Transmettre aux jeunes les techniques et le sens profond de l’art noir de rue (danses hip-hop et Vocal Noir), fédérer autour de ce projet des personnalités du monde noir, ce sont les objectifs que ce sont fixés la chorégraphe Max Laure et la chanteuse Héwan en créant Kheperankh street dont l’inuiaduration aura lieu samedi, à Paris. Elles ont accordé une interview à Afrik.com.
La chorégraphe Max Laure et la chanteuse Héwan sont deux professionnelles qui pratiquent leurs disciplines depuis plus de 20 ans. Après mûre réflexion, elles ont décidé qu’il était temps pour elles de transmettre leurs connaissances et leur vision des arts noirs de rue. Elles ont créé l’association Karêd’Har avec lequel elles développent le projet Kheperankh-Street (cette expression est la synthèse de mots égyptiens et anglais et signifie le mouvement vital de la rue), le premier pôle de ressources artistiques de rue, dédié à l’art contemporain noir. Elle entendent enseigner aux jeunes leur savoir en les rassemblant autour d’événements organisés en plusieurs endroits tout au long de l’année et en invitant un grand nombre de personnalités à soutenir et partager cette expérience.
Elles ont déjà reçu le soutien de plusieurs partenaires et parrains (Kheperankh-Street fonctionne sur la base de parrainages et de partenariats avec des personnalités physiques et morales de renom du monde). Elles répondent aux questions d’Afrik.com.
Afrik.com : Comment vous est venue l’idée du Kheperankh-Street ?
Max Laure : C’est un projet sur lequel j’ai cogité pendant un an et demi. Et puis, j’ai fait la rencontre de Héwan qui, très vite, l’a adopté. Et toutes les deux, on a décidé de le porter ensemble.
Afrik.com : Pourquoi nourrissez-vous cette volonté de transmettre aux jeunes ?
Max Laure : Il est né de la nécessité d’apporter beaucoup plus aux jeunes sur le plan de la transmission, de la volonté de leur permettre de s’épanouir. J’ai fait mes débuts en 1985, dans la Compagnie Black Blanc Beur, de Jean Jemad, dans les Yvelines. Et en 1991, à l’âge de 22 ans, j’ai créé ma compagnie, Boogi-Saï, qui est devenue une locomotive de la danse hip hop. On a voyagé partout dans le monde, performé plusieurs fois au festival de Culture urbaines de La Villette… et partout où je passais, je transmettais. Mais dans mon parcours de chorégraphe, je suis arrivée à un plafond. J’ai eu le sentiment que je me faisais déposséder de mon art.
Afrik.com : Qu’est-ce que vous entendez par « déposséder » ?
Max Laure : Tout d’un coup, une avalanche de chorégraphes contemporains se sont accaparés notre culture, et nous ont dit comment nous mouvoir sur scène. Au début, on n’a pas pu répondre à ces agressions extérieures parce qu’on n’avait pas la lecture de la situation. Ils se sont décrétés chorégraphes hip hop et ont happé beaucoup de jeunes qui voulaient apprendre et progresser. Ces chorégraphes ont tout de suite eu l’appui des institutions. Alors que, nous qui avions le soutien de la rue, non. Malheureusement, on a vu les danses se ternir peu à peu, et perdre leur formidable énergie. Alors nous avons créé des battles [[batailles, concours d’improvisations au cours desquels les danseurs se défient]] pour retrouver cette énergie et apporter une réponse au problème. Kheperankh-Street participe de cette démarche. Au long de mon parcours, en France, en Guyane, aux Antilles, sur le continent africain, j’ai toujours transmis et donné matière à réflexion aux danseurs pour qu’ils maîtrisent l’espace scénique. Je veux redonner sons sens à la culture hip hop, sa profondeur, car elle a une philosophie, une histoire attachée à l’ancestralité. Pour moi, c’est un devoir en tant que pionnière activiste du hip hop de transmettre à la nouvelle génération un autre point de vue, pour qu’elle ait le choix.
Afrik.com : Et vous Héwan, pourquoi défendez-vous ce projet ?
Héwan : Ma spécialité, c’est le chant. Et ma base réelle, c’est le reggae dans lequel j’ai baigné très jeune. Je suis très attaché à la culture musicale africaine, antillaise… Je me suis retrouvée naturellement dans ce projet parce qu’il partait de la rue. C’est de la rue que viennent le reggae, le gospel, le hip hop… Dans l’art, on exprime aussi un rapport à la vie. Et j’ai une frustration qui vient du fait que cette souffrance que nous véhiculons dans ces arts, on la voit marchandisée, dérespectée. J’ai constaté cette tendance dès 1984, lorsque je me suis retrouvée en studio avec le groupe Wach’da et d’autres formations. La production ne connaissait rien à ce que transporte le reggae ! Ce jour-là, j’ai reçu une grosse claque qui m’a appris que les producteurs ne savent rien de ce que j’ai dans les tripes. Et c’est là où je rejoins Max Laure quand elle parle de la dépossession de notre art. On est dépossédé de nos pays, de nos richesses, mais aussi de notre culture.
Afrik.com : Quels types de musique souhaiteriez-vous faire découvrir aux jeunes ?
Héwan : Le plus possible. Quand, par exemple, je parle de musique de chez moi, je pense au bikoutsi, à l’assiko, à plein d’autres styles roots du Cameroun. Mais je pense aussi à des musiques de la Caraïbe que je me suis appropriées et qui expriment la même chose. J’ai beaucoup écouté de Gwoka, par exemple (la musique traditionnelle de la Guadeloupe)… Les jeunes n’ont pas de référence. Ils ont une culture que leurs parents transmettent de façon non consciente parce qu’ils en ont perdu le sens. Mais perpétuer ce sens profond est crucial et vital.
Afrik.com : Comment ça va s’organiser le Kheperankh-Street ?
Max Laure : La formule sera toujours faite en live, avec un DJ, un guitariste et les participants. Les deux disciplines, le chant et la danse, dispensées par Héwan et moi, vont se compléter. On a voulu élaborer un nouveau concept pour mieux enseigner aux jeunes nos connaissances. Mais ce travail nous remet en question. Et il donnera naissance à une nouvelle forme ce création. Les ateliers Kheperankh Street seront organisés en deux parties. D’abord, quatre sessions de transmission, à partir d’octobre, et un spectacle chorégraphié en juillet, pour clore les sessions.
Afrik.com : Quel public visez-vous ?
Max Laure : Les jeunes de 12 à 18 ans. C’est l’âge que nous avons choisi pour leur donner les bases. Les 20-25 ans, en général sont souvent déjà dans des compagnies, ils veulent approfondir. On tachera de répondre à cette demande, mais plus tard. C’est un autre travail.