Kémi Séba depuis le Maroc : « On n’a pas été molesté, je n’ai pas été mis en prison »


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Kémi Séba (gauche)
Kémi Séba (gauche)

Invité au Maroc par la Confédération des étudiants et stagiaires africains vivant au Maroc (CESAM) afin de donner une conférence publique à l’Université Mohammed V, l’activiste franco-béninois a vu l’événement être interdit par les autorités. Afrik.com a recueilli les impressions du panafricaniste.

Après qu’il a posté une vidéo sur son compte Instagram pour exprimer son indignation en raison de l’interdiction de la conférence qu’il devait donner, Kémi Séba a assuré Afrik.com de sa grande sérénité.

Afrik.com : Quelle est votre réaction par rapport à l’interdiction de votre conférence à l’Université Mohammed V de Rabat ?

Kémi Séba : Je suis totalement en sérénité pour la simple et unique raison que cette interdiction ne fait encore une fois qu’illustrer le fait que les discours de souveraineté véritable des peuples africains et les discours du panafricanisme de ce XXIe siècle qui se propagent un peu partout au sein des sociétés civiles des populations d’Afrique francophone dérangent. Les dirigeants qui travaillent pieds et mains liés avec la France, et avec d’autres entités coloniales, je pense notamment à Israël, ne peuvent pas être à l’aise que nous venions diffuser ce message qui, je le rappelle, a toujours été diffusé dans le calme ; il n’y a jamais eu de violence, il n’y a jamais eu une quelconque action brutale contre qui que ce soit.

Ce sont des mobilisations citoyennes, civiques qui visent l’auto-détermination des peuples africains. Donc, que les autorités universitaires, sans doute sous pression des autorités marocaines –c’est ce que nous savons de par le bouche-à-oreille– aient décidé d’interdire la conférence, de la censurer, n’est pas pour nous une surprise. Ça ne fait juste que confirmer ce que beaucoup de personnes pensaient. Nous, nous faisons partie de cette génération qui pense qu’il faut mettre les gens devant le fait accompli. On est ce qu’on appelle des vérificateurs politiques ; on va sur le terrain, on ne se cache pas derrière les réseaux sociaux. On a été invité par la Confédération des étudiants et stagiaires africains vivant au Maroc (CESAM) qui souhaitait que nous fassions cette conférence, laquelle conférence n’a pas été autorisée. Fin de l’histoire.

Il n’y a pas de drame, il n’y a pas de problème. On n’a pas été molesté, je n’ai pas été mis en prison, on nous a juste refusé la conférence, et cela n’a pas empêché que le message passe, puisqu’aujourd’hui, on est quand même à l’ère de la globalisation de l’information, et à la seconde où on nous interdit de dire ou de faire quelque chose, cela ne nous empêche absolument pas de communiquer à des millions de personnes sur les réseaux sociaux, et in extenso, par ricochet à tous les mass media africains qui, justement, sont connectés à ces réseaux sociaux. Donc, il n’y a pas de problème, fondamentalement.

Pouvez-vous nous résumer en quelques mots le message dont vous étiez porteur à cette jeunesse africaine au Maroc ?

Le message dont j’étais porteur était simplement de parler d’abord de la situation d’un certain nombre d’Africains subsahariens qui vivent dans des conditions difficiles au Maroc comme dans le reste du Maghreb. Je voulais me faire le relais de leur parole, de leurs doléances, de ce qu’ils ressentaient, sans créer un quelconque trouble. L’objectif était de rappeler simplement que quand on parle d’Afrique, si on doit aller jusqu’au bout de ce processus, il est important d’intégrer, de la meilleure des façons, les Subsahariens qui sont, quoi qu’on dise, les populations majoritaires du continent.

La deuxième chose était de me faire le relais aussi d’un certain nombre de Marocains berbères anti-impérialistes qui s’inscrivent dans la lignée de Mehdi Ben Barka et qui comptaient sur moi pour recréer une sorte de jonction entre la lutte anti-impérialiste d’Afrique subsaharienne et celle d’Afrique du Nord.

Donc, je devais me faire le relais, c’est très important de leur dire, de leur parole aussi, faire une synthèse de toutes ces préoccupations. Enfin, je voulais parler également des Noirs marocains autochtones, qui sont là depuis un certain temps, qui sont descendants d’esclaves ou de populations qui étaient là même bien avant. Je devais parler de ces Noirs qui sont beaucoup mieux intégrés, disons-le, même si leur histoire est particulière. Eux aussi comptaient sur moi pour aborder des sujets allant beaucoup plus dans une dynamique d’harmonie, de fraternité, de justice et d’acceptation de soi. Voilà grosso modo les raisons pour lesquelles je devais tenir ce message.

Que comptez-vous faire maintenant ?

On continue le périple de nos déplacements. Il y a des endroits où des dirigeants qui sont dans une dynamique de souveraineté comme au Mali ou en Guinée vont être dans la démarche de nous soutenir et de nous porter pour que nous puissions diffuser notre message. Et puis, il y a d’autres endroits où on a des régimes qui sont beaucoup plus contrôlés par l’oligarchie française comme au Burkina Faso et d’autres pays, peut-être le Niger où nous irons prochainement, et où il est plus difficile de s’exprimer. Mais nous, nous restons droit dans nos bottes, nous disons ce que nous pensons, nous disons ce que la jeunesse africaine pense, et ce que la jeunesse afro-diasporique pense dans les Caraïbes et ailleurs.

Nous continuerons à faire ce travail avec force et sérénité. Je le dis et je le répète : je ne suis absolument pas en colère. C’était très important que je puisse le dire, je ne suis pas en colère, je suis très serein face à cette interdiction. Le combat continue.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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