Kibera, situé dans l’Ouest de la ville de Nairobi au Kenya, avec une population que l’on estime à près d’un million d’habitants est connu pour être l’un des plus importants bidonvilles d’Afrique. Mais très peu savent qu’un certain Patrick Oburu a eu l’ingénieuse idée de créer un « business center » dans son marché. Petite visite guidée.
Ici tout respire l’extrême pauvreté. Les baraques en bois et en tôle se suivent, mais ne se ressemblent pas. Tantôt l’une est une habitation, tantôt un salon de coiffure ou encore une échoppe. Nous sommes dans l’une des principales artères du bidonville de Kibera, dans l’Ouest de la capitale kenyane Nairobi, le plus grand bidonville d’Afrique de l’Est. Direction : le marché. Encore des structures de fortune et, au milieu d’elles, une image pour le moins insolite. Au détour d’une des nombreuses ruelles du marché, une pancarte au fond blanc attire l’œil. Les services proposés par l’espace dénommé « BIFA »: photocopie, saisie, gravure de CD, réalisation de scans et autres travaux absolument nécessaires dans notre société de l’information. A l’origine de ce « business center », Patrick Oburu, 40 ans, charpentier de son état et résident du bidonville qui compte, selon des estimations, près d’un million d’habitants. Il habite là depuis qu’il a quitté sa province natale de Nyanza, située autour du Lac Victoria à proximité de la frontière tanzanienne, le fief du peuple luo.
Son « centre d’affaires » est en principe ouvert du lundi au dimanche de 8h à 17h. Mais ce jeudi-là, les portes du lieu sont à moitié closes, il est 17h15. Néanmoins Madame Oburu, qui attend un heureux évènement, surveille les lieux. Son mari, qui a dû remarquer l’intérêt de curieux visiteurs s’est avancé pour faire découvrir l’endroit. Autre surprise : il est fort bien équipé. Au milieu de l’epace, pour le moins exigu, trône un ordinateur, couvert d’une toile en popeline rose – sommaire protection contre la poussière -, avec ses enceintes et une imprimante. Derrière, on aperçoit un scan et un gros photocopieur. Patrick Oburu s’installe, certainement pour nous faire une petite démonstration, mais on ne lui en laisse pas le loisir, il doit d’abord satisfaire la curiosité de ses hôtes improvisés pressés par le temps. Et il se prête, un tantinet amusé, surtout sa douce moitié, au jeu.
« La vie continue », le progrès aussi
Pourquoi a-t-il créé cet espace ? « J’ai envie d’aider les gens, car on peut retrouver tous les services offerts en ville ici », répond-il. On le croit sur parole d’autant qu’il explique : « J’ai 4 ou 5 clients par jour qui viennent pour faire des photocopies et de la saisie ». La photocopie coûte 1,5 shilling kenyan et la feuille saisie, 25 shillings (27 centimes d’euros). C’est Patrick, lui-même, qui est alors au clavier. Une liste des tarifs affichée sur l’une des tôles, qui fait office de mûr au baraquement, montre bien que le but de l’entreprise n’est pas vraiment de s’enrichir.
Car ses concitoyens, engloutis par les soucis quotidiens de tout bidonvillois, ont-ils réellement besoin de ces services ? La réponse du microentrepreneur est pour le moins paradoxale, mais réaliste : « Non ! ». Et le sieur Oburu de poursuivre : « Ils savent que j’existe, mais ils ne viennent pas. Je suis d’ailleurs le seul dans ce marché ». Du bidonville aussi certainement. Ce manque d’engouement n’empêche pourtant pas le Kenyan de vouloir garder sa seconde activité. Motivation : « la vie continue ». Philosophe et de surcroît optimiste, Patrick Oburu est convaincu que, dans le futur, ses clients seront plus nombreux. Il a bien raison ! Même l’Afrique des bidonvilles ne saurait échapper au rouleau compresseur des nouvelles technologies.