Le 10 août 2015 commémore la cinquième année de l’adoption par le Kenya d’une nouvelle Constitution. Quel bilan faire de cette moitié de décennie ? Certaines choses ont certes changé, mais la grande tendance est plutôt décevante par rapport aux attentes des Kényans après le vote de cette Constitution.
Hors du pays, cette Constitution a remporté un succès important au point que certains l’ont érigée en un modèle, la considérant comme « l’une des Constitution les plus progressistes ». Cependant, les critiques ont commodément occulté l’inapplicabilité du texte.
D’évidence les Kényans ordinaires ne pouvaient pas prévoir à quel point les nouvelles structures décentralisées se révéleraient être une vache à lait pour une élite politique corrompue et ses copains sans pour autant afficher des résultats probants. Une chose est claire : la promulgation de la nouvelle Constitution, en 2010, n’a pas permis d’avancer sur la voie de la prospérité partagée.
Au fil du temps, les experts commentateurs ont enfin osé aborder les questions importantes occultées. En effet, la Constitution devrait être un contrat social qui définit la façon dont le pouvoir est distribué dans la société. Dans le cas du Kenya, la Constitution de 2010 a défini la répartition du pouvoir au niveau national et local. Alors que tous les experts se sont focalisés sur les termes de la Constitution, ils ont totalement ignoré les principes de l’Etat de droit.
Au cœur de toute Constitution (ou contrat social) devrait se trouver un pacte moral entre un peuple et des dirigeants responsables, mais cette notion de responsabilité a été oubliée par les élus. D’évidence la classe politique n’est ni prête ni disposée à respecter l’esprit de la Constitution. Dans les premiers jours du Jubilé, les membres du parlement ont manœuvré pour augmenter leurs salaires, ce qui est odieusement immoral étant donné qu’ils constituent un organe constitutionnel investi du mandat de fixer les salaires des fonctionnaires. Immédiatement tout le monde, y compris les membres des assemblées des comtés, a voulu obtenir des hausses de salaires et aujourd’hui, les législateurs kényans au niveau des comtés gagnent des salaires scandaleux.
La plus grande déception est vraiment la progression de la corruption alliée à un manque total d’impunité politique. Les Kényans ont été incapables de faire face aux multiples scandales qui surgissent chaque jour. Le Président, en dépit même des pouvoirs de son mandat, affiche une action sans conviction en matière de lutte contre la corruption, puisque les gouverneurs continuent de voler en toute impunité.
Le rapport annuel (2013-1014) publié par la commission d’éthique et de lutte contre la corruption (EACC) a indiqué qu’un total de 4 006 cas de corruption ont été enregistrés. Les scandales les plus notables depuis 2013, perpétrés par le gouvernement central comprennent l’attribution irrégulière d’un appel d’offres pour la conception, la fourniture, l’installation et la mise en service d’un système de commande et de contrôle pour la police nationale ; des irrégularités dans la passation des appels d’offres concernant le chemin de fer ; des achats présumés irréguliers d’ordinateurs portables au ministère de l’Education ; des allégations de corruption et d’abus contre des agents du ministère de l’Immigration lors du traitement des permis de travail ; fourniture irrégulière par le Meridian médical Centre Limited de services ambulatoires aux membres du NHIF.
Les cas de corruption les plus notables au sein des gouvernements de comtés comprennent des irrégularités dans l’appel d’offres pour la fourniture de médicaments dans le comté de Kiambu ; l’abus de pouvoir par des conseillers locaux qui se sont attribués des contrats de construction dans le comté de Meru ; l’approvisionnement irrégulier de la maison du gouverneur au comté de Kilifi ; le détournement de 19% des fonds au comté de Narok ; l’achat d’ordinateurs portables d’occasion pour les représentants de comté auprès d’un fournisseur unique au comté de Machakos ; l’achat irrégulier de meubles et autres équipements pour la maison du Président au comté de Kisumu. Et cela n’est qu’un aperçu…
Alors que la nouvelle Constitution avait été accueillie avec tant d’espoir, les Kényans ont vite oublié les messages de félicitations. Le combat doit résider aujourd’hui dans la défense de la Constitution qui est une bonne base mais qui doit être alliée à des pratiques responsables. Une Constitution n’est pas un simple papier, c’est un contrat moral entre des dirigeants et une population.
Alex Ndungu Njeru, analyste pour Africanliberty.org.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique