L’Atterrissage est une fiction sur la mort de deux jeunes Guinéens dans le train d’atterrissage d’un avion. La pièce de Kangni Alem imagine le scénario qui les a poussés à entreprendre cette traversée périlleuse, que beaucoup tentent encore. Jouée depuis trois ans dans plusieurs pays africains et européens, elle est parvenue à sensibiliser quelques jeunes.
La nouvelle en avait glacé d’effroi plus d’un : en 1999, à Bruxelles, deux adolescents guinéens sont découverts morts dans le train d’atterrissage d’un avion de l’ex-compagnie aérienne Sabena. Sur le corps de Yaguine Koita et Fodé Tounkara, on retrouve une carte de scolarité et une lettre signée par les deux jeunes victimes de l’immigration clandestine. Une lettre qui interpelle les responsables européens pour les mettre au fait de « l’objectif de notre voyage et de la souffrance de nous, les enfants et jeunes d’Afrique ». Hormis les problèmes du système éducatif, Yaguine et Fodé énumèrent « la guerre, la maladie, le manque de nourriture, etc ».
Un passeur cynique
C’est en se basant sur ce fait divers tragique, loin d’être isolé et qui n’aurait fait l’objet d’aucune enquête, que Kangni Alem a décidé de monter la pièce Atterrissage. La fiction de l’auteur d’origine togolaise tente d’imaginer le macabre scénario qui a poussés les deux Guinéens à se cramponner au train d’atterrissage d’un avion. La pièce, qui se joue ces vendredi, samedi et dimanche à Paris, s’ouvre sur le village de Yaguine (Ken Ndiaye) et Fodé (Younouss Diallo). Les deux amis réunissent péniblement l’argent nécessaire pour satisfaire la soif pécuniaire du passeur, un personnage faussement chaleureux et cynique interprété par Dieudonné Kabongo.
Il manque d’ailleurs 3% des 10% de commission exigés par le passeur. Alors, pour ne pas rater la chance de partir, le binôme propose de laisser en gage le tourne-disque de Ma Carnélia, leur mère adoptive incarnée par la charismatique Aline Bosuma. Cette mère adoptive aimante est très inquiète. D’autant qu’elle a perdu son fils « au pays de l’homme blanc » dans ce qui lui a été présenté comme une « bavure policière ». Le corps couvert d’argile verte, elle tempère les ardeurs de ses deux fils adoptifs.
« Même les poches vides, revenez »
Elle leur délivre ainsi de sa voix douce et sage un message, qui vaut pour tous les candidats à l’immigration clandestine. « Même les poches vides, revenez. Même si vous ne pouvez pas acheter ma voiture, revenez », explique-t-elle en substance. Elle ne manque pas de critiquer au passage ceux qui préfèrent galérer à l’étranger et revenir « dans un cercueil flambant neuf comme un carrosse » plutôt que d’avouer l’infortune de leur aventure. Et de conclure : « Il y a tellement de choses à faire ici ». Un rôle posé qui rappelle les mères de Thiaroye-sur-mer, au Sénégal, qui encouragent les jeunes à ne pas risquer leur vie.
Elle finira par les laisser partir. En laissant en gage son tourne-disque, dernier souvenir qui lui reste de son mari défunt. Ce qu’elle ne sait pas encore, c’est que ses enfants ne partiront pas en avion avec de faux papiers comme promis, mais dans le train d’atterrissage d’un avion.
La sensibilisation est en marche
La pièce, sobre et qui parvient à arracher quelques sourires, joue sur les paradoxes : le passeur qui trône sur une échelle en lisant tranquillement son journal. Les jeunes, à terre, le regardent comme s’il était un dieu dont l’avenir dépendait intrinsèquement. La douceur de la mère adoptive tranche avec l’attitude sans cœur du passeur. La témérité de Fodé tranche avec la prudence de Yaguine. Et la froideur du fer de l’échelle d’où s’exprime le passeur et la chaleur et l’authenticité du bois sur lequel s’appuie Ma Carnélia.
Des paradoxes qui n’ont pas échappé à certains élèves qui ont vu la représentation au Burkina Faso, au Sénégal ou en Angleterre. L’Atterrissage y a connu un succès et des écoles l’ont même repris pour susciter le débat. Un débat qu’engagent à chaque fois les comédiens, qui tournent depuis trois ans et espèrent à terme jouer en Guinée. Pour échanger et faire circuler la parole. Des jeunes ont-il délaissé leur projet d’émigration pour autant ? Selon Ken Ndiaye, qui s’est glissé dans la peau de Yaguine, « à Bobo-Dioulasso (Burkina-Faso, ndlr), certains nous ont dit : « On veut toujours partir, mais… »». Une hésitation encourageante.
Atterrissage de Kangni Alem
Ces vendredi et samedi à 20h30 et dimanche à 15h au Musée Dapper de Paris
35 bis, rue Paul Valéry
Renseignements et réservation : 01 45 00 91 75
Plein tarif : 12 €
Tarifs réduits : 8 € (Étudiants, moins de 18 ans, intermittents, demandeurs d’emploi), 6 € (Les Amis du musée Dapper)
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