Mercredi 29 avril, dix associations kényanes appelaient les femmes à bouder les plaisirs de la chair afin de pousser le gouvernement à accélérer les réformes. Bilan : si la semaine de boycott a réellement interpelé les dirigeants, dans la rue, l’appel à la grève du sexe a parfois été vivement critiqué…
Les grévistes du sexe reprennent du service. Dix associations de femmes avaient appelé les Kényanes à l’abstinence le 29 avril pour mettre un terme aux disputes entre le président Mwai Kibaki et le premier ministre Raila Odinga. Un processus indispensable pour entamer les réformes et éviter que le pays ne se déchire, comme lors de l’élection présidentielle de décembre 2007, qui avait fait au moins 1 000 morts et des dizaines de milliers de déplacés.
D’après le collectif, appelé G10, le bilan de la semaine sans sexe est satisfaisant. « Ça a marché ! Même si nous arrêtons aujourd’hui (mercredi, ndlr), le message a été entendu. L’idée était de mettre la pression. Nous avons confirmation que les deux responsables travaillent ensemble et que nous aurons des réformes », s’est réjouit Rukia Subow, présidente de Maendeleo Ya Wanawake Organisation (MYWO), la plus ancienne association de femmes du Kenya.
Le gouvernement sous haute surveillance
Le ministre de l’Energie avait auparavant indiqué que Mwai Kibaki et Raila Odinga s’étaient entretenus avec d’importants ministres. « Nous avons décidé d’accélérer les réformes constitutionnelles et les réformes concernant la justice et la police. J’espère que les femmes du Kenya n’auront pas à reprendre le boycott », a dit Kiraitu Murungi.
Aucun risque : le G10 n’envisage pas une autre grève du sexe. En revanche, pendant 90 jours, il veillera à ce que les promesses faites soient suivies d’effets et tiendra les citoyens au courant de l’évolution de la situation. Et si rien ne bougeait d’ici là ? Et si les antagonismes reprenaient le dessus ? Rukia Subow n’y croit pas. « Les dirigeants se sont rencontrés, ils discutent, nous voyons la lumière au bout du tunnel », déclare-t-elle à Afrik.com.
Ida Odinga en grève
Agnès Leina est chargée de programme à la Coalition sur la violence contre les femmes (Covaw), qui a soutenu la grève. Elle explique à Afrik.com quelques problèmes à régler en priorité : « La grève n’était à propos de sexe mais de gouvernance et de la colère des Kényans. En ce moment, il y a une sévère sécheresse. Il n’y a pas assez à manger et le prix des denrées alimentaires est très élevé, ce qui pénalise en premier lieu les femmes et les enfants ».
La responsable ajoute que les stigmates des violences post-électorales sont encore visibles : « Beaucoup vivent encore dans des camps de déplacés. Ils manquent cruellement de nourriture, d’abri et demandent que des dirigeants s’occupent d’eux ». Pour finir, elle souligne que l’instabilité au Kenya « affecte les plus pauvres et les enfants, qui n’ont personne pour parler en leur nom. D’où cette grève ».
Une grève fortement médiatisée au Kenya, et aussi dans le reste du monde. D’autant qu’une imminente personnalité a rejoint le mouvement : Ida Odinga, l’épouse du chef du gouvernement. « C’est la seule à l’avoir déclaré publiquement mais je suis certaines que d’autres femmes du gouvernement nous ont soutenues », estime Rukia Subow.
La présidente de MYWO indique qu’elle est « sûre que Lucy Kibaki », la femme du président, a suivi le boycott « parce qu’elle est très sensible aux problèmes liés au genre ». Dans le même temps, elle réitère que « la grève n’avait rien avoir avec le sexe mais avec le fait de mettre la pression » sur le gouvernement…
« La Bible appelle les femmes à être soumises »
Quoi qu’il en soit, dans les rues, l’appel à l’abstinence a fait polémique. Le clergé et certaines associations de la société civile ont, entre autres, partagé leurs inquiétudes. Les femmes « essayent d’utiliser le sexe comme un outil pour agresser les hommes », a expliqué au site d’information kényan Capital News Nderitu Njoka, président et fondateur de Maendeleo Ya Wanaume, une association de défense des droits des hommes.
Gabriela Juma, 21 ans, abonde dans le même sens. « C’est stupide et égoïste. Comme épouse, renoncer au sexe équivaut à brimer les droits de son mari », a lancé la résidente de l’immense bidonville de Kibera, interrogée par l’agence d’information canadienne La Presse.
« Nous connaissons beaucoup d’hommes, poursuit Nderitu Njoka, à qui on nie leurs droits conjugaux depuis longtemps. Alors tout ce que disent ces femmes n’a absolument rien de nouveau pour nous. Le seul changement, c’est qu’elles le disent publiquement. »
Dans un entretien accordé au quotidien kényan The Nation, Nderitu Njoka est allé plus loin. Il a dénoncé que la grève du sexe « est contre la Bible, qui appelle les femmes à être soumises à leur mari ». Il a également recommandé que le G10 trouve une autre alternative, craignant que le boycott cause des frictions dans les couples.
Pain béni pour les prostituées
Une crainte qu’évoquent d’autres Kényans, hommes et femmes, interviewés par Capital News. « Cela va à coup sûr promouvoir l’immoralité. Si l’on ne l’a pas (le sexe, ndlr) dans la maison, on va le chercher ailleurs et il y a toujours des gens dehors qui attendent cette opportunité », a par exemple commenté une femme sous couvert d’anonymat.
Sans doute une allusion aux prostituées. Le G10 avait justement songé à indemniser les belles de nuit pour que les hommes ne se rabattent pas sur elles pendant la semaine de grève. Finalement, le projet n’a pas été mis en œuvre.
« Nous n’en avions pas les moyens. Nous avons essayé d’appeler ces femmes à la grève à travers les médias, mais elles n’ont pas voulu suivre le mouvement. Et nous n’allions pas les forcer : le commerce du sexe est leur travail », commente Rukia Subow.
« Les travailleuses du sexe nous ont dit, renchérit Agnès Leina, de la Coalition sur la violence contre les femmes, que cette grève était bonne pour leur business, qu’elles faisaient des profits. Elles ne voyaient que l’aspect commercial alors qu’elles aussi souffrent du manque de nourriture, contre lequel nous nous battons… »
Quand c’est non, c’est oui
Au final, il est difficile de savoir si le boycott a été bien suivi. Reste que des Kényanes auraient peut-être aimé se joindre au mouvement, mais ne s’y sont pas risquées. Car si Nderitu Njoka pleure la misère sexuelle de certains hommes, il n’évoque pas les relations forcées que subissent parfois des épouses ou concubines.
Agnès Leina affirme qu’« aucun cas de violence sexuelle » n’a été rapporté. Même son de cloche du côté de Rukia Subow : « Nous n’avons entendu parler d’aucune femme battue, harcelée ou qui a dû quitter son foyer ». Peut-être parce que les hommes qui s’estiment lésés préfèrent recourir à la justice. A l’image de James Kimondo.
Après que sa femme se soit refusée à lui sept jours de suite, il a retourné sa colère contre le G10 et poursuit devant la Haute cour de Nairobi quatre leaders de la grève, dont Rukia Subow. Il espère bien obtenir réparation pour les maux que le boycott lui a selon lui causés : anxiété, stress, douleurs au dos et autres problèmes de concentration et de sommeil.
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