Kenya : Le secret de la fin des crises électorales


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Le Kenya multiplie les crises électorales. La sortie de la récente crise est très superficielle car les problèmes de fond ont été maquillés sans être traités. Comment faire pour sortir de cette logique de blocage et de violence ?

Dans son article, FANGNARIGA YEO, propose une alternative radicale à la fin des conflits électoraux au Kenya. Pour sortir de la spirale des violences, il propose de changer de régime. En effet, un régime hyper présidentiel est à la source de tous les maux et excès. Pour lui, un régime parlementaire permettrait de réduire drastiquement les problèmes du pays, de rééquilibrer les pouvoirs et de mettre en place des contrepouvoirs indispensables à l’existence même d’une démocratie.

Le Kenya s’est malheureusement inscrit dans la spirale de crises électorales. La présidentielle, du 8 août 2017, invalidée par la Cour Suprême, alors que la commission électorale avait déclaré le Président sortant Urhuru Kenyata vainqueur, n’a pas échappé à cette spirale. Son invalidation a conforté l’opposant Raila Odinga dans sa revendication de la réforme de la Commission Electorale. N’ayant pas obtenu gain de cause, il a boycotté le scrutin du 26 octobre. Cela a conduit inéluctablement à la réélection d’Urhuru Kenyata plongeant de nouveau le Kenya dans une crise.

La concentration du pouvoir autour du Président

Sa réélection a été validée, le 20 novembre, par la Cour Suprême augurant d’une crise post-électorale inéluctable. Comment le Kenya peut-il sortir définitivement de ses crises électorales ? L’une des solutions serait de changer radicalement de régime pour changer les comportements des dirigeants. En effet, le Kenya a un régime présidentiel avec une grande concentration du pouvoir entre les mains du président. Cette concentration des pouvoirs par le président phagocyte les autres pouvoirs et constitue un obstacle à la consolidation de la pratique démocratique. Cette perspective d’accaparement des pouvoirs attise la convoitise des politiques car cela leur permet de faire ce qu’ils veulent sans rendre compte à qui que ce soit. D’où la course au pouvoir avec le leitmotiv : les moyens justifient la fin.

Un régime parlementaire pour équilibrer le pouvoir

A l’opposé, l’adoption d’un régime parlementaire permettrait une meilleure répartition des pouvoirs. Ainsi, l’exécutif n’écraserait plus les deux autres pouvoirs mais devrait collaborer avec eux. Cette collaboration aurait un sens politique car permettrait au parlement de contrôler la politique intérieure et extérieure et la nomination des hauts fonctionnaires, évitant ainsi le népotisme et le favoritisme. Le régime parlementaire irait dans le sens de l’équilibre et de la reddition des comptes. Avec le système parlementaire, chaque semaine, le gouvernement serait devant le parlement pour expliquer le bien-fondé de ses orientations et de ses actions. La motion de censure et le suivi de l’action gouvernementale constitueraient des épées de Damoclès qui obligeraient l’exécutif à l’efficacité, à la transparence et à la sanction en cas de besoin. Le pouvoir de dissolution réciproque conduit les pouvoirs exécutif et législatif à la bonne gouvernance et favorise l’alternance politique pacifique et le renouvèlement de la classe politique. En outre, l’équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif rejaillirait positivement sur le pouvoir judiciaire. Les magistrats étant nommés de façon transparente, l’indépendance de la justice serait renforcée. Le pouvoir judiciaire serait ainsi à l’abri des ingérences. Cela se traduirait donc par sa réelle impartialité dans le traitement des contentieux électoraux.

Un régime parlementaire pour dépersonnaliser le pouvoir

L’adoption du régime parlementaire, en effet, contribuerait à apaiser l’accession à la présidence et participerait à la rationalisation des pouvoirs. Car le pouvoir d’Etat est simplement exercé par le leader ou le dirigeant du parti qui dégage la majorité au parlement. Tant que la politique menée par le gouvernement est conforme au programme sur lequel la majorité a été élue, tout se passe bien. Cela offre une incitation aux politiciens à ne pas dévier et abuser de leurs pouvoirs. Il mettrait ainsi fin au culte de la personnalité puisque l’effectivité du pouvoir exécutif est conditionnée au respect du programme de la majorité parlementaire. L’instauration d’un scrutin proportionnel majoritaire à un tour, dans l’élection des parlementaires permettrait, non seulement, une meilleure représentation du paysage politique national mais aussi, mettrait fin à la domination de deux ou trois partis politiques. Ce morcellement du paysage politique serait un terreau fertile pour les pratiques de marchandage renforçant ainsi l’émergence d’hommes forts. En conséquence, avec le régime parlementaire, le champ politique est plus rationalisé et moins personnalisé, ce qui permettrait de rompre avec la recherche fantasmagorique de l’homme providentiel. La lutte pour avoir la majorité au parlement serait certes rude mais plus pondérée. Car lors des législatives, il y aurait différentes circonscriptions électorales qui doivent chacune élire ses représentants. Plusieurs candidats dans les régions seraient en lice, ce qui permettrait de dépassionner dans une certaine mesure le débat politique et les dérives qu’il entraine durant une présidentielle.

Mise en place de contrepouvoirs forts

Pour prévenir les abus, il serait salutaire de constitutionnaliser certains contre-pouvoirs : les médias, la société civile, la commission électorale et une Haute Autorité de règlement des conflits. Ces contre-pouvoirs jouiraient de l’équilibre des pouvoirs exécutif et législatif pour avoir une réelle indépendance et bénéficieraient dans une certaine mesure de la protection du parlement puisqu’aucune action ne pourrait être menée contre eux sans son autorisation préalable. Ainsi, la commission électorale devrait être composée essentiellement d’acteurs de la société civile reconnus pour leur probité. Cela renforcerait son indépendance et son impartialité permettant d’avoir des résultats réellement issus des urnes et acceptés par tous. Dans cette veine, les médias pourraient apporter une meilleure contribution à la transparence électorale. Pour ce faire, des chaines de radios locales pourraient donner des résultats en directs sur leurs antennes afin que tout le peuple en soit informé. Quant à la société civile, elle pourrait alors jouer un rôle plus important dans l’éducation électorale des citoyens et implémenter l’observation des scrutins par la méthodologie du Comptage Parallèle des Votes (PVT). Elle deviendrait une voix indépendante pour le règlement du contentieux électoral. Cela contribuerait à renforcer la transparence des scrutins et la confiance de tous dans le processus électoral. Par ailleurs, la Haute Autorité de règlement des conflits servirait de mécanisme de prévention, médiation et de règlement des conflits. Elle pourrait durant les processus électoraux anticiper les conflits électoraux à travers un mécanisme d’alerte précoce. De plus, elle pourrait directement rencontrer les acteurs politiques en vue d’apaiser les tensions afin qu’elle n’engendre pas une crise. Elle serait chargée des négociations pour concilier les positions tranchées des candidats et acteurs politiques.

En définitive, le Kenya doit nécessairement tirer les bonnes leçons de ses crises électorales. Cela passe par une réforme en profondeur du système politique pour adopter un régime parlementaire qui contribuerait à apaiser les élections. Le leitmotiv est de renforcer les contre-pouvoirs pour limiter les abus. La nature du pouvoir est plus importante que la personne qui l’exerce.

FANGNARIGA YEO, activiste des droits de l’homme et blogueur

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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