
À Khartoum, théâtre d’une guerre meurtrière entre l’armée soudanaise et les FSR, une autre urgence s’impose : des milliers de cadavres jonchent les rues, faisant planer la menace d’une crise sanitaire majeure. Entre enterrements clandestins, peur persistante et urgence avant la saison des pluies, la capitale soudanaise tente de survivre à l’indicible.
Alors que le conflit entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (FSR) fait toujours rage, la capitale Khartoum est confrontée à une crise macabre et silencieuse : l’accumulation de cadavres non enterrés dans les rues. À mesure que les déplacés commencent à revenir, l’urgence sanitaire devient critique, dans une ville où la ligne de front se déplace au rythme des combats et où les odeurs de la mort envahissent les quartiers libérés.
Des quartiers à l’abandon où la mort s’installe
Dans la banlieue ouest de Khartoum, le quartier d’Ombda porte les stigmates d’une guerre sans pitié. Scindé par la ligne de front, sa partie est, récemment reprise par l’armée, est désormais le théâtre d’un cauchemar sanitaire. Les habitants qui reviennent découvrent des corps en décomposition laissés à même le sol, parfois depuis plusieurs semaines.
L’odeur est insoutenable, les maladies se multiplient, et les rares survivants racontent les gestes désespérés pour enterrer les leurs dans les salons de leurs maisons, au péril de leur vie. Les FSR interdisaient jusqu’alors toute inhumation, menaçant ou tuant ceux qui tentaient d’honorer leurs morts.
Enterrer dans le silence et la peur
Les témoignages se ressemblent. Shabu Kafi, revenu de Wadalbasheer, décrit des enterrements nocturnes à la hâte, dans les cours intérieures ou parfois même dans les pièces de vie, faute d’alternative. Kafi Burgan, lui, a dû poser les corps de ses proches dans son salon, faute de cour extérieure. Ces pratiques désespérées sont révélatrices de l’abandon total dans lequel les civils se sont retrouvés. Plus que la violence des armes, c’est l’interdiction de faire le deuil qui a profondément marqué les consciences. La peur d’être surpris par les FSR pendant un enterrement reste ancrée dans les esprits, même aujourd’hui.
Le Croissant rouge, avec l’aide de l’armée, s’efforce désormais de récupérer les dépouilles à Khartoum. Selon Ossama Mustapha Souleyman, son directeur, des milliers de corps ont déjà été collectés et trois cimetières improvisés ont vu le jour en périphérie de la capitale. Mais le temps presse. D’ici deux mois, la saison des pluies transformera les rues de Khartoum en foyers d’épidémies, surtout dans une ville privée d’eau courante. Les habitants s’approvisionnent directement dans le Nil ou des puits, rendant la contamination probable et rapide si les cadavres ne sont pas rapidement pris en charge.
Des retours massifs dans une ville meurtrie
Malgré la situation, de nombreux déplacés commencent à rentrer. Selon l’OIM, plus de 165 000 Soudanais sont déjà revenus d’Égypte depuis le début de l’année, poussés par l’annonce de la reprise de Khartoum et d’autres États centraux par l’armée. Ce chiffre, en hausse de 44 % en trois semaines, témoigne d’un changement dans la dynamique des déplacements. Pourtant, ces retours se heurtent à une réalité insoutenable : maisons détruites, services absents, et cadavres encore visibles dans certaines zones. Le retour à la vie civile semble encore lointain dans une capitale qui continue de se vider… et de pourrir.
Khartoum est aujourd’hui une ville partiellement libérée mais profondément blessée. Avant toute reconstruction, avant même l’espoir d’un retour à la normale, c’est une autre bataille qu’il faut livrer : celle de la dignité pour les morts. Si rien n’est fait pour enterrer proprement les milliers de cadavres, la guerre pourrait bien se prolonger sous une autre forme — celle des épidémies, de la peur et de la mort silencieuse.