Journal d’une fille du Sud : Chimamanda Ngozi Adichie


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« Journal d’une fille du Sud » est la nouvelle chronique de notre collaboratrice Nadia Khouri-Dagher. La suite de sa série à succès « L’apprentissage », sur la double culture d’une Orientale en France, qui fut diffusée par AFRIK, de 2006 à 2008, puis publiée en livre sous le titre « Hammam et Beaujolais » (RFI/Zellige, 2008).

Pour entamer cette nouvelle série de chroniques, un hommage – et un coup de chapeau à ma consœur Chimamanda Ngozi Adichie, écrivaine nigériane, dont je viens de lire – de dévorer ! – son superbe livre, « Americanah » (Gallimard, 2015).

nadia_10.jpg Cet ouvrage est le récit, romancé, de sa vie aux Etats-Unis, alors que, jeune étudiante venue du Nigeria, élevée dans un milieu bourgeois et cultivé, elle découvre ce que c’est d’être Noire aux USA. Nulle amertume, nulle agressivité, nulle résignation non plus : intellectuelle, intelligente, appliquant à la réalité qu’elle vit les outils d’analyse avec lesquels elle appréhende le monde qui l’entoure, elle établit simplement un constat.

Par exemple lorsqu’elle décrit les difficultés pour la jeune étudiante noire qu’elle est, au fort accent étranger car elle vient de débarquer, à obtenir un job, même de baby-sitter. Expérience que nombre de mes amis, Maghrébins ou Africains en France, ou encore Antillais, ont déjà vécue, qu’il s’agisse d’obtenir un job ou un appartement par exemple.

Je me souviens par exemple, il y a quelques années, d’un jeune Camerounais à qui j’avais loué mon studio, alors que je partais pour plusieurs mois séjourner à l’étranger : pour me convaincre de lui louer mon appartement, il avait prétendu que sa mère était Américaine. Je n’avais pas été dupe – et n’avais guère besoin de cette « justification » d’ailleurs, de cette « occidentalisation » de sa personne, pour le considérer comme un locataire fiable.

Pour ne pas le vexer, j’avais fait semblant de le croire, et lui avais laissé mon studio – il s’installait en couple, avec une jolie Russe, et tous deux avaient l’air très amoureux, ce qui me fait toujours plaisir (ils se sont mariés ensuite, ce qui m’enchanta – mon studio leur avait-il porté bonheur?…). Mais quand je revins, qu’ils quittèrent le studio, et que nous devînmes un peu amis, j’eus la confirmation que j’attendais : mon locataire n’était pas plus Américain que moi…

J’ai aussi le souvenir d’une collègue Martiniquaise, maquettiste dans le magazine pour lequel je travaillais, dont le prénom – Marie-Hélène – et le nom de famille étaient tout à fait français, et qui, bizarrement, se voyait toujours répondre, après avoir visité des appartements, que malheureusement, le logement venait tout juste d’être loué au visiteur précédent : la couleur caramel de sa peau, ou bien ses jolies coiffures élaborées – car elle changeait de tête tous les mois ! – étaient sans doute responsables de ces inattendues réponses ?

Un Nigeria où les extrémismes religieux s’aiguisent : par exemple chez les chrétiens, expansion des églises évangéliques, des pasteurs-escrocs qui détournent l’argent des quêtes à l’église pour leur profit personnel, puritanisme qui se développe chez les chrétiens aussi, en imitation des islamistes sans doute

Mais ne restons pas sur des éléments négatifs : car le livre de Chimamanda Ngozi Adichie est truffé de passages très drôles, très justes, par exemple lorsqu’elle décrit les « bobos » blancs de la Côte Est chez qui elle va dîner, leur valorisation systématique de tout ce qui vient du Sud ou qui est fabriqué par des pauvres, objets de décoration ou vaisselle, même lorsque ces objets sont de facture grossière (et regardez certaines boutiques de déco ou certains vêtements vendus très chers en France pour comprendre…). Lorsqu’elle subit la « supériorité » dont se croient investies les élites intellectuelles des USA, même noires, quant aux peintres, aux écrivains, ou aux films qu’il faut aimer – et il existe la même chose en France – si bien que ses goûts à elle, venue du Nigeria, bourgeoise pourtant et très éduquée, sont considérés comme « ringards » : elle n’aime pas la peinture abstraite, ni tel écrivain à la mode…

Dans toute une partie du roman qui se déroule à Londres, Chimamanda décrit aussi des expériences tragiques, dont les médias du Nord ne parlent que par entrefilets, par exemple lorsque l’on évoque une expulsion de migrants par avion, ou pas du tout : car l’auteur décrit le quotidien d’un jeune Nigérian à Londres, venu d’une famille bourgeoise et éduquée (sa mère est prof d’université), mais sans papiers. Réduit à accepter n’importe quel emploi – veilleur de nuit, cuisinier,… – à emprunter l’identité d’un autre, qui lui prête sa carte d’identité – comme cela se fait en France aussi parmi nombre d’étrangers clandestins (voir les romans du Congolais Alain Mabanckou), prétexte d’un racket scandaleux : car le généreux compatriote nigérian qui « prête » sa carte d’identité au jeune sans-papier, prélève aussi, du même coup, une part importante de son salaire, par la force du chantage : « si tu n’acceptes pas mes conditions, je te dénonce…»

Bref un roman formidable, qui raconte aussi l’énorme espoir que suscita l’élection d’Obama parmi les Noirs aux Etats-Unis. Qui raconte aussi, en termes crus, choquants et révoltants, le Nigeria d’aujourd’hui – car l’héroïne du roman, tout comme l’auteur dans la vraie vie, retourne au pays après des années de vie en Amérique. Un Nigeria livré au capitalisme sauvage, où l’argent est devenu la seule religion, extrémiste et idolâtre, et où les nouveaux riches étalent leurs richesses avec ostentation – montres et bijoux de luxe, maisons richement meublées, voitures, cependant que la misère est toujours là (et l’on voit cela dans toute l’Afrique désormais, et pas seulement au Nigeria – et dans tous les pays du Sud d’ailleurs…).

Un Nigeria où les extrémismes religieux s’aiguisent : par exemple chez les chrétiens (communauté à laquelle semble appartenir l’auteur), expansion des églises évangéliques, des pasteurs-escrocs qui détournent l’argent des quêtes à l’église pour leur profit personnel, puritanisme qui se développe chez les chrétiens aussi, en imitation des islamistes sans doute, avec l’interdiction faite aux jeunes filles de porter des robes trop décolletées, et autres injonctions que ne connaissaient pas les Nigérianes autrefois. Extrémismes ethniques aussi lorsque l’héroïne de retour au pays, cherchant un appartement à louer, s’entend répondre qu’ « on ne loue pas à une Ibo », ethnie à laquelle l’héroïne appartient : « était-ce comme cela avant mon départ aux USA ? », s’interroge l’auteur…

Ce n’est pas en s’apitoyant sur l’Afrique, en poussant « le sanglot de l’homme blanc » sur la pauvreté du continent, ce n’est pas non plus en niant toute responsabilité de l’Occident dans toute cette pagaille, que l’Afrique s’en sortira

Mais aussi, malgré tout ceci, transparaît dans le récit l’amour de l’héroïne/auteur pour son pays natal, le bonheur de retrouver les maisons anciennes de Lagos et leurs jardins luxuriants, de retrouver ses amis et amies d’enfance, tout son passé en somme. Bonheur surtout de retrouver cette FORMIDABLE JOIE DE VIVRE des Nigérians (qui est celle de tous les Africains !) et qui lui a tellement manqué, vivant aux Etats-Unis. « Ici, on rit d’un rien ! », remarque l’auteur, qui redécouvre en somme son pays avec des yeux neufs, et se réjouit d’avoir retrouvé le pays qui l’a formée, telle qu’elle est, et à qui finalement elle doit son phénoménal succès : positive et joyeuse ! Car Chimamanda Ngozi Adichie est désormais une auteur best-seller…

Sous ce titre, « Americanah » – l’adjectif pour dire « Américaine » au Nigeria, et ce que l’auteur est un peu devenue – Chimamanda a en réalité écrit le plus bel hommage qui soit à l’Afrique, à son formidable sens de la solidarité et de la générosité, et à son inépuisable ÉNERGIE DE VIE. Et comme « qui aime bien châtie bien », comme le dit le dicton, nous lui savons gré d’avoir aussi montré au monde entier la face noire de l’Afrique : corruption, scandales financiers, hommes politiques achetés, prostitution de haut niveau, racket et crapules.

Car ce n’est pas en s’apitoyant sur l’Afrique, en poussant « le sanglot de l’homme blanc » sur la pauvreté du continent, ce n’est pas non plus en niant toute responsabilité de l’Occident dans toute cette pagaille (Chimamanda rappelle que tous ces immigrés qui débarquent en masse en Europe… viennent des pays anciennement colonisés par l’Occident…!), que l’Afrique s’en sortira. Mais grâce à des personnes comme Chimamanda Ngozi Adichie, à la fois Africaine et Américaine, Nigériane de sang et Occidentale par sa formation intellectuelle et ses années vécues aux USA, qui ont un regard critique, ni trop tendre pour les uns ni trop dur pour les autres. Amour et lucidité. Lucidité grâce à l’amour. Critique constructive. Car on aime les deux à la fois. Que l’on appartient aux deux à la fois : ici, et là-bas.

Car dans notre monde mondialisé, il n’y a plus de Sud, il n’y a plus de Nord, il n’y a plus de Nigeria indépendant de ce qui se passe aux USA ou à Londres, il n’y a plus d’Europe sans les milliers de migrants qui tentent de la rejoindre chaque année, certains en barque. Nous sommes tous dans le même bateau. Voilà sans doute le message de ce livre. Message-slogan de notre XXI° siècle à venir. Et à construire ensemble. Ou à périr ensemble.

Le site de Chimamanda Ngozi Adichie en lien : http://chimamanda.com/

Une interview de l’auteur, proposée par la Librairie Mollat de Bordeaux, ville tournée vers l’Afrique et le Sud:

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