Human Rights Watch demande au futur gouvernement kenyan de traduire en justice les responsables des violences politiques et ethniques « planifiées » qui ont suivi les présidentielles de décembre dernier. C’est seulement de cette façon que le pays pourra se reconstruire dans la durée et éliminer le terreau fertile qui a rendu la crise possible.
Au moins 1 000 personnes ont été tuées et près de 500 000 déplacées depuis que des violences politiques à caractère ethnique ont ébranlé le Kenya, fin décembre dernier, après l’annonce des résultats des élections présidentielles entre Mwai Kibaki et Raila Odinga. Ces violences, qui ont eu toutes les apparences de la spontanéité, ne l’étaient en rien, assure Human Rights Watch dans un rapport publié ce lundi. Certes, explique l’Organisation non gouvernementale, de nombreux thèmes de la campagne électorale avaient déjà pris une tournure ethnique, entre le PNU (Party of national unity) du président sortant et l’ODM (Orange democratic movement) de son rival. De la même façon, « nombre des tensions qui sont apparues en décembre dernier étaient en réalité vieilles de plusieurs années voire de plusieurs décennies », selon HRW. Mais elles n’auraient pu prendre une telle dimension si elles n’avaient été « planifiées ».
« La guerre devrait alors débuter »
Elles l’ont été le plus souvent par des responsables politiques ou/et de riches hommes d’affaires locaux, développe l’ONG, sur la base de plus de 200 témoignages recueillis auprès d’acteurs de la crise, victimes, agresseurs ou observateurs. À Eldoret, dans la Vallée du Rift, une région particulièrement meurtrie par les violences, un responsable Kalenjin, une ethnie qui a majoritairement soutenu Raila Odinga, indique comment les chefs coutumiers ont préparé les leurs à s’en prendre aux Kikuyus, l’ethnie du président Kibaki : ils « disaient que s’il y avait le moindre signe que Kibaki l’emportait, la guerre devrait alors débuter (…) Ils entraînaient les gens pour leur montrer comment faire cette guerre », témoigne-t-il.
La riposte aussi a été planifiée. Et ce jeune homme de l’ethnie kikuyu explique comment une réunion tenue le 23 janvier, dans un hôtel de Naivasha, a été organisée pour la préparer : la réunion « n’était pas le fait de citoyens ordinaires, elle était organisée par des gens qui ont de l’argent et qui ont acheté des chômeurs comme moi (…) Ils nous ont dit de chasser les Luos (ethnie de Raila Odinga) parce qu’ils s’apprêtaient à nous attaquer (…) J’ai reconnu ces responsables, ils font des affaires en ville et ne cachaient pas leurs visages. Nous avons été payés 200 shillings (environ 2 euros) pour assister à la réunion et on nous a dit que nous toucherions le reste une fois le travail fait. »
Régler les différents une bonne fois pour toutes
Par ailleurs, HRW met également en cause les forces de police. Celles-ci ont parfois « fait usage d’une force excessive qui a eu pour conséquence la mort de centaines de manifestants ou de passants innocents ». Dans le seul cas où elles ont admis l’usage d’armes létales, à Kisumu, les forces de l’ordre ont tué une trentaine de personnes.
Devant cet état des lieux accablant, HRW juge qu’« il n’y a pas d’alternative à des poursuites criminelles contre ceux qui ont contribué à la violence, y compris les membres de la police qui ont fait usage d’une force excessive ». « Un « challenge » dont l’ONG est consciente, d’autant que nombre des coupables occupent encore des fonctions publiques. Mais ce challenge est indispensable à relever afin que les causes qui ont présidé à la crise, parfois anciennes, comme le non règlement des conflits liés à la terre ou la création de milices pour palier l’absence de forces de police, le soient une bonne fois pour toutes.
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