Le mariage précoce est encore une pratique très courante à Madagascar. Les jeunes filles contraintes de se marier sont parfois à peine âgées de 12 ans. Prisonnières de leur union ficelée par leurs parents, elles vivent un véritable calvaire et subissent quotidiennement : violences physiques, verbales et morales. Même si les autorités ont interdit en 2007 le mariage des mineures de moins de 18 ans, cette coutume perdure dans les campagnes mais aussi dans certaines grandes villes de la grande île.
Félicity n’avait que 14 ans lorsqu’elle s’est mariée. Comme beaucoup de malgaches, elle n’a jamais connu de lune de miel. Ce qui devait être les plus belles années de sa vie, s’est transformé en véritable cauchemar. La jeune femme âgée de 26 ans, en parait 40. Elle est encore marquée par les souffrances qu’elle a vécues dans sa vie conjugale. Son visage est boursouflé. Sa peau est jaunie. Ses mains sont abîmées par des années de dur labeur. Pis, elle n’a plus de dent. Du moins, il ne lui en reste que deux. Lorsqu’elle parle, elle met sa main sur sa bouche pour cacher son handicap. Comme beaucoup de ses compatriotes, elle a été contrainte par ses parents à se marier : « je me suis mariée en mars 2000. Mais je ne voulais pas. Je ne l’aimais pas ! Mes parents m’ont forcé à l’épouser. J’ai beaucoup souffert ! ».
La jeune malgache, mère de deux enfants, une fille et un garçon, a finalement divorcé, tant ses souffrances lui devenaient insupportables. Elle vit désormais chez ses parents et tente de retrouver du travail pour subvenir aux besoins de ses progénitures. Les hommes, « elle ne veut plus en entendre parler ! Le mariage encore moins ! » Elle a finalement trouvé refuge au sein de l’association Avenir, présidée par Esther Volonana, qui lutte contre toutes formes d’injustices à Madagascar. Le cas de la jeune malgache est loin d’être isolée, rappelle la dirigeante de l’organisation. « Des milliers de jeunes filles sont forcées à se marier très tôt ». Le mariage précoce les détruit, affirme Esther Volonana. « Félicity ressemblait à une miss France quand je l’ai connu avant son mariage. Elle était très belle, mais ses souffrances l’ont rendu l’aide ! »
Le pourcentage d’enfants mariés en hausse
Madagascar est l’un des pays en Afrique subsaharienne les plus touchés par le mariage précoce, selon l’Onu, qui a tiré la sonnette d’alarme en décembre dernier, lors de la journée internationale des jeunes filles. « Le pourcentage d’enfants mariés a augmenté environ de 10 % en cinq ans. Il était de 39 % en 2004 contre 48 % en 2009 », d’après les conclusions du Fond des Nations-Unies pour la population (FNUAP). Pourtant une loi, promulguée en 2007, interdit le mariage des mineures de moins de 18 ans, sauf cas exceptionnels ou décision du tribunal. Mais si le fléau continue, « 767 000 jeunes filles nées entre 2005 et 2010 seront mariées ou en union avant leur 18ème année d’ici 2030 », prévient l’Onu. Les mariages précoces sont particulièrement élevés dans la région d’Atsimo Andrefana avec 69% des jeunes filles mineures mariées. La région Analamanga, qui occupe la dernière place du palmarès, en compte 35%.
Les grandes villes de la grande île ne sont pas épargnées par le phénomène. Mais c’est surtout les régions qui sont le plus concernées. « Dans les campagnes c’est une coutume », explique Ether Volonana. Malheureusement, les parents ne se rendent pas compte que leurs filles vivent un véritable calvaire, confie-t-elle. Vulnérables et livrées à elles-mêmes, face à des époux parfois plus âgés qu’elles, elles subissent toutes formes de violences : physique, verbale, morale et même économique. Leurs conjoints ne subviennent pas toujours à leurs besoins. Pis, beaucoup d’entre elles meurent après avoir mis au monde leur enfant. « La plupart des dix femmes qui meurent chaque jour en donnant naissance est due notamment à la grossesse précoce », selon le ministère de la Jeunesse et des Loisirs.
L’adultère, conséquence du mariage précoce
Les raisons de l’ampleur du phénomène sont multiples. « Dans des familles nombreuses cela permet aux parents de se décharger de leurs responsabilités envers leurs filles. Ils les laissent aller à l’école jusqu’à l’âge de 12,13 ans, avant de les contraindre d’arrêter leurs études pour les marier », explique Pascale, présidente du Collectif des associations de femmes à Madagascar (Caf). D’autres fois, c’est aussi pour éponger leurs dettes que les parents décident de marier leurs filles, souligne Esther Volonana. « S’ils doivent en effet de l’argent à une famille, il donne leur fille en mariage à l’un des membre de cette famille. Elle est comme un gage, son union devient la contrepartie de leur dette ». Quelquefois « c’est aussi pour protéger un héritage familial. Pour préserver les richesses entre deux familles, un accord est conclu entre les proches des deux époux pour ficeler le mariage », ajoute-t-elle.
Le mariage précoce engendre un autre phénomène qui prend de l’ampleur : l’adultère, note la dirigeante de l’association de la Caf. « Les hommes mariés à ces jeunes filles n’hésitent pas à les abandonner à leur sort pour vivre avec leurs maîtresses ! Parfois, ils emmènent leur concubine chez eux !». En septembre dernier, poursuit-elle, « une jeune femme nous a raconté que son mari a même emmené sa maîtresse dans sa propre maison. Et lui a dit : « va dormir dans une autre chambre, je connais déjà tout de toi, maintenant je veux vivre avec une autre ! » Son époux a même osé avoir des relations sexuelles avec sa maîtresse devant sa fille de six ans ! Et lui a dit : « Regarde ce que je fais avec ta mère ! » » Cette dernière vit depuis « dans une grande tristesse et pleure tout le temps, raconte Pascale. Maintenant, son mari est parti vivre ailleurs avec sa maîtresse et revient chez lui quand bon lui semble ».
La jeune femme, elle, refuse de divorcer par peur du regard de la société. Prisonnière de son mariage précoce, comme beaucoup d’autres malgaches, elle préfère taire ses souffrances plutôt que d’être honnie de tous.