A l’instar de la plupart des jeunes Africains, les Guinéens souffrent du manque de débouchés sur le marché de l’emploi. Keïta Magbè Bangoura, la secrétaire générale de la Confédération guinéenne des syndicats libres, nous le rappelle. Entretien.
Keïta Magbè Bangoura est la secrétaire générale de la Confédération guinéenne des syndicats libres (CGSL) qui regroupe plus de 4 200 travailleurs Guinéens. L’organisation syndicale a été créée en 2000. Fonctionnaire, marié et mère de sept enfants, Keïta Magbè Bangoura, est l’une des deux femmes guinéennes syndicalistes, à l’instar de sa célèbre consœur Rabiatou Sérah Diallo, secrétaire générale de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNGT). Keïta Magbè Bangoura veille déjà à la relève : elle a transmis sa fibre syndicaliste à l’une de ses filles. La secrétaire générale du CGSL faisait partie de la délégation de son pays lors de la Conférence internationale du travail que tient chaque année, à Genève, l’Organisation internationale du travail (OIT). Nous l’y avons rencontrée la semaine dernière.
Afrik.com : Que représente ce sommet sur la crise de l’emploi organisé par l’Organisation internationale du travail à l’échelle de la Guinée ?
Keïta Magbè Bangoura : C’est un sommet salutaire. L’emploi est devenu précaire. Les enfants, les jeunes étudient, mais ils n’arrivent pas à trouver un emploi à la fin de leurs études. Ils essaient de créer des ONG, des PME pour se trouver une activité… Ce que les chefs d’Etat ont déclaré pendant ce sommet nous rassure à 50%, seulement devrais-je préciser, quant à leur avenir. La communauté internationale doit nous aider, certes, mais à l’Afrique de se lever, de se donner la main pour affronter la situation. L’absence d’emploi engendre la pauvreté, ce qui oblige les jeunes à tenter l’aventure au risque de leur vie. Il faut que les chefs d’Etat prennent des initiatives pour contenir cette jeunesse africaine, pour sauvegarder nos nations et éradiquer la pauvreté. Car c’est un fardeau pour la société, mais surtout pour les femmes africaines à qui l’on doit 90% des ressources de nos foyers.
Afrik.com : La conférence propose de mettre en oeuvre un Pacte mondial pour l’emploi. Comment la Guinée y parviendra-t-elle ?
Keïta Magbè Bangoura : Ce ne sera pas facile. Mais en Guinée, nous avons décidé d’unir nos forces pour favoriser le dialogue social. La Guinée compte huit centrales syndicales. Hier encore, nous les syndicalistes, marchions en rangs dispersés. Mais aujourd’hui, nous faisons front commun. Rien ne vaut le dialogue social, le dialogue tripartite. S’il n’y a pas de dialogue social dans nos pays, l’Union européenne pourra nous donner des millions, la communauté internationale aura beau nous aider, mais nous n’aboutirons à rien parce qu’il n’y aura pas de suivi à l’intérieur même de nos pays.
Afrik.com : La situation politique que traverse actuellement la Guinée est assez délicate. Les militaires sont désormais au pouvoir. Comment envisagez-vous de promouvoir le dialogue social dans ces conditions ?
Keïta Magbè Bangoura : Ce n’est pas toujours aisé de dialoguer avec les militaires. C’est pourquoi nous avons demandé à notre président d’accepter que des élections libres et transparentes puissent se tenir à la fin de l’année. Nous voulons que le régime change afin de revenir à une situation conforme à l’ordre constitutionnel et qui facilite le dialogue.
Afrik.com : Quelles sont les pistes que vous explorez aujourd’hui pour lutter contre le chômage en Guinée ?
Keïta Magbè Bangoura : L’une de nos priorités aujourd’hui est de favoriser la création de PME en dehors du secteur informel afin de favoriser, entre autres, l’emploi des jeunes.
Afrik.com : La promotion de la protection sociale est un des piliers de l’action de l’OIT, notamment dans le secteur informel. Qu’en est-il en Guinée ?
Keïta Magbè Bangoura : Dans toutes les centrales syndicales, il y a un département dédié au secteur informel. Nous y organisons les femmes qui travaillent, par exemple, sur les marchés. Elles disposent de mutuelles de santé, de banques de crédit.
Afrik.com : Au-delà de la crise, quels sont les principaux défis à relever en ce qui concerne l’emploi aujourd’hui et qui a attiré votre attention durant cette 98e Conférence internationale du travail ?
Keïta Magbè Bangoura : La lutte contre le VIH-Sida et l’égalité entre hommes et femmes. Les hommes n’acceptent toujours pas que cela puisse être possible. Ils n’admettent pas encore que les femmes puissent accéder à des postes de responsabilité. Je pense qu’il est temps qu’ils acceptent que l’égalité hommes-femmes voit le jour, de nous alléger la tâche comme nous le faisons au quotidien pour eux.
Afrik.com : Avec Rabiatou Sérah Diallo, vous êtes l’une des deux seules syndicalistes femmes de Guinée. C’est un pari difficile ?
Keïta Magbè Bangoura : Au sein de ma centrale syndicale, cela n’a pas toujours été aisé. Mais aujourd’hui, j’ai fait mes preuves. Mes camarades ont, semble-t-il, compris qu’en me choisissant ils avaient fait le bon choix. Car je m’évertue à défendre les intérêts de tout un chacun. Même si je suis très sensible à ceux des femmes – je suis une femme (rires) – et des jeunes. Je dois ajouter, parce que j’évoquais la question de l’égalité tout à l’heure, que mon mari m’aide beaucoup, me conseille et m’appuie dans ma vie de syndicaliste.