Sur la scène togolaise, le joli visage de Julio Teko commence à se faire fortement remarquer. Comédien, slameur, animateur et voix-off, ce jeune « artrepreneur » comme il se définit lui-même, est aussi le manager général du festival « Tchalé lékéma » et président de l’association qui porte le nom « tchalékéma » lancé en 2015. L’évènement culturel a pour but de promouvoir le développement de la jeunesse via les arts et la culture.
Il y a un peu moins de trente ans, Julio nait à Lomé, au Togo, puis grandit à Libreville, au Gabon. Rentré à ses 17 ans au pays, il obtient son bac et débute une licence en management international, mais son envie de scène le rattrape. Pour ne plus jamais le lâcher. L’éternel optimiste est aujourd’hui à l’affiche de la nouvelle série togolaise « Hospital IT » de Yobo Studios, à retrouver à partir du 13 décembre 2017, sur TV5 Monde.
AfriK.com : Vous êtes comédien depuis quelques années déjà, parlez-nous de vos débuts ?
Julio Teko : Tout a débuté à Aneho par ma rencontre avec trois figures togolaises de la scène : Hodin Senyon, Basile Yawanke et Marc Agbedjidji. Ils effectuaient une tournée dans plusieurs villes du sud du Togo et sélectionnaient plusieurs talents pour une formation au métier de comédien. Dès deux personnes retenues, je suis le seul a avoir continué. La formation a duré deux mois. Après j’ai poursuivi par mes propres moyens durant 6 mois. Cela a abouti à une pièce de théâtre nommée « deux tickets pour le paradis » de Jean-Paul Alègre, joué notamment à l’institut français du Togo.
J’avais déjà fait une publicité ou deux et animé l’émission « mon mec à moi » (un Bachelor à la togolaise) mais, en tant que comédien, c’était très différent. J’ai très vite appréhendé la scène car mes coachs ont su me transmettre le virus. De plus, j’étais accompagnée de personnes douées et bienveillantes telles que Estelle Foly, David Ganda, Josiane Tereme ou Eustache Kamouna. Ensuite, ma 1ere expérience devant une vraie caméra comme comédien, c’était dans le clip « Vodoo Sakpata » du rappeur panafricain Elom 20ce, en 2015. J’y incarnais un père de famille en conflit avec sa femme. C’est bien plus tard que j’ai passé mon 1er casting avec Yobo Studios en 2016. L’équipe recherchait plusieurs profils différents pour le projet « Mi-temps », série cofinancée par Canal+ Afrique. Quand je suis arrivé le 1er jour, j’ai d’abord échoué au casting, alors que j’avais travaillé sur les phrases apprises toute la nuit. Mais malgré cela, Angela Aquereburu, la directrice de la société de production Yobo Studios s’est dit m’a donné une seconde chance. Ils m’ont donné quelques phrases du rôle de l’acteur Bakary, que j’ai bossé en dix minutes dans les couloirs de Canal. Après ma prestation, la réalisatrice m’a confirmé que j’étais pris. J’ai marché pour rentrer à la maison en me faisant des films dans ma tête. J’imaginais tous les beaux scénarii possibles, pour la suite. J’étais surexcité.
Afrik.com : Avez-vous eu la chance d’avoir un mentor ?
Julio Teko : Du point de vue cinématographique, chacune des personnes rencontrées a su, avec sa personnalité, m’apportait quelque chose à sa manière. Je n’ai jamais hésité à parler avec eux pour apprendre davantage sur mon métier. Mais mon grand mentor reste Angela car, dès les débuts, comme elle essaye de le faire pour tous les acteurs, elle a été présente pour moi. Elle est consciente du fait qu’il n’y a pas vraiment d’école de cinéma ici. Avec elle, nous avons une réelle relation de grande sœur à petit frère. C’est elle qui me montre aussi comment améliorer mon jeu, elle s’intéresse vraiment à nous, à comment on vit notre notoriété etc. Elle sait s’effacer pour nous mettre en avant lors des interviews, nous les acteurs encore méconnus, c’est une grande dame.
Afrik.com : Au Togo, il n’est pas toujours évident de défendre une carrière d’acteur, comment y parvenez-vous ?
Julio Teko : Ici, toute carrière artistique est compliquée. Ailleurs, il existe de nombreuses opportunités mais au Togo, tu dois constamment montrer que c’est possible à toute la société et que tu peux en vivre et que cela peut fonctionner. C’est usant ! Moi, en étant très présent sur les réseaux sociaux, dans l’animation et dans le social avec mon association, j’ai des atouts car je rencontre beaucoup de mon monde. C’est ma vitrine pour vendre aussi ma carrière d’acteur. Mais cela reste un défi.
Afrik.com : Au vue des difficultés que vous citez, n’envisagez-vous pas l’exil pour booster votre carrière ?
Julio Teko : Non, car je souhaite être un modèle de réussite pour moi-même avant tout, et pour les plus jeunes, et me prouver que c’est possible d’avoir une belle carrière depuis le Togo, sans partir m’exiler ailleurs. Je ne souhaite pas partir pour réussir. J’ai grandi avec des jeunes qui ont toute leur vie rêvé de partir en Occident, dans le fond, on ne rêve plus ici. Obama est resté et a grandi dans son pays pour devenir ce qu’il est ; je pense que c’est possible et faisable ici. Je peux voyager et faire des choses mais revenir ensuite chez moi. Si beaucoup d’acteurs partent c’est aussi du fait que les modèles il n’y en a pas assez chez eux. Je veux qu’un petit frère demain se dise « je veux faire du cinéma comme Julio que je croise à Lomé, ici ». Je me mène ma petite révolution !
Afrik.com : Etre acteur, pour beaucoup, c’est encore faire le pitre. Ce n’est pas un « vrai métier ». Que disent tes parents et ton entourage vis-à-vis de ton choix de carrière ?
Julio Teko : (sourire) Plus jeune, justement, je me souviens d’un échange avec mon père. Je venais d’être retenu pour un petit rôle. Et je suis allé l’annoncer à mon père. Il m’a répondu, texto : « on ne t’a pas mis à l’école pour que tu fasses le rigolo ! ». J’ai décidé de le faire quand même et de lui prouver que cela est viable. On a annoncé la tournée « deux tickets pour le paradis » et le contrat était de 400 000 F CFA à l’époque. Et là, papa m’a fait un grand sourire et il a dit que finalement, ce n’était pas si mal. Le regard de mon père a changé à ce moment-là. Sa grosse fierté maintenant, c’est quand ses amis l’appellent pour lui dire qu’ils ont vu son fils à la télévision. Mon entourage a commencé à comprendre que je pouvais gagner ma vie en faisant de la comédie. La machine était lancée. Papa est également fier de moi car, avec ma famille, nous avons connu des moments difficiles mais j’ai su être fort et soutenir maman. Aujourd’hui, les choses sont différentes. Mes frères et sœurs me soutiennent beaucoup et ma petite sœur Valérie aussi joue dans Hospital IT.
Afrik.com : Parle-nous un peu de la série à venir « Oasis » que vous avez tourné cette année toujours avec Yobo Studios ?
Julio Teko : J’y joue le rôle d’Alex, un jeune manager d’un complexe de résidences qui travaille au sein d’un groupe de jeunes gens, dont Essé, son ex-copine qui l’a largué sans crier gare il y a quelques années. Essé est en fait là pour espionner cette entreprise florissante pour le compte de la concurrence. Au fil des épisodes, ces deux-là vont se retrouver…
Afrik.com : Vous avez récemment perdu un ami et un collègue, l’acteur et humoriste Folo Foli, tué dans un accident de voiture. Un mot sur l’artiste qu’il était ?
Julio Teko : Pour moi c’était plus qu’un ami c’était surtout un grand frère, on s’est rapproché sur le tournage d’Hospital IT, toujours à l’écoute, toujours à partager, toujours à protéger, il ne mâchait pas ses mots mais était très humble et très humain. Il m’a appris énormément dans le domaine. C’était un grand professionnel. Forcément, je trouve que c’est une grosse perte pour toute une génération qui fait dans la comédie et le cinéma. A sa manière, Folo apportait sa touche unique au milieu ; Les téléspectateurs auront encore l’occasion de le voir dans la série.
Afrik.com : Votre nouvelle série Hospital IT, vient de recevoir le prix de la meilleure série au festival VUE D’AFRIQUE de Montréal, au Canada. C’est très encourageant.
Julio Teko : Oui, surtout que c’est ma première grosse expérience au cinéma mais avant tout ce prix est collectif et je ne peux qu’être fier de nous. Car pour beaucoup d’entre nous, c’était une première dans pas mal de domaines. Dans l’écriture par exemple, le scénario a été écrit par Madie Foltek, une jeune togolaise qui a une très belle écriture. Elle était présente avec les comédiens tous les jours pour accompagner et rectifier notre jeu ça et là. Du point de vue de la manière de filmer et du temps, c’est du 26*26mn (26 épisodes de 26 minutes) Pour la plupart d’entre nous, c’était également la première fois que nous tournions sur des formats aussi long. Du point de vue logistique également, le matériel était cette fois de meilleure qualité du point de vue du son et de l’image.
Afrik.com : La prochaine diffusion TV5 Monde de la série débute ce 14 décembre 2017, tous les jours à partir de 18h00, Temps Universel. C’est une belle opportunité de se faire connaitre d’un public un peu plus large, celui de la diaspora et de l’Afrique plus généralement;
Julio Teko : Tout à fait, le défi est maintenant sur l’avenir. Comment rebondir après ça ? J’ai déjà des pistes à Abidjan et Dakar. Et aussi, si tout va bien, une autre série togolaise est en préparation avec la même équipe et des collaborations étrangères. C’est bizarre, mais malgré le succès naissant je n’envisage pas m’expatrier. Paradoxalement, c’est le fait de voir tout le monde partir qui, moi, me donne envie de rester et de réussir ici. Actuellement ça prend tout le monde, les jeunes artistes quittent le pays pour aller en Chine. On est trop bercer par l’illusion des médias. Au Gabon et au Ghana, ils sont fiers de chez eux mais au Togo, pas du tout. C’est triste. Et c’est l’une des racines du problème. La fierté nationale nous fait défaut !
Afrik.com : Justement, vous êtes aussi promoteur culturel, notamment via le festival urbain que vous organisez chaque année « Tchalé Lékéma », et dont le prochain est prévu pour aout-septembre 2018. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Julio Teko : Le festival existe annuellement depuis trois ans. « Tchalé lékéma » signifie en mina « jeune gars, c’est comment ? », un peu comme le « What’s happening ? » de la célèbre application mobile Whatsapp. Il est né d’une idée simple on est amoureux de ce que nous voyons à la tv mais peu de ce que nous faisons chez nous. Avec ce festival, nous amenons donc des professionnels de divers domaines artistiques à rencontrer des jeunes, ces jeunes qui précisément ont envie de s’essayer à tel ou tel domaine, mais n’y connaissent rien. Ce concept nous sert à vendre une identité, la nôtre, celle du made in Togo.
Hospital IT Pilote