La floriculture est en plein boom au Kenya. En quelques années, le pays est devenu le principal fournisseur – en majorité de roses– de l’Europe. A tel point que cette activité est en passe de détrôner le tourisme et la culture du thé, qui ont fait les beaux jours du pays. Mais cette opportunité économique comporte un pendant inquiétant : la protection de l’environnement et des populations est sérieusement menacée.
Les fleurs, plus fortes que les safaris ! L’industrie horticole prend, au Kenya, de plus en plus d’ampleur au fil des ans. Plus que des fruits ou des légumes, ce sont avec les fleurs coupées que les industriels font leurs choux gras. Aujourd’hui, ce secteur qui se classe parmi les trois principales activités du pays, derrière le tourisme et le thé, est en passe de devenir la principale manne économique du Kenya. La floriculture est l’activité qui connaît la plus forte croissance dans le pays. En 2007, la culture florale représentait 45% des ses exportations horticoles en général, soit un apport de 32 millions de shillings kényans sur l’année (plus de 455 millions de dollars US).
Pourtant, l’activité florale n’a été créée au Kenya qu’en 1972 et rivalise déjà avec les secteurs traditionnels pourvoyeurs de fortes devises. Son client principal : l’Europe, qui fait venir 15% de ses fleurs, fleurs séchées, feuillages et bulbes du Kenya. Par conséquent, de plus en plus d’immenses fermes industrielles entièrement dédiées à la floriculture s’implantent dans la région. Autour du lac Naivasha par exemple, cette activité emploie près de 3 000 travailleurs (industrie horticole en général, à majorité florale). Ce site est le principal lieu de culture kényan, en raison de l’importante réserve d’eau qu’il constitue. Dans un pays où 40 % de la population est touchée par le chômage, c’est une véritable aubaine. Au Kenya, on dénombre plus de 5 000 groupes de femmes –principales ouvrières de la fleur– actifs. Au total, 50 000 personnes vivent de la floriculture, et les activités secondaires qui en découlent fournissent du travail à plus d’un million de kényans.
Une menace pour les hommes et l’environnement
Si de grandes firmes horticoles telles que la britannique Flamingo ou la danoise Sher Agencies ont choisi d’investir au Kenya, c’est non seulement pour son fort potentiel mais aussi et surtout pour la souplesse de sa législation. La main d’œuvre y est très bon marché, puisque les ouvriers de l’industrie florale touchent entre un et deux dollars par jour. L’eau douce –celle du lac Naivasha en particulier–- est utilisée sans réel contrôle et les normes environnementales fixées par le gouvernement du pays sont plus que flexibles. Dès lors, l’industrie « florissante » de la fleur kényane possède son revers humain et environnemental.
Les populations sont réellement en danger. A commencer par les risques liés à l’utilisation de fortes doses de pesticides qui contiennent du chlorure de méthyle, un fumigeant pour sols qui ravage l’organisme. «Parmi les femmes qui travaillent dans le secteur de la floriculture, deux sur trois souffrent de nausées dues aux pesticides », note le World Ressource Institute (WRI, une ONG américaine). Les travailleurs peuvent être affectés de différentes façons : maux de tête, problème d’épiderme, vision brouillée, troubles de l’équilibre, de la mémoire, insomnies, dépression entre autres. A plus long terme, cela peut déboucher sur des cancers ou des maladies respiratoires, cardio-vasculaires et nerveuses.
La faune et la flore également, sont menacées par la pollution.
Les réglementations en matière de protection de l’écosystème sont très laxistes. Dans la région du lac Naivasha par exemple, les eaux résiduelles, peu ou pas traitées, sont directement reversées dans le lac, affectant les espèces qui y vivent. Le dérèglement climatique vient s’ajouter aux facteurs de mise en danger de la faune : le niveau de l’eau étant désormais très fluctuant, différentes espèces d’oiseaux sont en train de disparaître et les poissons ne survivent pas.
Par ailleurs, les récoltes de fleurs étant destinées à l’exportation, le coût d’acheminement pèse sur l’environnement. Les voyages, en avion ou en camion, l’éclairage artificiel permanent, l’arrosage ininterrompu et l’intensité des cultures pèsent très fortement sur l’environnement. D’après le site Terra Economica, « la dépense énergétique engendrée par l’achat d’un bouquet de 25 roses équivaut à une balade en voiture de 20 kilomètres ».
Une lente prise de conscience
Les pays développés, principaux consommateurs de fleurs kényanes, sont, peu à peu, en train de prendre la mesure de ces excès. Un code de conduite pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs a été mis en place par le Kenya Flower Council, une association implantée dans la zone. En effet la main d’œuvre, très bon marché puisqu’elle est payée entre 1 et 2 dollars par jour, est la première victime de l’explosion du secteur, tant au niveau de l’exploitation dont est l’objet qu’au niveau de l’exposition aux poisons contenus dans les engrais chimiques et autres pesticides. La législation européenne, qui contraint la floriculture kényane sur les taux maximum de pesticides ou de résidus chimiques est très changeante, difficile et onéreuse à appliquer.
L’élan éthico-environnementaliste qui touche les mentalités européennes devrait néanmoins aider le Kenya à se mettre aux normes. Les consommateurs sont aujourd’hui à même de faire pression sur le gouvernement pour qu’il protège et encadre mieux ses travailleurs et ses productions. Leurs choix se portent en effet désormais davantage sur les labels « développement durable », et les producteurs de fleurs devraient trouver leur intérêt commercial à soigner leur approche de la protection de l’environnement et de la santé des ouvriers.