« Rêveur indépendant » comme il aime le souligner, Kémit est un slameur hors norme. Amoureux de ses racines, le Gabonais qui fait danser les mots est infatigable. Non content de se consacrer pleinement à son art – son dernier album Bilime et son ouvrage « Damné en années » – ce militant panafricain consacre aussi son énergie et son temps à l’éducation des plus jeunes, pour tisser, comme le dit le proverbe, la nouvelle corde au bout de l’ancienne. Rencontre.
« Tôt ou tard, dans ce monde, on finit par payer le mal qu’on fait aux autres »
Afrik.com : Dans le morceau « J’imagine » issu de votre disque « Bilime » qui signifie plusieurs années, sorti en juillet 2016, vous citez nombre d’illustres figures noires, notamment des musiciens comme Césaria Evora, Féla, Makeba, Papa Wemba, Bob Marley, Nina Simone etc pourquoi ces références ? Une volonté de transmettre à la jeune génération ?
Kémit : Aujourd’hui, pour moi, ceux qui passent en boucle à la télévision font de la musique qui n’a pas beaucoup de sens. C’est bien de danser, mais il n’y a rien derrière. J’ai grandi avec Pierre Akendengue[[Pierre Akendengué, né le 25 avril 1943 à Awuta (Gabon), est un chanteur, musicien et poète gabonais. Il fut aussi ministre de la Culture du Gabon]], Annie-Flore Batchiellilys[[Annie-Flore Batchiellilys, née en 1967 à Tchibanga, est une chanteuse, musicienne, compositrice gabonaise, de langue maternelle punu, alliant les formes traditionnelles de chant au jazz et au blues]], et le groupe de rap Mauvaise haleine, eux avaient des choses à dire. Après, j’ai écouté du rap français avec Booba, Diams, Sinik. Même Booba que l’on critique fait toujours référence à l’histoire africaine. Quand je pense à des gens comme Lumumba, pour moi ces gens sont immortels, mais ils ne vont continuer à vivre que si on parle d’eux. Philippe Mori, grand cinéaste gabonais sur qui j’ai travaillé, a fait de la politique également. Je l’ai appris par une journaliste qui m’a interviewé et avait préalablement fait des recherches sur le personnage.
Afrik.com : Vous êtes né et vous avez grandi au Gabon et vous faites un clin d’œil à la situation électorale complexe de votre pays, lorsque vous dites « Même si dans mon Gabon natal, on achète encore les consciences avec des sacs de riz électoraux »…
Kémit : J’aime m’appesantir sur le Gabon du fait de son côté particulier, et cela pour plusieurs raisons. Nous n’avons pas une grande superficie, moins de 300 000 m2 pour une population de moins de 2 millions d’habitants. Au Gabon, nous avons beaucoup de ressources : le pétrole, l’or, le fer, le bois, le manganèse, pourtant il y a des familles qui vivent avec moins de 500 FCFA par jour. Je ne comprends pas comment on peut avoir autant de richesses, être si peu nombreux et malgré tout, voir la majorité vivre dans une précarité indescriptible. Il y a plusieurs secteurs de la société gabonaise où ça ne va vraiment pas, notamment dans le secteur de l’éducation, où on retrouve les mêmes revendications que nos pères ont connues. Ce sont des choses qui me font mal. Pour la situation politique, c’est pareil. Il y a eu une cacophonie sans nom sur qui a gagné ou non, tandis que des gens mourraient. Ce qui m’afflige le plus, c’est de savoir que les gens savent que tout cela n’est pas normal, mais regardent ailleurs.
Afrik.com : Vous avez l’air épris de justice et de liberté, si on se réfère aux mots qui clôturent votre clip « J’imagine ». Qu’est-ce qui explique cette quête permanente de justice ?
Kémit : Peut-être que c’est lié à mes origines. Je suis issu d’un peuple qui se nomme punu. Dans notre histoire, il y a un héro, un vaillant guerrier de ma famille qui a combattu les troupes occidentales durant la colonisation, à plusieurs reprises. De plus, mon grand-père était chef, il avait beaucoup de pouvoir au sein de sa communauté, je porte son nom. J’explique mon goût pour la justice par mon père qui était un modèle de droiture, très correct, un modèle d’honnêteté. Mon nom Kémit s’inspire de cela et de ma démarche artistique dans laquelle j’ai l’ambition de revaloriser notre patrimoine culturel.
Afrik.com : Vous êtes un fervent panafricaniste et participez à de nombreuses activités en ce sens. En quoi cette thématique vous touche-t-elle tout particulièrement ?
Kémit : On se parle dans une langue qui n’est pas la nôtre même si elle est utile pour qu’on puisse se comprendre. Cette thématique nous appartient. Le panafricanisme me rappelle tout simplement qui je suis. C’est mon bagage. La seule chose que tu as de fusionnelle, c’est toi, ton histoire, tes racines… Toutes ces choses joyeuses et douloureuses participent à faire de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Cette démarche n’est pas dans un enfermement, mais une ouverture. Savoir d’où je viens pour savoir où je vais. J’ai un prénom français, j’ai besoin de savoir qui je suis et de le faire savoir. Lorsqu’on voyage, la chose qui nous unit, ce sont nos cultures et leurs similitudes.
Afrik.com : Parlez-nous un peu de la célébration du Kwanzaa du 29 décembre 2017 à Dakar, et auquel vous avez activement participé.
Kémit : Le kwanzaa[[Kwanzaa (ou Kwaanza) est une fête des Afro-Américains, qui se tient pendant la semaine du 26 décembre au 1er janvier. Créée en 1966 par l’activiste afro-américain Ron Karenga, son but originel était de promouvoir et réaffirmer les liens entre les Noirs d’Amérique et l’Afrique, pour se démarquer des fêtes de Noël apporté par les Blancs.]] est une fête annuelle, une sorte de fraternité qu’on remet en place et cela m’a fait plaisir d’y participer. Là-bas, j’y ai rencontré une Américaine qui m’a dit qu’elle n’est pas une Afro-Américaine mais une Africaine Américaine. J’étais ravi et ému d’entendre cela de sa part. Lors de cette célébration, j’ai eu l’occasion de faire travailler des enfants sur le panafricanisme et c’est une richesse, nous n’avons pas eu cette même opportunité lorsque nous étions petits. Or, il est important que la génération qui vient soit et fasse mieux que la nôtre.
Afrik.com : Parlez-nous un peu de cet atelier d’écriture que vous avez animé sur l’histoire africaine à l’occasion de la célébration du Kwanzaa, en décembre dernier.
Kémit : Les enfants étaient très motivés. Eux ils adorent. C’est un moment de rencontres et d’échanges pendant lequel ils côtoient d’autres enfants, qu’ils ne fréquentent pas forcément dans leur vie courante ! A cet atelier, un enfant de 10 ans m‘a dit texto que le Père-Noël est un fonctionnaire qui travaille chez Coca-Cola. J’étais très surpris. Ils ont une vivacité d’esprit des plus rafraichissantes. Nous avons parlé de nous, de nos rois africains, parfois ils savent des choses mais n’ont pas l’occasion de pousser un peu plus dans leur vie quotidienne.
Afrik.com : Vous avez aussi participé au « 1er salon international du Jouet éducatif et de la Poupée Noire ». En quoi la place du jeu est-elle importante dans l’éducation de l’enfant, selon vous ?
Kémit : Je pense que c’est indispensable, car la première école de l’enfant c’est le jeu. Les enfants, avant même d’aller à l’école, dans leur berceau, souvent, ils ont des jouets avec des forme et des couleurs, de la musique avant même de savoir marcher etc. Souvent, pour les filles, la Barbie indirectement on est en train de leur faire comprendre que la femme n’est belle que si elle est blonde, qu’elle a les cheveux longs et les yeux bleus. En bout de chaîne, cela donne la dépigmentation, des filles qui portent des perruques et des lentilles toute leur vie. C’est triste de ne pouvoir être soi et s’aimer tel quel. L’idée de la poupée noire est donc importante pour l’estime de soi et montrer aux filles qu’elles sont belles comme elles sont.
Afrik.com : Dites-nous un peu, comment vous étiez, enfant ?
Kémit : J’étais un enfant différent de l’adulte que je suis aujourd’hui, car j’étais très timide et introverti. Par contre, j’écrivais des lettres à des filles, des poèmes. J’écrivais pour moi aussi, à la marge des cahiers, pendant les cours. A la maison, j’étais le plus jeune, donc j’étais dans ma bulle. Mon père avait une grande bibliothèque. J’y lisais des livres que je ne comprenais pas ou regardais des dessins dans les encyclopédies. Ma bulle me convenait, car parler aux autres était un peu compliqué pour moi. J’ai joué au basket aussi, ce qui m’a permis de m’ouvrir davantage.
Afrik.com : « L’avenir réserve des surprises à ceux qui ont volé le sourire de nos enfants ; nous sommes prêts à tout sauf vous laisser marcher sur notre dignité ; Les paroles de votre morceau « Quand tout ira mieux » sont assez fortes et combatives. Pourquoi ce parti-pris ?
Kémit : Collaborer avec Naneth, artiste gabonaise qui chante depuis longtemps, c’était un rêve et quelque chose de très fort pour moi. Nos idées se rejoignent et c’est une dame qui a connu des choses assez difficiles. Elle m’a dit « tu sais Kémit, on nous a déjà appris à supporter la faim », tout ça pour me dire qu’elle ne va pas changer son discours parce qu’il faut manger. Et au-delà de cette artiste, j’y parle du Gabon et des scènes de violence dans la tête de nos enfants. Scènes qu’ils n’oublieront jamais. Mais c’est un texte qui peut parler à plusieurs peuples : aux opprimés, à ceux épris de liberté… C’est une onde d’espoir nécessaire que je leur adresse pour leur dire qu’il ne faut pas abandonner. Prenez le Rwanda, c’est un peuple qui s’est relevé de ses blessures. Les choses ne sont pas belles d’un seul coup. Mandela a fait 27 années de prison, c’est énorme. Il faut lutter longuement, sans jamais baisser les bras.
Afrik.com : Cependant vous prônez aussi l’unité dans cette chanson, outil indispensable, selon vous, pour la réussite de la matérialisation des Etats-Unis d’Afrique ?
Kémit : Oui ! Il y a un penseur africain qui disait de l’Afrique « qu’elle n’est pas démunie mais juste désunie ». L’unité c’est la base de tout. Comment un peuple se bat, se libère. Si le Togo par exemple a pu faire du bruit dans le monde, c’est parce que beaucoup de gens ont dit « non ». En Afrique, chacun veut être le roi chez lui. Pour changer de monnaie il faut d’abord être uni. C’est pourquoi, je ne suis pas contre cette lutte contre le franc CFA, mais j’estime qu’en chemin, il y a des choses à régler.
Clip : Quand tout ira mieux :