Les flambées de violence qui secouent Nakuru, dans la vallée du Rift, ont entraîné une augmentation vertigineuse du nombre des déplacés installés dans le plus grand camp de la ville, mais selon les responsables du camp, il devient de plus en plus difficile d’assurer la sécurité de ces déplacés, et les enfants sont particulièrement touchés.
« À l’heure actuelle, nous avons plus de 5 900 PDIP [personnes déplacées dans leur propre pays] au camp, et plus de 2 800 d’entre eux sont des enfants », a indiqué à IRIN Jesse Njoroge, coordinateur du camp monté dans le champ de foire de Nakuru.
« De nombreux enfants viennent seuls, les familles étant contraintes d’abandonner leur domicile dans la précipitation ».
Selon Mary Muthumbi, des services de protection de l’enfance du district de Nakuru, au moins un enfant a déclaré avoir subi des sévices sexuels depuis l’ouverture du camp, le 30 décembre.
« Malheureusement, bien que l’affaire ait été prise en charge par la Société juridique de la vallée du Rift, l’enfant n’est pas capable d’identifier son agresseur, alors il s’avère assez difficile d’engager des poursuites », a-t-elle expliqué à IRIN.
Les volontaires du camp sont peu surveillés, et sous prétexte de soutenir les déplacés ou de leur apporter des dons, bon nombre de personnes parviennent à pénétrer dans le camp sans faire l’objet d’une inspection préalable. La police est débordée par les violences qui continuent de secouer Nakuru, et n’a guère été en mesure, jusqu’ici, d’assurer la protection des populations.
Au cours de l’attaque lancée contre le camp le 26 janvier, les enfants se sont trouvés piégés au beau milieu des échauffourées, se faufilant entre les jeunes armés de machettes pour tenter d’aller se mettre à l’abri, dans les grandes tentes qui leur servent de refuges.
« Aujourd’hui, la situation va de mal en pis, car les violences sont devenues complètement tribales, alors il est même devenu difficile de travailler au camp », a déclaré Mme Muthumbi. « Mes employés des services de la protection de l’enfance appartiennent aux communautés ethniques non-kikuyues, et la majorité kikuyue du camp est méfiante voire hostile à leur égard, alors, pour l’instant, nous les avons retirés du camp ».
Avant le retrait des services de protection de l’enfance, certaines mesures ont été prises pour assurer que les enfants soient identifiés et protégés, a expliqué Mme Muthumbi. « Nous plaçons les enfants non accompagnés dans une même tente à leur arrivée, et généralement, au bout de quelques jours, un de leurs parents ou un membre de leur famille arrive et les emmène », a-t-elle précisé.
Les enfants qui n’ont pas été identifiés ont été placés dans des foyers pour enfants ou des orphelinats de Nakuru, a-t-elle ajouté. À en croire M. Njoroge, un grand nombre d’enfants ont néanmoins été accueillis par des familles de la région qui n’avaient pas été préalablement évaluées, ce qui expose ces enfants au risque d’être enlevés ou victimes de maltraitances.
« Ces gens viennent au camp et concluent un accord informel avec les parents, à qui ils promettent d’héberger leurs enfants, mais quelques jours plus tard, les parents se rendent compte qu’ils ne veulent pas vivre sans leurs enfants et viennent nous voir ; mais nous n’avons aucun moyen de les retrouver », a-t-il confié. « Dans certains cas, les volontaires se rendent compte qu’en fait, ils n’ont pas les moyens d’héberger et de nourrir ces enfants, et les ramènent, et nous devons alors commencer à rechercher leurs familles ».
Normes de protection minimum
Selon Stenor Vogt, conseiller spécialiste de la protection de l’enfance au Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), les enfants sont gravement affectés par la séparation d’avec leurs parents, et sont généralement plus facilement traumatisés par le changement.
« La meilleure des choses, dans ces situations, c’est de trouver un moyen d’empêcher les séparations ; si ce n’est pas possible, il est essentiel que les enfants non accompagnés ou séparés de leurs parents soient identifiés et rendus le plus tôt possible à leurs familles », a-t-il recommandé.
À la suite du génocide rwandais, les enfants qui étaient restés dans leurs familles – même élargies – avaient moins de problèmes psychosociaux que ceux qui avaient été placés dans des institutions après le déplacement ou la perte de leurs parents, a également noté M. Vogt.
Enfants assistant à un cours sous un arbre, dans un camp de déplacés
« Dans le camp, les communautés et les familles sont hébergées dans les mêmes zones, pour cultiver leur sens des responsabilités et essayer de faire en sorte que chaque enfant soit pris en charge par quelqu’un qu’il connaît », a expliqué M. Njoroge, le coordinateur du camp.
Des espaces pour enfants doivent être aménagés au sein même du camp, a souligné M. Vogt, pour que les enfants puissent jouer ensemble et pour assurer leur suivi de façon à déceler les traumatismes physiques ou psychologiques dont ils peuvent souffrir.
« Il faut scolariser les enfants le plus tôt possible, pour leur donner l’impression de vivre normalement et mieux assurer leur protection ; à l’école, ils sont en effet suivis par leurs professeurs », a-t-il ajouté. « Les enfants s’en sortent très bien s’ils sont placés assez tôt dans un environnement normal – s’ils vont à l’école et sont avec leurs familles ».
Selon M. Vogt, qui forme à la protection de l’enfance les personnes chargées de s’occuper d’enfants à Nakuru, l’avantage du Kenya repose sur le fait que, conformément à la culture, les enfants tendent à rester avec des membres de leur famille ou de leur communauté même lorsqu’ils perdent un parent, ce qui réduit leur risque d’être victimes de maltraitances ou d’un traumatisme supplémentaire.
D’après Mme Muthumbi, des autorités du district de Nakuru, les enfants en âge d’aller à l’école primaire ont été placés dans deux établissements de la ville, les écoles primaires de Moi et de Lenana, où de grandes tentes ont été montées pour les accueillir. Les besoins des enfants en matière de santé, d’assainissement et de nutrition, a-t-elle noté, sont assez bien gérés par le gouvernement et les organisations non-gouvernementales (ONG).
« Aujourd’hui, ceux qui nous posent un problème sont les enfants en âge d’aller à l’école secondaire, qui n’ont pas encore été placés », a-t-elle ajouté. « Maintenant que les violences ont repris, il sera encore plus difficile de commencer à les placer ».
Un grand nombre de ces jeunes en âge d’aller à l’école secondaire sont en effet membres de l’unité de protection informelle du camp, qui monte la garde jour et nuit pour prévenir les attaques des gangs locaux. Certaines adolescentes commencent à avoir des rapports sexuels en échange de vivres ou d’argent, a en outre noté M. Njoroge.
Selon les estimations de l’UNICEF, les violences qui déchirent le Kenya à l’heure actuelle ont fait 100 000 déplacés parmi les enfants kényans, dont au moins 75 000 vivent dans des camps de PDIP, aux quatre coins du pays.
Photos: Keishamaza Rukikaire/IRIN