Mars – Avril 2023. Retraite d’écriture à Roscoff, Finistère, cité des gargouilles totémiques, des horloges astronomiques, des faîtières cosmiques. Nous résidons dans une vieille bâtisse du seizième siècle, la maison dite Marie Stuart, fenêtres sur océan.
Samedi, 8 avril 2023. Le ciel se couvre de nuées noires. Le vent se lève. Une terrible bourrasque fouette les vitres. Je jette sur papier des alexandrins. La mer se déchaîne le granite s’accroche. L’infini pénètre par étroite lucarne. Le manoir dérive s’engloutit pauvre roche. L’esprit de nature dans tempête s’incarne. S’éteint brusquement lampadaire. Je reçois un message lapidaire. Une annonce d’apocalypse. Khalil Hachimi Idrissi s’éclipse. Le poète se déleste de sa pesanteur terrestre. Sur son atoll céleste :
« La rivière féconde traverse un champ rutilant
Le bleu de l’eau rend le vert essentiel
Le soleil baigne le tout d’une aura magique
Seuls quelques arbres font un heureux ombrage
Des nuées d’oiseaux bariolés animent les airs
Précieuse symphonie haute en couleurs !
Une grammaire aux accords avérés »*
Mardi, 29 septembre 2020, Khalil Hachimi m’écrit : « J’ose te demander, Si Mustapha, non sans une certaine appréhension, une préface pour ce projet de livre ». Son nouveau recueil titré « Eloge du doute au temps de la radicalité ». Je m’efforce de décrypter l’énigmatique prosodie, ses ellipses ésotériques, ses détours métaphoriques. Khalil Hachimi Idrissi me répond : « Je me réjouis d’avoir été le prétexte à cette profusion d’idées créatrices et géniales. Je te remercie de tout cœur d’avoir cerné mon modeste texte poétique et de l’avoir relié à mes réflexions personnelles ballottées par le temps qui passe ». Nos échanges, plages dérobées aux contraintes professionnelles, deviennent au fil du temps des conversations philosophiques, des escapades métaphysiques. Au bout du compte, nous oublions les contingences des temps présents. Nous conférons essentiellement de poétique et de mystique.
J’entends Khalil Hachimi Idrissi m’interpeler :
« La valeur des mots, le hasard des sens
Rien ne se dit fortuitement. Tout est écrit !
La vérité imparable s’écrit à ton insu
Quelle histoire racontes-tu ?
Celle d’un récit indicible provenant des tréfonds
Ou celle d’une sympathique parade de mots »*
J’entends Khalil Hachimi Idrissi braver la mort, lancer sa glaciale ironie à la face des survivants.
« La tombe est bavarde
Elle raconte mille et un chagrins
Laissez la prière monter au ciel !
Un silence impossible
Le récitant cupide annone
La tête jacasse comme une pie noire
Mille fulgurances l’assaillent
Je veux retrouver le visage aimé
Des images assiègent une mémoire égarée
Mille bonheurs enfouis affleurent
Des fragments de rire
Un souvenir incertain d’enfants qui courent
Et puis rien ! Mille fois rien !
Seul le froid de l’oubli »*
La plume se volatilise. Les mots s’immortalisent.