La lèpre sévit toujours en Afrique, même si elle tend à reculer. Cette maladie de peau insidieuse surprend les malades, qui viennent souvent consulter trop tard. A l’occasion de la 51e Journée mondiale des lépreux, le docteur Idrissou Adjibadé, coordinateur du Programme Lèpre au Bénin depuis quatre ans, dresse un état des lieux dans son pays.
De notre envoyée spéciale à Cotonou
La solidarité. C’est sous ce signe que s’ouvre, ce dimanche, la 51e Journée mondiale des lépreux. Grâce aux programmes de prévention, cette maladie bacillaire, qui touche principalement les couches les plus défavorisées de la population, recule dans certains pays d’Afrique. Toutefois, ses manifestations, qui paraissent au départ bénignes, ne poussent pas les personnes atteintes à consulter tôt. Au Bénin, un Programme lèpre financé par l’Etat (entre 60 et 75 millions de FCFA) et la fondation de lutte contre la lèpre Raoul Follereau (180 millions de FCFA) est en place depuis1988. Il reçoit et enregistre les malades, leur donne des médicaments et les oriente vers des centres anti-lèpre lorsque les cas sont graves. Depuis sa création, la structure a permis de guérir 12 129 personnes. Le docteur Idrissou Adjibadé, coordinateur du programme depuis quatre ans, dresse un bilan de la maladie dans son pays.
Afrik : Quelles sont les principales causes de la lèpre ?
Idrissou Adjibadé : La lèpre est une maladie de la pauvreté et de l’ignorance. Elle frappe les plus vulnérables : ceux qui n’ont pas la possibilité de vivre dans de bonnes conditions d’hygiène.
Afrik : Combien avez-vous répertorié de nouveaux de cas de lèpre en 2003 au Bénin ?
Idrissou Adjibade : Tous sexes confondus, nous avons recensés 240 nouveaux cas graves de lèpre (de forme multibacillaire, MB) et 137 moins graves (de forme paucibacillaire, PB). Si la forme MB est plus répandue c’est parce qu’elle est plus contagieuse. Mais le nombre de cas a largement diminué. En 1996, le taux de prévalence dans la population était de 0,8 pour 10 000 habitants, alors qu’en 2003, ce chiffre était de 0,42.
Afrik : Les malades viennent-ils consulter dès les premiers signes ?
Idrissou Adjibadé : Non. L’une des raisons est que la lèpre peut rester plusieurs années dans l’organisme sans que les signes cliniques apparaissent. Quand la lèpre se manifeste, certains ne consultent pas parce qu’ils pensent que le mal est dû à la sorcellerie, ils ne voient pas de solution médicale au problème. En général, comme la lèpre commence par une petite tache qui ne fait pas mal, les gens qui ne sont pas avisés ne voient pas l’utilité de consulter. Du coup, quand ils se dirigent vers nous, il est trop tard et certains présentent déjà de graves lésions nerveuses.
Afrik : Comment palliez-vous le manque d’information ?
Idrissou Adjibadé : Nous avons des relais communautaires qui incitent les habitants à se faire dépister dans les centres de santé. Nous avons même des lépreux guéris qui amènent des malades pour qu’ils soient examinés et, le cas échéant, traités. Une fois les malades dépistés, les centres établissent un diagnostique et commencent le traitement.
Afrik : En quoi consiste le traitement ?
Idrissou Adjibadé : Si la maladie en est à un stade précoce et qu’il n’y a pas encore d’infirmités, nous n’hospitalisons pas. Par contre, s’il y a déjà des complications, les malades peuvent être internés deux à trois mois selon le type de plaie. Pour les deux formes de lèpre, le traitement se base sur une polichimiothérapie composée de trois médicaments : la rifampicine, le clofazimine et le dapsole. Les dosages changent en fonction du mal. Nous tenons à associer les malades à leur guérison. Nous leur donnons une plaquette de médicaments à prendre pendant 28 jours. Le premier jour, il y a une prise supervisée, où le patient prend les médicaments devant le médecin traitant. Les jours suivants, c’est au malade de veiller à bien prendre ce qui lui a été prescrit. Lorsque la plaquette est terminée, il revient et l’infirmier lui en donne une autre jusqu’à la fin du traitement et ce, toujours gratuitement. C’est pour la forme grave que le traitement est le plus long. Il peut durer entre 12 et 18 mois.
Afrik : L’arrêt de la prise des médicaments est-il fréquent ?
Idrissou Adjibadé : Comme les malades sont bien traités au Bénin, certains viennent des pays frontaliers (Nigeria, Burkina Faso, Togo ou Niger) pour se faire soigner. Contrairement aux nationaux, nous leur offrons de quoi se traiter pendant deux ou trois mois. Après, ils doivent revenir se ravitailler. Malheureusement, certains ne reviennent pas parce que c’est trop loin ou parce que la maladie commence à régresser et qu’ils se sentent mieux.
Afrik : Que se passe-t-il si le patient arrête le traitement ?
Idrissou Adjibadé :Si le patient rate deux rendez-vous de suite avec son médecin, il doit tout reprendre à zéro. Ce qui a de très fâcheuses conséquences car le microbe développe des anticorps contre le médicament et devient donc plus résistant au traitement.
Afrik : Les lépreux arrivent-ils facilement à se réinsérer dans la société ?
Idrissou Adjibadé : Avant, les lépreux étaient rejetés, notamment par leur famille. Mais cette attitude est dépassée aujourd’hui. Lorsqu’ils guérissent et qu’ils n’ont pas d’incapacité physique, nous leur conseillons de se regrouper en association. Ensuite, nous leur trouvons un financement pour qu’ils puissent monter une activité génératrice de revenus. Certains exposent le fruit de leur travail sur des stands à la sortie de grandes manifestations. Pour les encourager, l’Etat donne à chaque association 200 000 ou 300 000 FCFA. D’autres lépreux font de l’élevage de porcs, de lapins ou produisent du savon noir, grâce à l’aide des centres anti-lèpre.