Après de longues semaines de reports et de discussions, Mwaï Kibaki, élu contesté à la présidence du Kenya, et Raïla Odinga, ex-leader de l’opposition nommé premier ministre, sont parvenus à un accord sur la répartition des sièges ministériels. La communauté internationale salue le nouveau gouvernement de coalition qui doit toutefois faire ses preuves.
Après six semaines d’âpres discussions, le nouveau gouvernement kenyan de « grande coalition », comme aime à le nommer Mwaï Kibaki, a enfin vu le jour. Le président a annoncé sa composition dimanche, à Nairobi, en présence de Raïla Odingan, tout nouvellement nommé Premier ministre. Une nomination conforme à l’engagement qu’avait signé les deux hommes le 28 février dernier sous l’égide de Kofi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations unies, et voté à l’unanimité par l’assemblée nationale le 18 mars.
Le partage des sièges ministériels
L’accord prévoyait un poste créé sur mesure pour le leader de l’opposition. C’est chose faite. Raïla Odinga sera aidé dans ses fonctions par deux adjoints : l’un, Musalia Mudavadi, est tout droit sorti des rangs de son parti le Mouvement démocratique orange (ODM). Il avait d’ailleurs été choisi comme futur vice-président avant même les élections. L’autre, Uhuru Kenyatta, est l’un des principaux alliés du président Kibaki et, accessoirement, fils du premier président kenyan Jomo Kenyatta.
Le pouvoir et l’opposition se partagent également les 40 sièges de la nouvelle équipe gouvernementale, mais parmi les 20 postes qui lui sont attribués, le camp présidentiel conservent les plus stratégiques. Le désaccord entre les deux protagonistes, à propos de ces postes avait failli faire échouer le processus de négociation le 3 avril dernier, mais, malgré les tentatives de l’opposition, le ministère des affaires étrangères, la sécurité, la finance et la justice restent entre les mains du PNU, le Parti de l’unité nationale au pouvoir.
L’ODM se contentera donc de sièges moins prestigieux. Le ministère de l’Administration locale, celui du Développement régional lui reviennent. Otieno Kajwang, un activiste de longue date en matière d’immigration et de l’identité nationale a été nommé au ministère du même nom. Quant au ministère de l’Enseignement supérieur, de la science et de la technologie, il a été attribué à un allié essentiel de l’ODM, Sally Kosgey.
Le cabinet d’union national kenyan ainsi créé -et qui comporte, outre les 40 ministres, 53 ministres adjoints- permet tout de même de répondre à la volonté de l’opposition de participer à l’exercice du pouvoir et au pays tout entier de résoudre la violente crise politique qui le divisait depuis les élections.
Vers la réconciliation nationale
La contestation par l’opposition de Raïla Odinga des résultats de l’élection présidentielles du 27 décembre, entachées de graves irrégularités, avait déclenché une crise post-électorale violente. 1500 personnes ont perdu la vie dans les émeutes et les massacres interethniques, 300 000 autres ont été déplacées. Le président Kikabi, fort de son nouveau gouvernement, qui se veut à la fois représentatif des deux principaux partis mais aussi de la diversité ethnique du pays, a déclaré dimanche, lors d’une allocution télévisée, que « le nouveau gouvernement devra donner la priorité à la re-localisation des personnes déplacées afin qu’elles puissent vivre à nouveau normalement et jouer leur rôle dans la construction nationale. (…) C’est pour ça que mon gouvernement a renforcé la sécurité dans les zones affectées, afin d’empêcher un retour de ces violences. »
La nouvelle coalition doit œuvrer à redonner au Kenya la démocratie stable qui faisait sa renommée dans l’Est africain. Mwaï Kikabi entend « reconstruire un nouveau Kenya où la justice est notre bouclier (…) et où la paix, la justice et l’abondance existeront à travers notre pays (…) J’encourage les membres de ce gouvernement à répandre le message de paix dans toutes les zones affectées (par les violences post-electorales). »
Premières réactions
Les pressions de la communauté internationale s’étaient multipliées ces derniers jours pour que les dirigeants kényans trouvent un terrain d’entente. Dimanche, les Etats-Unis ont été les premiers à féliciter le Kenya. Ils se sont dit prêts à apporter leur soutien au gouvernement de coalition dans la résolution des crises que traversent le pays.
Mais une partie de la population partage les craintes de la commission nationale kenyane sur les droits de l’homme. Maina Kiai, son président, a dénoncé à l’AFP le coût et la probable inefficacité d’un gouvernement aussi important « Avoir un gouvernement de plus de 40 ministres et de 53 ministres adjoints ne va pas nous aider à mener les réformes. Quand vous pensez aux montants qui seront dépensés pour faire plaisir à ces gens, c’est un prix très élevé pour le contribuable. » D’autres, à l’instar d’un journaliste béninois dans le quotidien Le Pays se demandent si le président Kikabi, qui ne s’est pas départi des postes clé du gouvernement, est à même de laisser suffisamment de latitude à son premier ministre pour qu’il puisse exercer ses prérogatives.
L’unité gouvernementale doit maintenant faire rapidement ses preuves pour que le pays se relève des conséquences, notamment économiques, de la crise qu’il vient de traverser. Quelles que soient les priorités du pays, les chefs de l’Etat et du gouvernement devront avant tout apprendre à travailler dans le respect mutuel, le consensus et le compromis.