La presse écrite ivoirienne se caractérise par des journaux proches des principaux partis, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), le Front populaire ivoirien (FPI) et le Rassemblement des Républicains (RDR). Accusés d’échauffer les esprits dans un pays en crise politique depuis 2002, leurs responsables mettent en avant leur souci de jouer la carte de l’apaisement, notamment durant le processus électoral historique dans lequel la Côte d’Ivoire est engagée depuis ce dimanche.
Les dérives de la presse ivoirienne ont été épinglées à plusieurs reprises, notamment depuis le coup d’Etat manqué de septembre 2002 qui a entraîné la partition du pays. Le scrutin présidentiel, attendu depuis 2005, s’est déroulé ce dimanche dans l’apaisement. Cependant, jeudi dernier, les journaux privés ivoiriens faisaient l’objet d’un rappel à l’ordre de l’ONG de défense de la liberté de la presse, Reporters sans frontières (RSF). Cette dernière a appelé ainsi les trois journaux privés ivoiriens proches des trois principaux partis, Le Nouveau Réveil (Parti démocratique de Côte d’Ivoire), Notre Voie (Front populaire ivoirien, au régime) et Le Patriote (Rassemblement des Républicains) « à changer immédiatement leur approche de la campagne électorale pour offrir une information équilibrée ». Pourtant, à en croire les journaux concernés, ces derniers jouent plutôt la carte de l’apaisement conscients du caractère crucial de ce processus électoral pour l’avenir du pays.
« C’est évident, nous continuerons de soutenir à fond le candidat de La Majorité présidentielle (Lmp), le président Laurent Gbagbo, notre favori. Cependant, nous savons que le rendez-vous de l’élection présidentielle, surtout dans ce pays qui sort de crise, doit être fait d’équité et d’élégance », écrivait Cesar Etou, le directeur de publication et rédacteur en chef du journal Notre Voie, dans son éditorial du 4 octobre dernier.
Même son de cloche au Patriote, proche du Rassemblement des Républicains (RDR) d’Alassane Ouattara. Conscient de « la situation difficile du pays », souligne son directeur de publication, Charles Sanga, « Le Patriote n’a jamais rechigné à jouer la carte de l’apaisement ». « Il faut plutôt que les gens commencent par penser à interpeller les hommes politiques sur les discours qu’ils tiennent. En période de campagne, il est intéressant que ceux qui ont des opinions à défendre concernant la question des droits de l’Homme, de la crise économique et des dérives politiciennes les défendent. Ce sont des maux que Le Patriote pointe du doigt », ajoute-t-il. Le directeur de publication réfute toute accusation « d’extrémisme ». « Nous sommes pour l’unité nationale, la cohésion sociale. Quel que soit le résultat du scrutin du 31, Le Patriote s’inscrira dans une dynamique de paix et dénoncera les dérives des hommes politiques », insiste Charles Sanga.
L’apaisement, un idéal éditorial
Pour les quotidiens des partis, une information apaisée rime par conséquent avec largesse d’esprit. Toujours dans son éditorial du 4 octobre, Cesar Etou donnait le ton. «Aussi, à partir de ce numéro que vous tenez entre vos mains, nos colonnes s’ouvrent-elles, dans la mesure de nos possibilités, à chacun des candidats à la présidence, aux acteurs électoraux que sont la Cei (Commission électorale indépendante, ndlr), la société civile et les observateurs».
C’est aussi l’option choisie par Le Nouveau Réveil. « Nous avons des équipes qui suivent au quotidien les principaux candidats (PDCI, RDR et FPI). Si nous avons toujours donné dans l’apaisement, assure Paul Koffi, chef du service politique du quotidien, nous nous tenons d’autant plus à cette ligne que ces élections sont un scrutin de sortie de crise. Nous avons donné consigne à chaque journaliste de mettre l’accent sur les faits, de ne rapporter que ce qui a été dit ».
Il en est de même au Patriote. « Nous n’avons pas les moyens d’un quotidien public », explique Charles Sanga, mais « toutes les ressources de la rédaction » ont été mobilisées pour suivre chacun des leaders importants, le trio Bedié-Ouattara-Gbagbo, dit le « Bog », « Albert Toikeuse Mabri (UDPCI), Innocent Kobena Anaky (MFA) et les activités des institutions (Primature et Commission électorale indépendante) ».
Néanmoins, on ne chasse pas le naturel. Chaque quotidien voit déjà son champion à la présidence. Mais Charles Sanga du Patriote tient à clarifer la situation. « Notre soutien au candidat du RDR n’est pas un soutien affectif. Le journal existait bien avant que le président Alassane Ouattara n’entre dans l’arène politique. Nous avons une ligne de conduite qui croise la sienne en termes de défense des droits de l’homme, d’unité nationale et de cohésion sociale. Nous adhérons au projet de société d’Alassane Ouattara ». De son côté, Paul Koffi du Nouveau réveil ne peut s’empêcher de vanter le candidat Bédié, celui de « l’expérience ». « Y a vraiment rien en face », titrait ce lundi Notre voie, au lendemain du scrutin du 31 octobre.
Nord-Sud Quotidien et Fraternité Matin : être au-dessus de la mêlée
Si la neutralité est un concept à mettre en œuvre pour les journaux des partis, elle se veut une ligne de conduite pour Nord-Sud Quotidien, fondé par Méité Sindou, l’actuel porte-parole du Premier ministre issu des rangs des Forces nouvelles (FN), et un devoir pour Fraternité Matin. « C’est un média d’Etat de gestion publique, explique Paulin Zobo, chef du service politique du quotidien. A ce titre, nous sommes à la disposition de tous les citoyens, nous devons être le reflet de toutes les sensibilités du pays. Nos colonnes sont ouvertes à tous les candidats de façon équilibrée et égalitaire ». Le journaliste rappelle que c’est ainsi que le quotidien tente de fonctionner depuis l’avènement du multipartisme en Côte d’Ivoire au début des années 90. Si la mise en œuvre a été difficile, les années 2000 marquent un tournant à cause de la concurrence de la presse privée. D’autant que Fraternité Matin doit intéresser un ublic le plus large possible pour des raisons économiques. « Les journaux qui sont proches des partis défendent leurs intérêts et sont donc achetés systématiquement par les militants. Fraternité Matin n’est pas proche d’un parti politique d’où la nécessité de s’ouvrir et de traiter l’actualité de façon professionnelle parce qu’il n’y a pas un électorat déjà captif ».
A Nord-Sud Quotidien, l’apaisement rime avec neutralité et vient aussi du débat. « Nous avons augmenté le nombre de pages politiques pour les élections, explique Kébé Yacouba Jr, son directeur de publication. Nous donnons la parole à la population, aux candidats et à leurs représentants et à la société civile. Nous avons ouvert deux pages de débat – « Les grands débats de Nord-Sud » -, à raison de trois par semaine. » Ils ont été lancés une semaine avant le lancement de la campagne le 15 octobre dernier. «Nous sommes les seuls à avoir proposé ce débat, souligne le directeur de publication. « Nous essayons d’interpeller, par le biais d’un baromètre, ceux qui tiennent des propos qui vont contre le climat de paix ou décernons une mention à ceux qui sont plus apaisants». Nord-Sud Quotidien avoue s’employer à « ne pas mettre en exergue » les propos trop violents . « Nos confrères nous reprochent de ne pas prendre position . Mais les Ivoiriens ont besoin d’une presse crédible et professionnelle, plaide Kebe Yacouba Jr. C’est cette option que nous avons choisie depuis le début ». Et le patron de presse de rappeller fièrement : « Cela fait deux années de suite que nous sommes crédités d’être le journal le plus professionnel de la place par le CNP (Conseil national de la presse,ndlr), le général de la presse ».
Cependant les médias peuvent-ils être apaisés quand les journalistes qui les font ne le sont pas ? Théophile Kouamouo et ses collègues du Nouveau courrier d’Abidjan, bien qu’ayant des sympathies pour le pouvoir sortant, ont exercé leur droit à la critique… Et ont été récemment mis en prison pour s’être intéressés de trop près à la filière café-cacao. Un sujet aussi sensible que la politique en Côte d’Ivoire.