Phénomène unique, les petits organes de la presse rurale fleurissent partout en Afrique. Loin d’une presse officielle qui leur abandonne le terrain de la proximité, les reporters de brousse inaugurent un genre marqué par l’humilité et l’écoute. Entre conseils techniques et école de la citoyenneté, la presse rurale a acquis ses lettres de noblesse.
Trop souvent fascinés par les grands messes institutionnelles et les déclarations officielles, les organes de presse africains ont laissé le petit Poucet des rotatives occuper le créneau du terrain et de la proximité. Modèle de rigueur et d’humilité, la presse rurale inaugure un journalisme radicalement novateur, en s’adressant à la masse des ruraux et des humbles. » Feuilles de choux » imprimées parfois sur imprimantes ou de simples ronéotypes, la presse rurale est devenue familière des villages les plus reculés, dispensant conseils pratiques en langue locale, sur l’utilisation des engrais ou les nouvelles méthodes d’ensemencement. Sont au menu également des sujets de société comme les minorités ethniques ou la place de la femme au sein des communautés villageoises. « L’équité entre hommes et femmes est un sujet récurrent chez-nous, explique Martin Paul Mvondo, formateur et journaliste camerounais au Courrier du Monde Rural. Petit à petit, nos lecteurs masculins comprennent et acceptent de voir en la femme un acteur de développement essentiel « . Distribué à 4 000 exemplaires, ce trimestriel est diffusé par les organisations paysannes. » L’exemplaire passe de mains en mains. Ou plutôt de bouche à oreille, car on le lit beaucoup collectivement, devant la famille entière « , analyse M Mvondo.
Là où les ondes radio ne passent pas, là où les messageries de presse peinent à aller, la presse rurale constitue le seul lien avec l’extérieur. Un lien précieux qui explique également le succès de ces parutions. Rien qu’en Afrique de l’Ouest, Afrik a en répertorié une bonne dizaine, aux noms évocateurs : La voix du Paysan, Planta Info, Le Coopérateur, ou l’Aigle de Songaï, A l’affût paysan.
Une pépinière de vocations
La presse rurale est aussi une pépinière de vocations journalistiques. Avec des règles propres, qui poussent les rédacteurs à se doter de réflexes professionnels. Dans un article publié par l’agence Syfia, le reporter de brousse sénégalais signe un témoignage de toute beauté : » Parce qu’ » un bon reportage de terrain, a dit un expert, vaut mieux que dix comptes-rendus de séminaires « , le journaliste agricole passe son temps ballotté de charrette en taxi-brousse pour aller voir ce qui se passe réellement dans les champs et les villages « . Donner à voir, » raconter, expliquer, est une passion exigeante qui fait fi du confort et des horaires de travail « , écrit notre confrère. Un métier » noble » rendant justice à ces paysans qui se taisent devant la presse officielle, et révèlent à qui veut prendre le temps de les écouter (c’est-à-dire, à l’heure du thé) qu’il faut » aller avant le lever du jour, et entrer sans bruit dans l’enclos » pour surprendre les millions de criquets dévorant les récoltes.
Ecole d’humilité et de rigueur, mais également école de démocratie dans un monde rural qui prend conscience de son importance et veut faire entendre sa voix. Pas étonnant donc que peu à peu, les rubriques » santé « , » environnement » ou » agriculture » fassent place aux informations générales et politiques. Pas étonnant encore que la presse rurale burkinabé ait pris fait et cause dans l’affaire du journaliste Norbert Zongo assassiné. Alors que les manifestations battaient leur plein dans les villes pour que justice soit faite, la presse agricole devenait le fer de lance d’une contestation démocratique. Bang-Kunga (le Messager du savoir en mooré), ne consacrait pas moins d’un tiers de son numéro d’avril dernier à cette affaire. Et n’hésitait pas à charger les chefs traditionnels, accusés de perpétuer le népotisme, par leur silence ou leur complicité tacite.