En Afrique, comme ailleurs dans le monde, des progrès ont été réalisés en termes de diagnostic précoce et de traitement du VIH/sida chez les enfants. D’énormes efforts restent cependant à accomplir pour faire reculer l’épidémie. Précisions du Dr Eric Mercier, responsable du volet sida de l’Unicef pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef), en partenariat avec plusieurs organisations onusiennes, vient de sortir son troisième bilan sur les enfants et le sida. L’organisation constate des progrès en termes de prévention, d’accès aux traitements et de diagnostic précoce. Seulement, l’Unicef note de grandes disparités d’un continent à l’autre, avec une avance très marquée des pays du Nord. Au sein même de l’Afrique, les régions Est et Australe du Continent mènent une guerre plus efficace que l’Ouest et le Centre. Or, l’Afrique occidentale et centrale représente à elle seule un tiers de l’épidémie globale – avec des séroprévalences oscillant entre 1% et 6% selon les pays – et détient la triste place de deuxième zone la plus touchée au monde, derrière l’Afrique de l’Est et Australe. Le Dr Eric Mercier est responsable du volet sida de l’Unicef pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Il fait le point sur la lutte contre le sida des enfants dans sa région.
Afrik.com : Où en est le dépistage précoce en Afrique ?
Dr Eric Mercier : Trente pays en 2007, alors qu’il n’en avait que dix-sept en 2005, ont démarré des systèmes de collection de sang séché sur du papier buvard. Il y a une progression du dépistage, c’est clair, mais cela reste, en particulier en Afrique de l’Ouest et du Centre, pas assez répandu. C’est un vrai problème puisqu’il y a une surmortalité durant la première et la deuxième année. C’est pourquoi il est extrêmement important de s’assurer que les femmes enceintes séropositives puissent avoir leur enfant testé aux environs de la troisième semaine, au sixième mois au plus tard. Cela permettra, au cas où l’enfant serait malheureusement infecté, de pouvoir le mettre sous traitement le plus rapidement possible : les chiffres montrent que, sous traitement, ces enfants ont des chances de vie extrêmement importantes.
Afrik.com : Est-ce facile d’amener les femmes enceintes à se faire dépister ? Craignent-elles d’être chassées par leur mari ou partenaire si leur séropositivité était avérée ?
Dr Eric Mercier : C’est une question extrêmement importante. C’est une ou la raison qui explique qu’aujourd’hui on a encore des résultats peu importants. Bien sûr, on peut se dire qu’il n’y a pas assez de services où l’on offre des services de tests et de conseil aux femmes. Mais, en même temps, il n’y a pas obligatoirement une demande de ces femmes à êtres testées parce que le fait d’être testées et d’être éventuellement positives est aussi synonyme, dans un certain nombre de situations, de ramener la mauvaise nouvelle à la maison. Ces femmes sont identifiées comme étant les responsables de l’infection alors que souvent elles ont été contaminées par leur partenaire. Cela peut entraîner dans un certain nombre de situations des violences. Il est donc extrêmement important de rappeler que les femmes ne sont pas les seuls vecteurs du virus et d’avoir une approche de prévention familiale car le sida est une infection familiale.
Afrik.com : Quels traitements sont disponibles pour les enfants?
Dr Eric Mercier : Aujourd’hui, on a de multiples formes de traitements pédiatriques, et même des combinaisons de traitements pour les enfants. Mettre les enfants sous traitement n’est plus un problème même si cela n’est pas toujours très facile. Je crois qu’aujourd’hui la question est de détecter le plus précocement possible les enfants pour leur faire bénéficier des traitements qui existent et qui vont leur permettre de vivre.
Afrik.com : Ces traitements pédiatriques permettent-ils de faire reculer la méthode qui consistait à soigner les enfants en coupant en deux ou trois des antirétroviraux pour adultes ?
Dr Eric Mercier : Ces traitements vont réduire ce genre de ces situations. Mais dire qu’elles n’existent plus, je ne sais pas. Il est possible que dans un certain nombre de situations cela se passe parce qu’un certain nombre de pays ont parfois des difficultés, même quand les médicaments existent, à pouvoir les mettre à disposition de façon régulière, sans rupture de stock, etc. Mais il est évident que ces situations doivent être minimisées et doivent à terme disparaître.
Afrik.com : Les antirétroviraux ne fonctionnent pas comme il faut lorsque le patient est malnutri. Que fait l’Unicef pour les enfants sous traitement mais sous-alimentés ?
Dr Eric Mercier : La réponse au VIH est une réponse de partenaires. Une seule institution ne peut pas répondre à tous les besoins. Le rapport que nous venons de sortir le montre bien car c’est un rapport de plusieurs institutions, et pas uniquement de l’Unicef. Pour le problème de malnutrition, le Programme alimentaire mondial est un partenaire de la famille Onusida. Il aide les familles affectées, pas uniquement les enfants, en donnant dans un certain nombre de pays des compléments nutritionnels.
Afrik.com : L’Unicef a-t-elle une action pour contrer le mythe selon lequel avoir des relations sexuelles avec une vierge permet de guérir du sida ?
Dr Eric Mercier : Je pense avoir entendu en Afrique du Sud ce genre situations où de jeunes enfants se sont fait violer justement parce qu’il y avait ce mythe qu’on pouvait guérir en ayant des rapports sexuels avec une vierge ou même des enfants très jeunes. Mais, très honnêtement, je ne couvre pas l’Afrique du Sud donc je ne sais pas qui fait quoi. Je suppose que les institutions nationales, les ONG, la société civile… s’organisent face à ces situations. Qu’est-ce qu’ils font pour répondre à ces questions-là ? Est-ce que l’Unicef même a un rôle ? Je ne suis pas en mesure de vous répondre.
Afrik.com : L’Unicef sensibilise-t-elle au problème des « sugar daddies », ces hommes souvent très âgés qui proposent à des jeunes filles des biens en nature contre des relations sexuelles ?
Dr Eric Mercier : Absolument. On a dans beaucoup de pays – je peux prendre comme exemple le Cameroun, le Burkina… – des associations de jeunes qu’on a mises en place. A travers des groupes de pairs-éducateurs, on aide les jeunes à acquérir des connaissances pour mieux connaître les risques qu’ils encourent et aussi à acquérir des compétences pour leur permettre de pouvoir négocier et refuser un certain genre de situations. C’est un travail que soutient l’Unicef, avec des partenaires.
Afrik.com : Approchez-vous aussi les chefs coutumiers aussi pour qu’ils s’adressent aux « sugar daddies » ?
Dr Eric Mercier : Cela fait partie de la réponse. On travaille aussi avec les communautés pour qu’on change la normalité de ce genre de situation, qui est absolument inacceptable.
Afrik.com : Comment l’Unicef parvient à toucher les jeunes à haut risque, que vous appelez « hauts transmetteurs », qui sont pour certains des enfants de la rue, et donc difficilement accessibles ?
Dr Eric Mercier : C’est le défi le plus difficile. Pas que pour l’Unicef mais pour toute la communauté. Le plus difficile est de les localiser, d’identifier qui ils sont et de trouver après les moyens de les contacter. Cela passe souvent à travers les mécanismes de pairs-éducateurs. Il faut arriver à trouver dans ce groupe-là un jeune ou une jeune qui est plus disponible, plus disposé, et qui est souvent un leader pouvant être le moyen d’accéder au groupe. Que ce soit un groupe de jeunes prostituées, de jeunes militaires…
Afrik.com : Les adolescents peinent à prendre leur traitement sur le long terme. Comment l’expliquez-vous ?
Dr Eric Mercier : L’adolescence est une période de changement, une période de contestation, une période de réaction… Ce n’est pas spécifique au VIH. C’est l’évolution d’un enfant vers l’âge adulte et, de la même façon qu’il va refuser un certain nombre de situations, l’adolescent va refuser sa maladie ou il va avoir des difficultés à l’accepter. Il est donc vraiment important de l’accompagner, de bien prendre en compte ses attentes et de l’aider à avoir une sexualité normale. C’est normal qu’un jeune ait des besoins de sexualité, mais à lui de savoir la négocier, de savoir se protéger, de savoir protéger les autres… C’est un travail extrêmement important et c’est une dimension qu’il ne faut pas négliger.
Afrik.com : Pensez-vous que les gouvernements africains se battent suffisamment pour faire reculer le sida pédiatrique?
Dr Eric Mercier : Il y a une réponse. Mais est-ce qu’on en a assez ? Je pense que tout le monde n’en fait pas assez. Mais pas que les gouvernements. Tout le monde n’en fait pas assez.
Photo logo : Unicef/ UN