Au lieu de vivre leur enfance, ils sont devenus les victimes d’une guerre dont ils pensent être les maîtres, d’une vie qu’ils n’ont pas choisie et à laquelle ils essaient de donner un sens. Johnny Mad Dog, la première fiction de Jean-Stéphane Sauvaire qui sort en salles ce mercredi en France, est une incursion musclée dans l’enfer psychologique de ces enfants africains noyés dans la violence.
Quand Emmanuel Dongola, auteur de Johnny chien méchant dont est adapté Johnny Mad Dog, rencontre Jean-Stéphane Sauvaire, de quoi imagine-t-on qu’ils puissent parler ?
Ils débarquent fusils au poing. Après leur passage, tout n’est que désolation. La marche macabre de Johnny Mad Dog et de ses acolytes, des enfants soldats, est fait de « dommages collatéraux ». Dans un pays africain, en proie au chaos de la guerre civile, une autre adolescente, Laokolé, fuit avec son petit frère et un père paralysé. Pour sa première fiction, Johnny Mad Dog, le cinéaste français Jean-Stéphane Sauvaire livre une réalisation musclée et sans concessions, comme les premières images de son long métrage. L’adaptation de Johnny chien méchant de l’écrivain congolais Emmanuel Dongala est une plongée au cœur du psyché, et c’est une première sur grand écran, d’enfants instrumentalisés par la folie guerrière d’adultes aux sombres revendications politiques. Le casting, fait d’anciens enfants soldats libériens, est à la hauteur des enjeux d’un film qui met en avant la souffrance psychologique et humaine de ces enfants et de toutes leurs victimes. De leur tête, on ressort abasourdi par la violence de leur quotidien. Elle transpire à chaque plan d’une intrigue forte et bien construite qui ne peut laisser indifférent.
Afrik.com : Vous consacrez votre premier long métrage de fiction à la thématique des enfants soldats en Afrique. Pourquoi avoir choisi d’adapter le livre d’Emmanuel Dongala, Johnny chien méchant ?
Jean-Stéphane Sauvaire : Les enfants dans la guerre, c’est un sujet qui m’intéressait et que j’avais commencé à explorer avec mon premier documentaire Carlitos Medellin. C’est une amie réalisatrice qui m’a recommandé l’ouvrage à sa parution. Quand j’ai lu le livre d’Emmanuel, j’ai vu des images… Il est magnifique et il m’a ému au point de me donner envie de l’adapter au cinéma. Le livre m’a bouleversé et j’y ai trouvé une vraie matière pour raconter le problème des enfants soldats, l’histoire, les personnages sont magnifiques, aussi bien dans le livre que dans le film.
Afrik.com : Johnny chien méchant, édité au Serpent à plumes en 2002, est l’un des premiers livres qui ait été écrit sur les enfants soldats en Afrique, avant toutes les biographies qui seront publiées plus tard. Pourquoi ce livre ?
Emmanuel Dongala : J’ai vécu cette guerre au Congo-Brazzaville. C’est à la suite de cette guerre que je me suis retrouvé aux Etats-Unis (la France lui refusera l’asile politique, ndlr). La façon dont ces gamins agissent est terrible…
Afrik.com : Dans le livre, on est dans la tête des deux personnages principaux Johnny Chien Méchant, l’enfant soldat, et Laokolé qui fuit les combats…
Emmanuel Dongala : Je voulais comprendre ce qui se passait dans la tête de ces gamins. Pourquoi agissent-ils ainsi ? A Brazzaville, on a vu les enfants soldats surgir de nulle part du jour au lendemain. N’ont-ils pas de parents, comment vivent-ils ? Que se passe-t-il dans leur tête ? Ce sont des questions que je me suis posées et auxquelles j’ai essayé de répondre.
Afrik.com : Votre livre ressemble d’ailleurs à un film puisque l’on voit les mêmes scènes d’un point de vue différent. Vous livrez ceux des bourreaux et des victimes. Pourquoi une telle démarche ?
Emmanuel Dongala : On peut penser que Johnny est le bourreau et Laokolé, la victime, mais ces enfants sont tous deux des victimes. Témoigner de cette guerre, selon ses deux points de vue, me paraissait essentiel. Le même événement est vécu différemment par Laokolé et Johnny chien méchant et c’est ce regard croisé qui construit le livre.
Afrik.com : Comment arrive-t-on à transcrire cet enjeu psychologique à l’image, un pari difficile que vous avez réussi parce que c’est vraiment le premier film qui nous donne à voir le cheminement psychologique de ces enfants soldats…
Jean-Stéphane Sauvaire : C’est assez difficile dans la mesure où le roman d’Emmanuel est basé sur la voix intérieure des personnages. Je voulais rendre compte de cela sans tomber dans les voix off. Il fallait trouver une autre forme de narration, il fallait que ces gamins aient par conséquent une vérité. Ce qu’Emmanuel a écrit devait transparaître dans le regard des personnages. Les gamins qui jouent dans le film sont incroyables : ils ont une vraie force. Leurs regards sont tellement forts qu’ils expriment ce qu’ils ont dans leur tête.
Afrik.com : Vos acteurs ont été enfants soldats. Cela leur a-t-il permis d’être plus vrais, d’avoir cette justesse dans leur interprétation ?
Jean-Stéphane Sauvaire : C’est effectivement à leur expérience personnelle que l’on doit l’intensité de leur regard. Ils ont quelque chose qui fait froid dans le dos. On retrouve chez eux un mélange de tristesse, de douceur et de beaucoup de violence.
Afrik.com : Depuis Jazz et vin de palme qui est un classique étudié dans les écoles en Afrique, on sait que vous êtes un auteur engagé. L’Afrique a-t-elle changé, sa situation évolue-t-elle ou empire-t-elle pour vous qui l’avez connue de l’intérieur et qui la regardez de l’extérieur depuis votre exil américain ?
Emmanuel Dongala : Il y avait un mouvement démocratique dans les années 90, mais les régimes déchus durant cette période ont réussi à reconquérir le pouvoir. Au Congo, par exemple, Denis Sassou N’Guesso a été écarté su pouvoir durant la guerre mais il est revenu. Bongo est là depuis 40 ans… Rien n’a vraiment changé et globalement nous avons reculé. Il y a eu certes des avancées, on peut critiquer ces régimes et ne pas disparaître, cependant la corruption, pour ne citer qu’elle, est toujours là.
Afrik.com : Quelle était votre intention en écrivant ce livre et pensiez-vous qu’il serait adapté au cinéma?
Emmanuel Dongala : Je ne m’y attendais pas du tout. J’ai vécu cette guerre du Congo et écrire ce livre a été une façon de l’exorciser. Je voulais aussi la raconter pour les nombreuses autres personnes qui en ont souffert. Certains ont été vraiment touchés par le livre. Ils m’ont demandé comment j’avais fait pour décrire tout cela avec autant de véracité. Je n’ai évidemment pas vécu tout ce j’ai écrit, je me suis inspiré également de récits que j’ai pu recueillir. Un livre ne peut pas prétendre changer le monde. Pour y parvenir, il faut être un citoyen militant. Néanmoins, une oeuvre littéraire peut aider à mieux comprendre certaines situations.
Afrik.com : Et vous, quelle était votre intention en adaptant cette histoire que vous portez ainsi à la connaissance des Français et du monde ?
Jean-Stéphane Sauvaire : Une adaptation est toujours une démarche complexe et j’ai été très respectueux du livre…
Afrik.com : Vous lui êtes assez fidèle d’ailleurs ?
Jean-Stéphane Sauvaire : J’ai senti chez Emmanuel qu’il m’accordait une grande liberté. Il m’a dit : « J’ai écrit mon livre, maintenant tu fais ton film… ». Je me suis senti libre. En outre, plus je m’en éloignais, plus j’y revenais, l’essentiel étant de rester cohérent sur le fond. J’ai pris le parti de tourner au Liberia, avec des enfants libériens, je voulais véritablement nourrir cette dimension libérienne du film. Comme l’a dit Emmanuel, un livre, un film doivent permettre de comprendre le monde qui vous entoure. Au cinéma, une telle démarche exige d’être réaliste.
Afrik.com : Qu’avez-vous pensé de cette adaptation ?
Emmanuel Dongala : J’en suis assez satisfait même si un film est toujours différent du livre dont il est adapté. Mon livre est bâti autour de la relation entre Laokolé et Johnny chien méchant. On le sent moins dans le film qui est bien évidemment plus visuel. Johnny Mad Dog vous prend véritablement aux tripes parce que c’est bien filmé.
Afrik.com : Que vous reste-t-il de cette expérience inédite, de cette rencontre avec ces enfants aux parcours peu ordinaires ?
Jean-Stéphane Sauvaire : J’ai passé presque 6 ans de ma vie à travailler sur ce projet, à partir du moment où j’ai commencé à adapter le livre d’Emmanuel. Ce film a été une aventure humaine incroyable. Un an de préparation, j’ai aussi passé un an avec le casting, à vivre avec les enfants. Nous sommes devenus une famille. Aujourd’hui, il y a cette Fondation (La Fondation Johnny Mad Dog [[Une quinzaine d’enfants libériens ont bénéficié d’une formation d’acteur entre 2006 à 2007 grâce à la Fondation. L’ambition de l’organisation est d’étendre son action aux enfants victimes de la guerre civile au Liberia]] est née à la faveur du film, ndlr) qui nous permettra de suivre leur parcours. En dépit de leur passé, ils restent des enfants et on ne peut que s’attacher à eux. On ne sort pas indemne d’une telle expérience. Elle m’a permis d’avancer, de comprendre l’humain, la vie. Ce film, c’est vrai, a changé beaucoup de choses en moi.
Johnny Mad Dog de Jean-Stéphane Sauvaire
Avec Christopher Minie, Daisy Victoria Vandy, Dagbeh Tweh, Barry Chernoh
Sortie française : 26 Novembre 2008
Durée : 1h36mn.
Consulter: : Le site officiel du film
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