delà des conséquences perverses de la libéralisation de l’économie, les Maliens de l’intérieur dénonçaient une « démocratie coquille », dont la déficience du système politique et la corruption des équipes dirigeantes renforçaient le clivage social et rendaient impossible l’intégration sociale des minorités, générant ainsi la rébellion! Ils répondirent par l’indifférence lorsque le Cheick Chérif Ousmane Madani Haïdara, défenseur d’un islam tolérant et afro-centré respectueux de la laïcité, dénonçait au Mali l’impérialisme fascisant de l’islam d’importation wahhabite de la charia. Ils ne s’émurent guère des lapidations des amputations, des exécutions et des égorgements et ne s’aperçurent guère de la résistance passive des populations qui voyaient en la présence d’Aqmi et de ses troupes celle d’une impitoyable force d’occupation étrangère dont le but était de prendre possession de l’Etat pour soumettre le peuple malien à un ordre politique et confessionnel étranger en détruisant l’islam soufi local et sa culture de la tolérance religieuse. Occupés à diffuser leurs pamphlets, après avoir observé un moment de silence incertain dont nous nous étions étonnés, les anticolonialistes de salon ne se sont pas aperçus que la souveraineté des Etats laïques africains et l’intégrité de leurs peuples étaient directement menacées par l’invasion de fanatiques étrangers moyenâgeux, porteurs d’une interprétation sectaire, intolérante et contestable de l’islam, qui ne reculaient pas devant le crime et le massacre à grande échelle pour imposer par la contrainte leur conception totalitaire de la religion musulmane au monde entier.
Ce manque sélectif de vigilance de la part des anticolonialistes de salon trahit en vérité leur complaisance et même leur complicité avec les systèmes endogènes et non occidentales de domination et d’oppression. En détournant l’attention nationale et internationale hors des raisons internes des dysfonctionnements des systèmes politiques locaux qui provoquent les crises africaines, le bruit de cet anticolonialisme fumeux et vide occulte les responsabilités des acteurs internes qui en sont les architectes et les maîtres d’œuvre. En désignant le bouc émissaire occidental, les anticolonialistes de salon gomment la complexité des problèmes locaux au moyen de leurs slogans réducteurs marqués au coin du ressentiment. Leur discours simplificateur opère ainsi comme une redoutable force d’inertie et de crétinisation publique qui bloque l’histoire en Afrique. Il entretient la logique de l’extraversion qui conduit à la répétition tragique de l’histoire : hier, la pénétration coloniale fut facilitée par les clivages et divisions engendrés par la traite esclavagiste interne qui continue, jusqu’à nos jours, à empêcher la mise en œuvre d’une politique d’intégration sociale en pérennisant la logique de la ségrégation dans les Etats multiethniques modernes d’Afrique sub-saharienne. Aujourd’hui, le retour en force de l’ancienne puissance coloniale, retour en lequel certains voient un néocolonialisme, est provoqué par la division sociale qui s’articule sur cette ségrégation systématique et institutionnalisée interne et inavouée, qui sévit dans la presque totalité des Etats d’Afrique sub-saharienne, et dont les origines remontent à la traite esclavagiste interne précoloniale.
Il est donc à espérer que l’imposture des anticolonialistes de salon, dévoilée au grand jour dans les savanes et dans le désert du Mali, signe son discrédit durable pour que s’éveille une opinion publique africaine critique que sa propagande s’évertue jour après jour à anesthésier. La modernité politique en Afrique appelle un raffermissement de la conscience politique des peuples et une critique démystificatrice des systèmes et des mécanismes endogènes d’oppression et de domination. Elle requiert une vigilance critique citoyenne envers les Pouvoirs qui doit permettre de donner un contenu à la démocratie pour qu’elle soit représentative et afin que l’exercice du pouvoir d’Etat serve à défendre l’intérêt général et à promouvoir le bien-être des populations. A défaut de ce retour critique à soi en Afrique, l’on risque de voir s’accentuer et se reproduire dans les décennies à venir l’anomie et la déréliction qui conduisent aux crises internes dont la solution appelle de gré ou de force l’intervention d’Etats étrangers agissant au service de leurs propres intérêts particuliers souverains.