Dans une boîte de nuit de Mombasa, sur la côte kényane, Tito Bakari*, un autochtone, et Leonard Smithberger, un touriste, se bécotent dans un coin sombre, avant que le videur ne leur demande de quitter les lieux. Main dans la main, ils vont s’installer dans un autre bar du quartier, où ils continueront de faire la fête jusqu’au bout de la nuit.
« Mon amoureux allemand est là depuis Pâques ; la fête ne fait que commencer », a dit M. Bakari à IRIN/PlusNews. M. Smithberger se rend au Kenya plusieurs fois par an et couvre Tito de cadeaux et d’argent ; lorsqu’il est là, ce dernier quitte son domicile, où il vit avec sa femme et son enfant, pour emménager dans l’hôtel de son amant.
Jusque 60 pour cent des travailleurs du sexe de Mombasa ont également des partenaires sexuelles féminines, selon une étude récente, présentée à l’occasion de la 17e Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes, à San Francisco.
« Bien que, pour la plupart, les partenaires sexuels des MSM-SW [hommes travailleurs du sexe ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes] soient des hommes, ces derniers ont aussi souvent des rapports sexuels, généralement transactionnels, et souvent sans protection, avec des femmes de la région », peut-on lire dans l’étude.
« On ne sait pas véritablement si les femmes qui font appel aux services des MSM-SW sont conscientes des risques qu’elles encourent elles-mêmes, ni quelles sont leurs motivations ; toutefois, ces problèmes risquent d’être négligés dans le cadre des interventions destinées à réduire les risques uniquement entre les MSM [hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes] ».
Selon la dernière enquête sur les indicateurs du sida réalisée au Kenya, 15,2 pour cent des nouveaux cas d’infection au VIH concernent les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes et ils sont souvent vus comme une passerelle de transmission du VIH à la population générale.
Des risques mal compris
Le gouvernement mène actuellement une enquête qui orientera ses premières campagnes de lutte contre le VIH ciblées sur les MSM ; jusqu’ici exclus des efforts de prévention du VIH, ces derniers perçoivent mal leurs propres risques.
« Ma femme sait que je suis bisexuel, mais je pourvois à ses besoins et je la satisfais aussi sexuellement. J’ai même eu deux enfants avec elle, alors elle ne se plaint jamais », a expliqué Ben Maina*, un travailleur du sexe de Mombasa, qui n’utilise pas systématiquement le préservatif avec ses clients et n’en porte jamais avec sa femme.
Selon une autre étude, réalisée en 2007 à Mombasa, le taux de prévalence élevé du VIH chez les MSM kényans est probablement dû à des pratiques anales passives sans protection et à l’usage limité du préservatif.
Malgré les risques et l’intolérance de la société, M. Maina gagne trop d’argent pour envisager de quitter la profession : dans un pays où la moitié de la population vit avec moins d’un dollar par jour, il empoche jusque 365 dollars par semaine. « Cet argent m’aide à subvenir aux besoins de ma famille », a-t-il dit.
Déni
D’après le docteur Mary Mwangombe, chercheuse au Kenya Medical Research Institute (KEMRI) de Kilifi, une ville du littoral, les programmes de lutte contre le VIH ciblés sur les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes et leurs partenaires – hommes et femmes – sont difficiles à mener : l’homosexualité est illégale et le public ne la tolère pas.
« La plupart des hommes qui travaillent dans le secteur du commerce sexuel vivent et font leurs affaires en secret, pour éviter d’être ‘victimisés’ soit par les représentants municipaux, soit par la police, soit par le public dans son ensemble », a-t-elle dit à IRIN/PlusNews.
En février, dans la ville côtière de Mtwapa, un « mariage gay » a été interrompu par la police, suivie par une foule en colère qui a également pris d’assaut les bureaux du KEMRI, prétendant que l’organisme abritait des homosexuels.
« Les médecins et les conseillers se sont heurtés à de graves difficultés, non seulement face aux idées fausses relatives à la transmission et à la prévalence du VIH, mais aussi en tentant de convaincre d’autres parties prenantes et le grand public que les comportements sexuels extrêmement risqués tels que ceux-ci sont une réalité au Kenya », a dit Mme Mwangombe.