Personnage sulfureux, Kémi Séba, le fondateur de la Tribu Ka, débarque au Sénégal où il a été nommé porte-parole par le ministre du Panafricanisme.
De notre correspondant
« À la France, je laisse les amoureux de la tour Eiffel et autres mendiants de l’intégration. » Kémi Séba aurait-il fait ses adieux au pays qui l’a vu naître à travers cette phrase écrite sur son site Internet ? Le représentant en France du mouvement New Black Panther Party (NBPP) et ancien leader de la Tribu Ka, plusieurs fois condamné pour incitation à la violence, racisme et antisémitisme, clame avoir « définitivement » quitté l’Hexagone. Depuis quelques semaines, l’activiste vit au Sénégal, et ce malgré l’interdiction qui lui aurait été faîte par les autorités françaises de sortir du territoire. Mi-mars, il a été nommé porte-parole de l’Alliance Panafricaniste par Amadou Lamine Faye, ministre conseiller à la Présidence du Sénégal en charge du Panafricanisme.
« Il a eu des positions très radicales, mais il avait une véritable envie d’Afrique, souligne le ministre. C’était une opportunité pour nous de le convaincre de s’engager dans un panafricanisme de terrain pour soutenir les Etats-Unis d’Afrique de maître Abdoulaye Wade. » Amadou Lamine Faye loue la « jeunesse » et la « force expressive » de son poulain et lui apporte son soutien malgré son passé judiciaire. « Il a payé sa dette envers la société, observe-t-il. L’homme n’est ni bon ni mauvais, il peut s’améliorer. En venant ici et en épousant notre projet, Kémi s’améliore. »
De la Nation of Islam à la Tribu Ka
Kémi Séba, de son vrai nom Stellio Capo Chichi, français d’origine béninoise, naît à Strasbourg en 1981. Sa biographie officielle relate qu’il découvre la Nation of Islam, le mouvement politico-religieux afro-américain dirigé par Louis Farrakhan, vers 18 ans lors d’un voyage à Los Angeles. Il adhère un temps à la branche française du mouvement et restera longtemps marqué par le corpus doctrinal des Black Muslims, notamment la croyance en la supériorité de l’homme noir et un antisémitisme nourri par l’idée que les juifs ont participé massivement à la traite négrière.
À l’âge de 21 ans, le jeune homme décide de se faire appeler Kémi Séba, « l’étoile noire » en égyptien ancien. Après un passage par le Parti Kémite, qui sert à l’occasion de service d’ordre à son « pote » l’humoriste Dieudonné, Kémi Séba fonde en 2004 la Tribu Ka, une organisation considérée par certains comme sectaire. Incarnée par son « Fara », son guide Kémi Séba, la Tribu Ka se vit comme une famille composée de « frères » et de « sœurs » et se dote d’une « école » et d’une « armée ». Forte de quelques dizaines de membres, la Tribu Ka se fait connaître en mai 2006. Kémi Séba et ses acolytes font irruption rue des Rosiers, au cœur du quartier juif de Paris, pour en découdre avec les extrémistes de la Ligue de défense juive et du Bétar. S’il n’est procédé à aucune arrestation ce jour-là, le groupe est dissous deux mois plus tard par un décret pris en Conseil des ministres, sur la base de la loi de 1936 relative aux « groupes de combat et milices privées ».
Des alliances avec l’extrême droite et le Hezbollah
« J’ai compris qu’il faut provoquer pour susciter le débat, explique Kémi Séba d’un ton posé. Quand un noir hausse le ton dans un environnement occidentalisé, même s’il est diabolisé et victime de désinformation, il est entendu. » Depuis l’épisode de la rue des Rosiers, il n’a cessé de se féliciter d’une telle publicité. Charismatique, il multiplie les provocations verbales et profite de la caisse de résonance offerte par la toile.
Plusieurs groupuscules succèdent à la Tribu Ka, qui sont dissous les uns après les autres, et valent à leur instigateur de nombreux démêlés avec la justice. Avec le Mouvement des Damnés de l’Impérialisme, Kémi Séba, converti à l’Islam après un court séjour en prison pour violences et menaces en 2007, intègre la famille de ce que le politologue spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus appelle « l’extrême droite altermondialiste ». La lutte contre le « sionisme » permet à Kémi Séba de nouer des alliances avec l’extrême droite française, l’organisation terroriste chiite Hezbollah ou les juifs ultra orthodoxes de Neturei Karta qui prônent le démantèlement de l’Etat d’Israël. « Je m’allie avec tous ceux qui dérangent le système, se justifie Kémi Séba, Les ennemis de mes ennemis peuvent ponctuellement être mes alliés, mais pas mes amis. » Depuis l’année dernière, il figure même sur une liste dressée par les Etats-Unis des dix plus grands prédicateurs racistes de l’histoire moderne…
« Je suis rentré en Afrique pour bâtir »
Aujourd’hui, Kémi Séba assure que « l’heure n’est plus à la provocation » et se veut « dans la construction ». Lorsque l’on évoque avec lui son parcours, il jure n’avoir « aucun regret ». « Je suis toujours aussi radicalement opposé à l’impérialisme », prévient-il. Dans son nouveau costume de porte-parole de l’Alliance Panafricaniste, il entend « conscientiser » la jeunesse en organisant une série de conférences et en rencontrant des responsables étudiants et des associations de quartiers. Par ailleurs représentant au Sénégal de la société Afrikan Mosaïque, il mène un projet de construction d’un village panafricain baptisé « Dalaal Diam » (« Que la Paix soit avec vous » en wolof) près de Mbour. « J’ai toujours parlé du rapatriement, observe Kémi Séba. Maintenant j’y suis et c’est ici en Afrique que je vais faire ma vie. » Ses deux épouses, Etouma Séba, qui dirige le Black Pempers Center, un centre de loisirs réservé aux enfants noirs en région parisienne, et Natou Séba, animatrice du site Reines et héroïnes d’Afrique, devraient bientôt le rejoindre avec leurs enfants.