JO 2012 : huit sportifs camerounais prennent la fuite


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Journaliste sportif en service à la chaîne Vox Africa, Martin Camus Mimb a couvert plusieurs évènements sportifs et côtoyé de nombreux athlètes. Il donne ici les raisons pour lesquels huit athlètes camerounais ont pris la fuite et soutient qu’il aurait fait de même s’il avait été concerné.

(De notre correspondant)

Afrik.com : Cinq boxeurs, un nageur, une footballeuse et un haltérophile qui comptaient parmi les athlètes camerounais à Londres sont introuvables et on parle d’une fugue. Quel est votre sentiment ?
Martin Camus Mimb :
Il s’agit bien d’une fugue qui alimente chroniques, coups de gueule et autres indignations dans les médias et l’opinion. Le Cameroun joue ses Jeux olympiques ailleurs, là où l’amateurisme a confiné le sport camerounais. Au contact de la modernité, du savoir faire et du professionnalisme que renvoient des compétitions comme les Jeux olympiques, l’indigence a perçu la différence, l’écart de niveau, et a décidé de se dévoiler, de rentrer dans la révolution de son propre être. On ne peut être émerveillé que par ce qu’on n’a jamais vu. On ne peut être impressionné que par ce qu’on découvre. Il s’agit de huit athlètes qui ont eu le courage de prendre leur destin en main. Ceux qui ont décidé de renvoyer à leurs encadreurs et au Cameroun tout court, les reflets de leurs limites dans l’encadrement et la considération due à ceux qui produisent des efforts. Beaucoup d’autres athlètes ont les mêmes envies, sans avoir le même courage, le même goût du risque et de l’aventure, les mêmes repères de fugue.

Afrik.com : Qu’est ce qui peut justifier cette situation qui devient une tradition ?
Martin Camus Mimb :
Les « fugitifs » se comptent parmi des footballeuses, des boxeurs, des nageurs et des haltérophiles. Au Cameroun, il n’y a pas un véritable championnat de football féminin et encore moins une politique de la discipline. On veut donner l’impression que ces footballeuses ont terni l’image du Cameroun. Pourquoi les mêmes personnes ne se sont-elles pas offusquées, lorsqu’une forte colonie de footballeuses a abandonné la nationalité camerounaise pour devenir des Equato-Guinéennes et défendre avec honneur les couleurs de ce pays. Le football féminin souffre en silence, dans les couloirs de la Fécafoot, trop préoccupée de récupérer avec des récipients individualisés, l’huile qui suinte du poisson « Lions Indomptables ». Qui ne se souvient pas de cette lettre remise au Chef de l’Etat en pleine finale de la Coupe du Cameroun de football par une joueuse, mandatée par son Président de club, qui en avait marre de supporter l’indigence. Qui ne se souvient pas de la réaction d’une Fécafoot fébrile qui a aussitôt suspendu la joueuse ? La fugue des footballeuses n’a pas commencé aujourd’hui, elle date, elle a toujours existé dans des formes variées, on l’a couvert à coup de menaces et de chantage.

Ceux qui ont fait un tour à Yaoundé et Douala où s’entrainent les boxeurs comprendront le sens de la fugue. On a enregistré par le passé les fugues de Herman Ngoundjo ou encore Bikamba Sakio. Le premier est aujourd’hui champion du monde après avoir fugué à Ottawa aux Jeux de la Francophonie. Le second est Champion du monde de « Contender ». Ces cas contribuent à stimuler l’envie de partir à tout prix. Ces deux athlètes ont été accueillis comme des héros dans leur pays d’adoption et aujourd’hui, ils font le bonheur des intérêts financiers des managers de boxe. Contrairement au football qui s’est suffisamment structuré et où la procédure d’introduction dans des équipes professionnelles obéit à un minimum de conditions sur la résidence et les certificats de travail, on peut pratiquer la boxe dans la clandestinité, et gagner de l’argent. Ce que personne n’est capable de garantir au Cameroun. Il y va aussi de la natation et des autres sports. Les infrastructures absentes et le manque de considération des athlètes imposent la dictature de la fuite.

Afrik.com : Pourquoi précisément les sportifs camerounais ?
Martin Camus Mimb :
Tenez cette anecdote. En mars 2008, à Loches non loin de Tours, j’accompagne un centre de formation de footballeurs du Cameroun à un tournoi de jeunes. Sur les quinze gamins conduits en France, sept avaient pris la fuite et j’ai été marqué par le témoignage de l’un des gamins qui, la veille de la fuite, est venu se confier à moi en ces termes : « Ma mère a bouffé une tontine, pour que je puisse payer ce déplacement. Elle m’a dit, c’est tout ce que j’ai pour toi et pour ta vie. Vas en France te débrouiller, ne reviens plus… Si je rentre, ma maman va me tuer. » Le mal-être au Cameroun est beaucoup plus profond qu’on ne le pense. Combien de famille sont prêtes à se sacrifier pour envoyer des enfants en aventure en Europe ou ailleurs dans l’espoir qu’ils trouvent quelque chose de mieux ? Beaucoup! Et ce sont des problèmes de vie qui vont au-delà du sport.

Mais le véritable problème que pose la fugue des athlètes, c’est que le sport qui aurait pu leur donner la chance d’espérer en la vie et qui aurait pu les réinsérer dans les couloirs des espoirs, leur renvoie plutôt l’image d’un capharnaüm, d’une cour du Roi Peteau où « chacun s’assoit, Dieu le pousse ». Pourquoi, par exemple, les Kenyans qui excellent dans les courses de fond et qui participent régulièrement à des grandes rencontres internationales ne font pas ou presque jamais de fugues ? Pas forcément parce qu’au Kenya il fait bon vivre, mais parce qu’en plus des conditions d’entrainement et de préparation que leur offre leur pays, ils ont vu des champions partir et rester à Nairobi, pour dominer le sport mondial. Combien d’athlètes le Cameroun a formé sur place au pays et qui peuvent vendre ce rêve ? Il n’y en a presque pas.

Françoise Mbango a glané deux médailles d’or en triple saut dans un pays où il n’y a pas de piste d’athlétisme! Cette performance aurait pu susciter des vocations, donner la possibilité aux jeunes de rêver de l’or olympique à travers le triple saut. Mais comment est-ce possible quand les autorités ont plus pensé à récupérer politiquement sa performance au lieu de la pérenniser sportivement ? Le changement de nationalité de Françoise Mbango n’est-il pas une fugue ? C’est un message que personne n’a voulu décrypter. Alors si Mbango, double médaillée d’or aux JO laisse le Cameroun, quelle peut être la lecture d’une athlète qui commence l’aventure olympique ? Si j’étais athlète aux Jeux olympiques de Londres, je serais parti même le soir de notre arrivée, bien avant le début de la compétition, parce que les autorités étaient plus préoccupées par leurs frais de mission que par la performance.

Il y a un autre paramètre non-négligeable dans la compréhension de la fugue. Il y a aujourd’hui des états émergents, très riches, prêts payer très cher pour faire flotter leur drapeau, pour arracher quelques médailles de plus. Le sport, mis à part le football, est devenu la jungle où les plus forts récupèrent les meilleurs.

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