Aladji Ba parraine l’avocat aveugle Chen Guangcheng, emprisonné arbitrairement depuis 2006 en Chine, pays hôte des prochains Jeux Olympiques. L’athlète handisport non voyant revient sur son engagement et explique pourquoi il s’oppose au boycott de la compétition olympique.
Aladji Ba ne manque jamais une occasion de rappeler le calvaire de son « protégé », Chen Guangcheng. Samedi 31 mai, l’athlète handisport non voyant n’a pas dérogé à la règle. Lors d’une manifestation d’Amnesty International France contre les abus des droits de l’homme en Chine, hôte des prochains Jeux Olympiques, le sprinter d’origine sénégalaise est revenu sur l’histoire de Chen Guangcheng, qu’il parraine depuis mars. Cet avocat chinois aveugle a été condamné le 24 août 2006 à quatre ans et trois mois de prison, pour « dommage intentionnel à la propriété publique et perturbation de la circulation par des rassemblements populaires ». Une peine reconfirmée en janvier 2007 après un nouveau procès, lui aussi entaché d’irrégularités. Aladji Ba, qui avait posé avec un tee-shirt à l’effigie de Chen Guangcheng pour le quotidien sportif français L’Equipe, saura fin juin s’il participera aux JO handisport de Pékin. En attendant le verdict, l’athlète plusieurs fois médaillé souligne qu’il ne faut pas faire d’amalgame entre politique et compétition sportive.
Afrik.com : Qu’avez-vous pensé de l’hostilité qu’a suscité le passage de la flamme olympique à Paris, où des sportifs ont été pris à partie ?
Aladji Ba : Je n’ai pas ressenti directement cette hostilité. Mais, à un moment, on a jeté des œufs sur notre bus et je crois qu’une personne a essayé de s’en prendre aux sportifs. J’ai su qu’on avait jeté des canettes et des bouteilles d’eau sur des sportifs et que certains ont été sérieusement insultés sans raison. Je trouve ça vraiment honteux ! On peut être d’accord ou pas avec ce qui se passe en Chine et au Tibet, ou être d’accord ou pas avec le fait que la Chine accueille les Jeux, mais il ne faut pas s’attaquer à l’olympisme et ses valeurs. C’est piétiner l’olympisme et le sport en général. Si les gens veulent s’attaquer à quelqu’un, qu’ils s’attaquent au CIO (Comité international Olympique, ndlr), au gouvernement chinois, aux ambassades et aux consulats chinois. Les sportifs n’ont pas de raison de prendre une position politique sur le sujet.
Afrik.com : Mais vous prenez justement une position en défendant la cause de Chen Guangcheng et en vous associant à Amnesty International France, très active pour dénoncer les abus des droits de l’homme en Chine…
Aladji Ba : Je ne suis pas revendicatif. J’ai assisté à la manifestation de samedi de façon symbolique pour défendre une personne dont je suis le parrain et faire un discours où je dénonçais le non respect des droits de l’homme et les détentions arbitraires en Chine. Mon but était de montrer que je suis sensible à ce qui se passe en Chine et que je suis prêt à prendre de mon temps pour dire que j’ai une opinion sur le sujet. Mais je n’ai que des demandes à faire, pas de solutions à apporter parce que je ne connais pas assez l’histoire et le contexte du pays.
Afrik.com : Avez-vous le sentiment qu’il est paradoxal de défendre ainsi Chen Guangcheng et d’être prêt à participer aux JO si vous étiez sélectionné ?
Aladji Ba : Si on va par là, beaucoup de choses sont paradoxales. La Chine n’est pas le seul pays où il y a une répression de la population. J’ajouterais même que ce qui serait paradoxal de ma part serait que je me rende en Chine en dehors du cadre sportif et qu’une fois sur place je ne dise rien sur les abus des droits humains. Mais là, si je me rends en Chine pour les JO, ce sera en tant que sportif défendant les valeurs de l’olympisme. Des valeurs qui prônent la réunion de tous, la fête… Et si on pouvait enterrer la hache de guerre pour toujours à l’occasion de ces JO, ce serait très bien !
Afrik.com : Donc si vous êtes sélectionné pour partir à Pékin, vous n’évoquerez pas les droits de l’homme ?
Aladji Ba : Je ne dirais rien car je n’aurais pas le droit de parler. Sauf peut-être à l’aéroport ou si je suis interviewé par téléphone (rires). En fait, la charte olympique nous interdit de donner un point de vue commercial ou politique dans le village olympique, sur un podium, dans les stades et les autres lieux de compétition. Si on le fait, le CIO se réserve le droit de nous exclure manu militari.
Afrik.com : Avez-vous déjà songé à boycotter les JO ?
Aladji Ba : Le jour où le nom de l’organisateur des JO a été dévoilé, j’étais en plateau télé avec d’autres sportifs. Quand on a appris que Pékin avait gagné l’organisation des JO, on a été très surpris parce qu’on ne pensait vraiment pas qu’elle gagnerait. A ce moment-là, la première chose qu’on a dite est qu’il fallait soit boycotter les Jeux, soit faire comprendre au CIO que les athlètes n’étaient vraiment pas contents de cette décision. Mais quand les sportifs ont compris qu’il n’y avait pas de recours à cette décision, ils se sont arrêtés là.
Afrik.com : Etes-vous aujourd’hui en faveur d’un boycott ?
Aladji Ba : Ce n’est pas la meilleure solution. Certains ont passé quatre ans de leur existence à s’entraîner pour participer aux JO, certains ont fait l’impasse sur des compétitions internationales pour y aller. Et je pense qu’un boycott va au final faire plus offense aux sportifs qu’aux Chinois. C’est-à-dire que si les gens boycottent, il n’y aura personne pour chanter l’hymne, pour nous soutenir dans les gradins. Ce serait un peu comme une compétition à huis clos, comme si on se foutait de nous et ce ne serait vraiment pas sympa ! Surtout que faire pression sur la Chine pour dans le cadre des Jeux Olympiques et Paralympiques ne va pas la faire libérer ses prisonniers politiques, cesser les détentions arbitraires ou arrêter d’appliquer la peine de mort.
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Photo : Laurent Hini pour Amnesty International