Pour l’intellectuel John McWorther, le plus grand problème des noirs américains ce n’est pas le racisme, mais plutôt leur habitude de se sentir victime des blancs.
Dans Losing the Race: Self-Sabotage in Black America (“Course Perdue: Auto-Sabotage dans l’Amérique Noire”), le linguiste John McWorther affirme que le pire problème des noirs est leur propre victimisation. Certains l’ont traité de “traître pour sa race” et de “nègre de louage”. Tandis que d’autres l’ont abordé dans la rue pour lui dire comment le livre a changé leurs vies. Ci-dessous, suivez l’entrevue accordée par McWorther en février 2008 à afrobras :
Que signifie la double conscience noire ?
Ce que j’essaie de dire avec cette expression c’est que, même si le racisme reste présent dans la société, le plus grand problème de la communauté noire n’est pas ce que les blancs pensent d’elle. Le problème est culturel, il est interne, la façon dont les noirs se traitent eux-mêmes. Je pense que les gens ont besoin de s’aider eux-mêmes et les uns les autres. C’est ainsi que les sociétés évoluent. En fait, les noirs le savent et se le disent entre eux tout le temps. Mais, en public, quand il y a un blanc pas loin, ils se mettent à jouer les victimes, à parler du fait que la société a une dette, comme le racisme est subtile, mais qu’il reste présent. C’est une double conscience : vous êtes une victime en public et un vainqueur à la maison. Et cela crée une grande confusion dans la manière dont le racisme est discuté aux États-Unis.
Vous avez récemment écris un article intitulé Stop au Ku Klux Klan Noir. Existe-t’il un équivalent noir du KKK?
C’était évidemment un recours rhétorique que j’ai emprunté à Jason Whitlock [commentateur sportif noir]. Ce qu’il y a c’est que, quand un noir meurt, dans la majorité des cas, son meurtrier est un autre noir, faisant partie des gangs ou étant lié à la drogue. Ces assassins représentent le KKK noir. Si un individu blanc d’une école du Sud débarque et tue des noirs, le crime fait la une de tous les journaux. Mais il y a des noirs qui sont victimes d’autres noirs tout le temps et le fait est considéré comme étant banal, comme un sujet sans importance. Les noirs accordent beaucoup d’importance au blanc qui tue un noir, mais non quand un noir agit de même. Ce n’est pas convenable.
Que pensez-vous de l’influence des noirs américains sur les noirs du monde?
Vous savez, je me préoccupe assez de l’influence des noirs américains sur les autres noirs. Ce dont je parle c’est le hip-hop et de l’attitude gangsta. Quand je vois des turcs qui imitent cette attitude en Allemagne, les noirs des favelas du Brésil, je trouve que c’est très dangereux. C’est la même chose en Afrique, où la pauvreté est extrême et où il existe un grand besoin de ressources humaines, mais les musiques des jeunes continuent de parler de balancer le derrière, comme les américaines. Ce n’est décidément pas la meilleure chose au monde.
Depuis l’époque du jazz, la musique noire américaine est une référence mondiale. Qu’en est-il aujourd’hui?
La musique noire américaine. Bien qu’une bonne partie d’elle soit réellement de la bonne musique, la rage, le discours de haine est théâtral, c’est une attitude. Être enragé c’est facile, être enragé c’est légal , être enragé c’est quelque chose qu’on doit montrer. Mais une bonne partie du hip-hop c’est la façade, c’est être enragé pour être enragé. Porter des vêtements amples, montrer le majeur aux adultes, lâcher des jurons sans cesse, maltraiter les femmes et dire tout le temps comment vous êtes le plus grand. Quel est le message? C’est que tous les noirs doivent se comporter ainsi jusqu’à ce qu’il y ait l’égalité raciale. Et quand vous êtes dégoûté par cette attitude, que faites-vous pour aider quelqu’un ou pour vous aider vous-mêmes? Un jeune blanc peut aimer le hip-hop, mais au bout du compte, il sait qu’il va devoir se battre et beaucoup étudier pour obtenir une place à l’université.
À quoi ressemblait le fait d’être jeune durant ce qu’on a appelé “l’âge d’or du hip-hop”?
Je ne vivais pas à New York et franchement, cela n’avait pas autant d’influence que ça. Ma mère et mon père avaient un diplôme universitaire même si je ne représentais pas la cas classique d’une famille pauvre qui se bat pour porter la première génération à l’Université. Lorsque j’étais jeune, on disait déjà que j’étais “très blanc”, parce que je ne parlais pas comme les noirs du mouvement. Aujourd’hui, je suis fréquemment insulté par des noirs, principalement par ce que je vis en écrivant des choses que les gens ne vont pas toujours aimer.
Avez-vous déjà été victime de racisme?
Je ne dirais pas que j’ai été victime, mais il y a eu des fois où la race a contribué à transformer négativement certains événements. Une fois, je n’ai pas obtenu un emploi et des mois après, j’ai découvert que c’était à cause de ma couleur de peau. Des choses comme ça. Le racisme fait partie de ma vie et en général de manière douloureuse. Mais, à dire vrai, au jour d’aujourd’hui il est plus indirect que par le passé. Et c’est là le point le plus important de mon livre Losing the Race: le racisme n’a pas été une partie suffisante de ma vie pour dire qu’il est particulièrement important.
Est-il possible de classer avec exactitude qui est blanc et qui est noir ?
C’est une question très intéressante. Il y a cette façon brésilienne et latino-américaine d’identifier les personnes. Vous pouvez être entre tous les degrés entre “blanc” et “noir”, vous pouvez être “moitié noir, mais pas noir” et identifié ainsi. Ici, avec la One Drop Rule [règle selon laquelle celui qui possède la moindre descendance noire est noir], quand vous avez un père noir et une mère noire, vous avez en vous la “négritude”, et vous êtes noir, point final. Mais il existe un mouvement birracial qui, au cours des 10 dernières années a essayé d’inclure l’option mulâtre dans le recensement. C’est quelque chose d’absolument nouveau, à laquelle il était impossible de penser dans les années 70 et 80 par exemple. Mais il ne s’agit pas de choisir entre ce qui est mieux et de ce qui est pire.
Comment définissez-vous le fait d’être noir? Cela signifie-t-il vivre une situation spéciale ?
Ma définition n’est pas aussi profonde que celle de plusieurs personnes sérieuses .Il existe une sous culture noire en Amérique. Il y a une manière de parler – jusqu’à présent, je ne parle pas ainsi –, il y a une expression corporelle différente, une cuisine différente – j’adhère absolument à cette dernière –, il existe la musique, avant le hip-hop, le blues, le jazz, la soul et le funk. Vous êtes élevé dans ça, et vous vous identifiez à cela. Pour beaucoup, cependant, être noir c’est aussi être une victime. Pour moi ce n’est pas le cas. Je ne vais pas passer mon temps ici et là à m’étendre sur une conception fragile de moi même . Je suis noir, mes parents sont noirs, ma culture est noire. Mais je me définis, premièrement, comme un être humain, deuxièmement et principalement, américain et seulement après comme noir.
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