K Toz, c’est le titre du quatorzième opus du groupe Kassav. A l’occasion de la sortie de leur nouvel album, nous avons rencontré Jocelyn Béroard et Jacob Desvarieux. Entretien, à bâtons rompus, avec deux sommités du mythique Kassav.
Kassav… Plus qu’une histoire musicale, c’est aussi l’histoire d’une bande d’amis et d’artistes dont l’objectif commun – faire du zouk une musique planétaire, les réunit depuis 25 ans. Un objectif qui a été atteint avec maestria. Jocelyn Béroard et Jacob Desvarieux sont les célèbres membres de cette aventure exceptionnelle. Ils nous parlent de zouk, des difficultés de leurs successeurs mais aussi d’Afrique et des Antilles.
Afrik.com : Comment vous avez travaillé sur K Toz si l’on s’en tient à vos agendas chargés et carrières personnelles ?
Jacob Desvarieux : Contrairement à une idée reçue, le groupe ne s’est pas disloqué, on est toujours en tournée, on est toujours ensemble. Quand on décide de faire un album, tout le monde travaille dessus. Chacun arrive avec des morceaux ou des idées. Puis il y a le feu de la critique – on aime bien critiquer les autres mais on aime aussi se critiquer. Quand un morceau a passé cette barrière sans finir à la poubelle, on peut alors le travailler. Chacun met son grain de sel jusqu’à ce que qu’on estime qu’il est assez bien pour figurer sur un album.
Afrik.com : Combien de temps avez-vous travaillé sur cet album ?
Jocelyn Béroard : On a fini le mien en juillet 2003 et c’est à ce moment qu’on a commencé à y penser. Le travail réel a débuté en décembre…On a fini en juillet…A peu près 6 à 7 mois.
Afrik.com : À quoi renvoie le terme zouk, le concept musical auquel vous êtes à l’origine ?
Jacob Desvarieux : Aux Antilles, le zouk est une surprise-party. A un moment donné, il s’est trouvé que 90% de la musique qu’on jouait dans ces zouks était de Kassav, ou des gens de Kassav… Notre musique est devenue la musique de Zouk. Ce n’est pas nous qui l’avons dénommée ainsi. Ce sont les journalistes, les gens qui y allaient qui ont décidé que notre musique s’appellerait ainsi. C’est le même phénomène avec le disco. Le disco était la musique qui se jouait dans les discothèques. Le terme ne découle pas d’une philosophie particulière. Evidemment, il y des gens qui réclament la paternité du zouk, soit disant qu’il existait déjà. Normal, qand quelque chose a du succès, tout le monde le revendique. Mais pour ce qui est du style musical, moi j’aimerais bien que quelqu’un se mette devant moi et me dise : « on a fait ça avant toi »…
Afrik.com : L’album sort au moment où la musique antillaise est dominée par le zouk love…Quel regard jetez-vous sur le zouk actuel ?
Jocelyn Béroard : Une mise au point s’impose d’abord. Le zouk love n’est pas un style musical à part entière, c’est une déclinaison du zouk Ce n’est pas une invention de ces dernières années. Simplement parce qu’au moment où Kassav a lancé le zouk, on a exploré toutes sortes de tendances dont le Zouk love avec les chansons de Jean Philippe Marthély, de Philippe St Eloi… Ce style a été ensuite largement exploré par des musiciens qui sont venus après nous. Les radios et compagnies, qui y avaient certainement leurs intérêts, ont voulu faire de ce style, l’unique visage du zouk. Effectivement, ça a marché parce que cette musique a permis aux gens de se rapprocher. Peut être… « Mauvai jou », « Mi tchè mwen », c’était déjà du zouk love. Il y a plein de gens qui se sont mariés sur cette musique. Je pense que d’avoir limité le zouk au zouk love l’a peut être affaibli. Par contre, Kassav a continué à faire du zouk bien chiré (cirsé, ndlr) notamment dans cet album pour dire il n y a pas que le zouk love dans le zouk, qu’il y a tout ce qu’on peut faire avec le zouk. Evoluer c’est faire d’autres expériences, ce n’est pas dénaturer la musique.
Afrik.com : Qu’est-ce vous pensez alors du fait qu’on remixe du zouk en version R&B comme ce fut le cas pour Thierry Cham afin qu’il passe mieux en radio ?
Jacob Desvarieux : Je ne suis pas certain que le morceau aurait moins bien marché si on n’avait gardé la version initiale. Je n’en suis pas du tout convaincu et je ne suis pas le seul !
Afrik.com : C’est de la faute des maisons de disques… ?
Jacob Desvarieux : Oui… C’est le fait de ne pas croire en ce genre de musique « tout seul ». On demande alors à l’artiste qui fait du zouk d’ajouter telle ou telle touche à sa musique. Du genre, « oui mais, est ce tu peux le faire en français ? Plus comme cela ou plus comme ceci »…Alors évidemment tout le monde essaie, tout le monde a des idées…Un jour peut être qu’on tombera sur une idée géniale. Mais pour l’instant, il n’y a pas encore eu d’essai concluant. Zouk Machine a fait un carton dans le monde avec le même morceau qui a marché aux Antilles. Le zouk est un genre musical qu’il faut accepter tel quel. Il n’y pas à le modifier pour qu’il ait plus de succès. Il faut plutôt qu’il reste authentique pour que cela soit le cas.
Jocelyn Béroard : Moi, je crois qu’on manque peut-être de caractère. Ce qui vient de notre éducation. Il y a en sourdine ce côté « tu es déjà Noir donc tu as déjà une tare ». Par conséquent, quand nos gamins arrivent, tous seuls, face aux grosses maisons de disques et que des pseudo directeurs artistiques leur imposent un style – ils ne connaissaient rien à la musique et de toute façon ne comprennent pas la nôtre – ils ont l’impression que s’ils ne vont pas dans cette direction là, le travail ne sera pas fait sur eux comme il faut. Cette situation concourt à leur fait perdre leur identité et leur personnalité. Ce qui risque des les faire disparaître un peu plus tôt. Kassav est resté accroché à son style jusqu’à ce que, finalement, on le trouve bien. Les gens qui écoutaient notre musique se reconnaissaient dedans. Moi ça m’a vraiment fait de la peine. Thierry Cham, c’est quelqu’un que j’aimais beaucoup dans sa version originale (Tout au fond des Océans, ndlr). Je n’avais pas encore entendu son nouveau morceau que nombre d’Antillais me disaient déjà : «tu as entendu ce qu’on a fait du morceau de Thierry Cham ?! ». Ils étaient choqués de ce qu’on avait fait de cette chanson, qui était belle et qui pouvait rester telle quelle. Je ne veux pas lui lancer la pierre. Il n’a simplement pas été bien conseillé et n’a pas suffisamment cru en lui. Si j’ai un truc à dire aux jeunes, c’est de ne laisser personne vous dire comment penser, comment être parce que c’est vous perdre.
Afrik.com : Selon vous, le zouk dans les médias français a-t-il la place qu’il mérite ?
Jacob Desvarieux : Je pense que le zouk n’a pas la place qu’il devrait avoir. A part Kassav et quelques rares que vous connaissez, on entend très peu de zouk sur les médias français. C’est vrai que les grandes maisons de disque en France en produisent très peu. Les radios dites jeunes, qui sont censées faire la tendance considèrent que le zouk est dépassé. Sauf si quelqu’un qui fait du hip hop ou dont les productions musicales sont déjà diffusées, fait une intervention. A ce moment là, c’est du nouveau zouk…
Afrik.com : Il est étrange que « Dis l’heure 2 Zouk » soit classé dans la catégorie rap…
Jacob Desvarieux : Il y a Passi et par conséquent, c’est devenu du hip hop. Pour Passi, qui est tout de même le producteur du disque, ça s’appelle « Dis l’heure 2 Zouk ». C’est quand même paradoxal ! Pour les gens qui ont fait ce choix, c’est plus facile de vendre du hip hop que de vendre du zouk. Ils s’estiment que le zouk renvoie, pour les jeunes, à la musique de leurs parents alors que le hip hop, c’est leur musique. On me demande souvent si avec « Dis l’heure 2 Zouk », je fais du nouveau zouk. Non ! Ce qu’il y a de nouveau, c’est que les radios jeunes commencent à s’y intéresser ! Et là, ils cherchent un nom à lui donner pour pouvoir justifier le fait qu’ils le passent alors qu’auparavant ils ne diffusaient pas du tout ce genre de musique. Il y avait un black out. Maintenant, ils se rendent comptent que c’est un marché qui concerne beaucoup de gens. J’en veux pour preuve, le nombre de disques vendus avec « Laisse parler les gens ».
Afrik.com : Votre succès en Afrique vous surprend-il ?
Jocelyn Béroard : Non ! Quand on a commencé à tourner en Afrique dans les années 80, en 85 plus exactement, quel que soit le morceau qu’on jouait, il y avait toujours quelqu’un pour nous dire « tiens, ça ressemble à quelque chose que l’on fait dans mon village ». Ce sont des gens qui se sont reconnus dans notre musique. C’est tout à fait normal, qu’ayant un fort héritage venant d’Afrique, que les Africains se retrouvent dans notre musique. C’est normal que l’Afrique se reconnaisse dans notre musique, on s’est reconnu dans la sienne.
Afrik.com : Vous êtes l’unique référence quand il s’agit de zouk. N’avez-vous pas l’impression de prêcher parfois tout seul dans le désert ?
Jacob Desvarieux : Il y a des talents mais ce qui manque, ce sont plutôt les producteurs. Pour un producteur, il est difficile de mettre des moyens sur un disque qui est censé se vendre à 2 000 exemplaires. Ça limite drôlement! Ils ne partent pas du principe qu’ils peuvent éventuellement le vendre à 60 millions de personnes. Donc que si ça marche, ils en vendront 1 million, si ça marche moins bien, ils en vendront 50 000 voire 100 000. Au contraire, ils pensent le commercialiser uniquement aux Antilles. Alors si ça marche pas, ils en vendront 500, si ça marche bien, ils en vendront 10 000. Par conséquent, les moyens qu’ils mettent sont limités et cela restreint aussi le pouvoir de création des artistes. Du coup, on se retrouve à être les seuls à être produits par une grosse maison de disques et à avoir des moyens de production conséquents. On ne prêche pas dans le désert. Mais c’est comme si on faisait la course et qu’on était seul, c’est un peu dur…
Afrik.com : Peut-on qualifier le zouk de musique française ?
Jocelyn Béroard : Non ! Le zouk est une musique antillaise, caribéenne. Etant donné que « The world is a village », chacun peut se l’approprier. C’est ce qui va d’ailleurs faire qu’il deviendra un style musical à part entière comme le tango, la salsa…Si les Français ont envie de faire du zouk, ils peuvent le faire comme ils font déjà de la musique américaine. Le zouk est un genre musical qui vient des Antilles mais qui appartient au monde entier.
Afrik.com : Le phénomène est peut-être typiquement parisien. Mais que pensez- vous du clivage qui se fait parfois jour entre l’Afrique et les Antilles ?
Jacob Desvarieux : J’ai vécu au Sénégal, j’y ait été très bien accueilli et personne ne m’a jamais posé de problème. Nous sommes très bien reçus en Afrique. Les Africains ont adopté notre musique et nous avec. Jusqu’à maintenant, on parle d’Aimé Césaire et de Kassav comme des ponts entre l’Afrique et les Antilles. Les Antillais ne sont rien d’autres que des Africains qui ont quitté le continent voilà 200 ans. Comment voulez-vous qu’ils soient accueillis quand ils reviennent chez eux, si ce n’est autrement que bien…
Jocelyn Béroard : Il y a des imbéciles partout… Certains de mes amis africains, lorsque j’étais à l’Université à Caen, m’ont expliquée, qu’au moment de la décolonisation, la France avait placé des Antillais dans l’administration. Et ces derniers étaient plus français que les Français eux-mêmes. On a fait naître une espèce de jalousie, exactement du type de celle qui prévaut entre la Martinique et la Guadeloupe. Diviser pour régner…c’est tout simple. Il faut essayer de comprendre ce qui s’est passé, revisiter l’histoire. Tant que les gens ne vont pas le faire, on ne pourra pas communiquer et travailler ensemble tout en respectant les identités des uns et des autres.
Afrik.com : On voit des jeunes arborés des tee-shirts sur lesquels on peut lire « Guada » (Guadeloupe) et « Madinina » (Martinique). Pensez-vous que c’est une manière d’affirmer leur créolité ?
Jacob Desvarieux : C’est une recherche identitaire. Quelqu’un qui vit en France et qui est Noir se trouve tôt ou tard confronté à certains problèmes particuliers qui le font se retourner vers ses racines. Cela parce qu’on ne veut pas de lui en tant que Français bien qu’il soit né et ait grandi en France. Il va se retourner alors vers sa communauté et revendiquer le fait d’appartenir à ce pays en tant que membre de sa communauté.
Afrik.com : Le groupe est resté soudé durant toutes ses années. Quel est le secret de la longévité et de l’harmonie qui règne au sein de Kassav ?
Jacob Desvarieux : On a eu de la chance. Le choix des gens a été bien fait au départ. On avait tous la même motivation et nous comprenions que le but du jeu était d’arriver à un certain résultat. Et ce résultat ne pouvait être obtenu qu’à plusieurs. Tout seul, c’est plus difficile. Et ça fait 25 ans que ça tient.
Afrik.com : Quel est, dans le cadre de Kassav, votre meilleur souvenir d’artiste ?
Jocelyn Béroard : Toute l’histoire ! (rires)
Jacob Desvarieux : C’est l’histoire du groupe. De voir d’où c’est parti et où s’est arrivé. Partir de deux petites îles (Martinique et Guadeloupe, ndlr) de 450 000 habitants et dire qu’on va faire de la musique et que cette musique sera écoutée dans le monde entier…C’est un truc de mégalos…Il n’en demeure pas moins qu’on a réussi. Ce n’est pas fini, il y a encore beaucoup de travail, mais on a déjà réussi une grande partie du truc. Rien que de pouvoir dire, j’y ai participé, j’y étais, c’est déjà pas mal !
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