Johana Van Guerten : pas d’enfants-soldats à la barre


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Drapeau de la Sierra Leone
Drapeau de la Sierra Leone

Pour la représentante de l’Unicef à Freetown, l’ONU ne doit pas se risquer à reconnaître le principe de culpabilité des enfants soldats. L’idée de présenter des mineurs à la Cour spéciale chargée de statuer sur les crimes de guerre en Sierra Leone fait pourtant son chemin. Interview.

Les Nations Unies étudient la possibilité de présenter des enfants soldats devant la Cour spéciale internationale qui devra juger les crimes de guerre commis en Sierra Leone. Tout comme au Liberia voisin, les chefs de guerre de l’horrible conflit qui a ensanglanté le pays ont intégré beaucoup de  » small-soldiers  » dans leurs troupes. Ces enfants, coupés de leurs familles, souvent drogués, constituent une main d’oeuvre infiniment plus malléable que les soldats adultes. Le projet en discussion prévoit que les enfants impliqués dans des crimes de guerre seraient présentés devant la Cour en compagnie des adultes qui les ont encadrés. Il envisage également que les adolescents de 15 ans et plus soient poursuivis au même titre que les adultes. Pour l’Américaine Johana Van Gerpen, responsable de l’Unicef en Sierra Leone, cette proposition, si elle venait à être adoptée, aurait des effets désastreux.

Afrik : En tant que représentante de l’Unicef, comment vivez vous le fait que des responsables de l’ONU, Kofi Annan en tête, étudient sérieusement la possibilité de juger des enfants pour crime de guerre ?

Johana Van Guerten : Comme vous le dites, le projet n’est qu’à l’état de proposition. S’il est retenu, ce sera au terme d’un long processus de consultation, puis, il devra être discuté et voté à New-York. Cela étant, l’adoption d’une telle mesure constituera un vrai pas en arrière dans la marche vers une justice internationale digne de ce nom. Les enfants impliqués dans des crimes de guerre l’ont été par la force. Ils ont été manipulés, drogués, certains ont dû subir des viols. Pour sauver leur vie d’autres ont été contraints de tuer leurs propres parents. Faire le bilan des violences physiques et psychologiques qu’ont subi ces gamins est impossible. Les placer devant une Cour spéciale reviendrait à punir une seconde fois des enfants qui sont avant tout des victimes.

Afrik : Pourquoi l’ONU songe-t-elle à une telle option ?

Johana Van Guerten : Vous savez, ici la situation est très compliquée. Il y a 5 400 enfants soldats ou ex-enfants soldats qui errent dans le pays. Les autorités internationales ont signé par deux fois des accords de paix qui ont été bafoués par les seigneurs de la guerre. Les troupes de l’ONU ont, comme vous le savez, subi enlèvements et pertes en vies humaines. Pour les responsables de l’ONU, il ne suffit pas de neutraliser les chefs de guerres les plus dangereux, mais aussi d’ancrer la notion du droit et du respect de la parole donnée. Difficile, pour des enfants qui ont vécu des années dans un univers de non droit, d’intégrer ce qui est mal et ce qui est bien. En outre, nombreux sont ceux qui espèrent ici, que placer des enfants à la barre permettra de récolter de plus amples informations sur les massacres et établir les mécanismes de responsabilités. Ce que dit l’Unicef de Freetown, c’est un : on oublie qu’il s’agit d’enfants. Deux : que leurs possibilités de choix étaient quasi nulles. Trois : que cette décision serait en totale contradiction avec le travail fourni sur place par le personnel de notre organisation.

Afrik : Comment ça ?

Johana Van Guerten : Notre travail est essentiellement axé sur un programme de réhabilitation des enfants auprès des familles et de leurs communautés villageoises. Avant même d’espérer réparer les dégâts psychologiques et sociaux, avant même de réintégrer les enfants dans les écoles, il faut les faire accepter par les familles et leurs communautés. Or ceux-ci les considèrent parfois à juste titre comme des tueurs. Ils ont vu certains gamins décimer et mutiler des familles entières. Les désirs de vengeance et les risques de représailles sont à prendre très au sérieux.

Comment pourrions-nous nous opposer aux villageois et aux familles qui décideraient de sanctions contre les enfants, si l’ONU reconnaît leur responsabilité et leur culpabilité lors des exactions commises pendant la guerre civile ?

 » Bien sûr que les  » small-soldiers  » sont coupables. Puisque la Cour spéciale le dit », voilà le message qu’enverrait l’ONU à la population de Sierra Leone. Je n’ose pas imaginer ce qui attend ces enfants si l’ONU prend une telle décision.

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